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La fille qui venait de faire un remake de l’Invasion des Profanateurs (en couches Tena)

Par La Chose

La fille qui venait de faire un remake de l’Invasion des Profanateurs (en couches Tena)

Il y a quelques mois, ma copine Purge s’est retrouvée au chômage. 
Tu me diras que ça n’a rien d’exceptionnel par les temps qui courent, mais bon, ma copine Purge, c’est celle avec laquelle je me suis retrouvée aux urgences de l’hôpital Saint-Antoine quand j’avais quinze ans, rapport au fait qu’on avait un peu bu en cachette de nos parents et qu’à la fin, on faisait des cocktails à base de dentifrice trois-en-un et de vodka Smirnoff. Quand tu passes ta nuit à vomir sur un brancard avec un médecin qui menace tes parents d’appeler l’assistante sociale, le psychiatre et la maréchaussée, forcément, quelque part, ça crée des liens.
 Quand elle a perdu son boulot, Purge était un peu déprimée. Limite quand on parlait au téléphone (elle écoutait Evanescence en boucle en arrière-fond, c’est ça qui était le plus flippant), s’il y avait un blanc dans la conversation,  j’étais tentée d’appeler le SAMU et la Propreté de Paris pour prévenir qu’une nana venait de sauter du sixième étage.

Comme je voulais l’aider, et comme elle a pas de diplôme rempli de chouettes signes cabalistiques comme MBA ou DESS, je lui ai fait remarquer qu’avec le nombre de vieux qu’on a en France, le secteur qui marchait le mieux après celui des boîtes de Ronron, c’était les boîtes pour les vieux (qui sont comme des boîtes de Ronron mais en plus chères) et plus généralement de tout ce qui tourne autour des vieux, comme les croisières Costa, les thalassos en Bretagne et les maisons de retraite.

- J’ai le mal de mer, a dit Purge, alors on laisse tomber les bateaux de croisière pour vieux, et hors de question  de venir en Armorique faire des massages aux algues vertes. Par contre les maisons de retraite, j’ai envie de te dire, why not ?
- T’as de l’expérience ? j’ai demandé.
- Bah j’ai fait du bénévolat dans un refuge SPA, ça doit pas être bien différent.

Alors j’ai pistonné Purge pour un job d’auxiliaire dans une maison de retraite de mon ancien quartier à Paris (oui, moi je peux pas faire entrer les gens à Sciences Po ou à la rédaction de Paris Match, par contre je peux leur trouver une place à la Voirie de Vesoul, on a les pistons qu’on peut).
Hier, comme j’étais de passage à Paris, j’ai eu envie de voir comment ça se passait pour ma vieille copine.  J’étais pas peu fière de lui avoir retrouvé du boulot, je me sentais un peu dans la peau de Joëlle Mazart quand, entre deux parties de babyfoot dans un rade pourri au fin fond d’une cité craignos, elle arrive à convaincre Jean-Albert que son CAP de mécanicien option « maintenance des véhicules municipaux destinés au ramassage des déjections canines » n’est absolument pas une voie de garage, et qu’il a bien fait d’arrêter la drogue.
Quand je suis entrée dans la Résidence Les Pâquerettes, c’était plutôt sympa, il y avait de la musique très forte et la musique, c’est bon pour les vieux,  même si là c’était Frank Michael qui expliquait que toutes les femmes ont un sourire qui parle au cœur. Je suis allée voir la fille de l’accueil, qui était une très gentille dame d’environ cinquante ans, sauf que là elle avait l’air d’en avoir trente de plus.

- Bonjour, j’ai dit, je viens faire coucou à Purge, qui travaille ici.
- (….)
-  Ah, j’ai fait, vous pouvez pas me dire à quel étage elle est ?
- Toutes, toutes, toutes les femmes sont belles, disait Frank Michael, toutes au coeur ont une rose
- Premier, a dit la dame en faisant une tête comme si elle allait vomir.
- Vous vous sentez bien ? j’ai fait. Vous avez besoin d’un toubib ?
- Nnn…non, mais si vous avez de la drogue sur vous, je ne vous dirai pas non, elle a dit la dame.
- Ah ben désolée, avant je fabriquais des trucs avec du dentifrice et de la vodka, mais ça fait longtemps que j’ai arrêté.
- C’est pas grave, qu’elle a répondu, ça vous embête pas si je meurs là, tout de suite ?

Et puis elle a grimpé sur son comptoir d’accueil et elle a commencé à accrocher la ceinture de son manteau au lustre de l’entrée. C’est des gros déconneurs, les administratifs.
 Pendant qu’elle faisait sa blague de la ceinture, je suis montée au premier étage, Frank Michael expliquait que quand leur amour nous ensoleille, on est près d’elles et soudain où que l’on soit on est bien comme dans un jardin. Ça sentait pas très bon, mais c’était normal parce que les vieux sont un peu comme les chats, ils sont très libres dans leur tête et très indépendants, alors ils font pipi où ils veulent et quand ils veulent. D’ailleurs à l’étage, j’ai pas vu beaucoup de monde en blouse blanche et je me suis dit que ça devait manquer de main d’œuvre pour changer la litière des résidents. Y’avait plein de gens aux cheveux blancs qui déambulaient dans tous les sens, et puis tout au bout d’un couloir j’ai aperçu Purge avec un joli uniforme violet. Elle était en train de trottiner drôlement vite, sûrement à cause du vieux monsieur tout nu qui lui courait péniblement après en criant très fort « MADELEINE! EMBRASSE-MOI, MADELEINE, ESPÈCE DE FINE GARCE! ». Elle se retournait pour lui balancer des baffes en lui disant plein de choses pas très polies, mais lui il continuait à essayer de lui pincer les fesses en bavant. Arrivée à la moitié du couloir, je me suis dit qu’elle allait réussir à lui échapper, sauf que c’est à ce moment-là qu’une mamie toute ratatinée a balancé son pied en travers du chemin de Purge, qui a trébuché et s’est vautrée à plat ventre. La mamie, elle lui a tout de suite sauté sur le dos et s’est mise à lui tirer les cheveux en ricanant et en insultant Edouard Daladier. Et pendant ce temps-là, Frank dégoulinait en affirmant que la beauté de l’âme reste cachée. Je voulais aller aider Purge à se relever, mais y’avait une dame qui s’accrochait à ma manche en me demandant si j’étais pas gênée par le bruit dans sa tête.

- Nan, j’ai dit, ça me gêne pas, c’est plutôt cette putain de chanson qui va avoir ma peau.
- LA VOIX DES ANGES, a hurlé un monsieur qui passait à côté de moi en roulant des yeux, LA VOIX DES ANGES!

C’est à ce moment-là que Purge, qui avait réussi à se débarrasser du monsieur tout nu et de la vieille dame un peu agressive, s’est jetée dans mes bras. Elle était toute décoiffée, elle avait les joues très rouges et elle respirait bizarrement.

- MOURIR! elle a hurlé dans mes oreilles.

Y’avait tous les petits vieux qui se rapprochaient de nous, tout à coup, ça m’a fait penser à une scène de La nuit des morts-vivants ou à un documentaire animalier, j’ai commencé à flipper. Purge m’a pris par le poignet et puis elle m’a tirée vers une porte en grognant « salle de repos…question de survie…marche ou crève… », et on est entrées dans une petite pièce où y’avait déjà plein de gens entassés. Ils portaient tous des uniformes violets et ils avaient les mêmes yeux que Dee Wallace dans la scène de Hurlements où elle se retrouve nez à nez avec le loup-garou (qui est aussi son psychiatre, mais là n’est pas la question). C’est là que j’ai compris pourquoi je voyais pas de personnel dans les couloirs.
Donc là ça fait environ 24 heures qu’on est dans la salle de repos de la résidence, on a de quoi tenir environ une petite semaine grâce à la Blédine stockée dans les placards, et on a du café pour trois jours encore. J’entends vaguement, à l’extérieur, les pas trainants dans le couloir, les grattements sur la porte et Frank Michael qui chante à propos de valse infinie sur une île déserte.

Si j’avais pas ma fierté, je commencerais à appeler au secours, en fait.


Filed under: A propos des soirées Tupperware et des furoncles pilo-sébacés

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