Photo : Thomas Hoepker
Sur cette image du photographe Thomas Hoepker, prise le 11 septembre 2001, on voit cinq jeunes New-Yorkais décontractés, en discussion au bord de l’eau, quelque part à Brooklyn. Derrière cette scène paisible d’un jour ensoleillé, le terrible nuage de fumée et de poussières de Manhattan avec ses légendaires tours jumelles frappées par les avions détournés par les terroristes.
Que pensez-vous de l’oeuvre, et que pensez-vous de ce groupe de jeunes?
C’est ce que l’on appelle une image qui vaut mille mots. Mais les milles mots ne décrivent pas toujours bien une réalité qui nous échappe quand nous ne sommes que témoins de la catastrophe, sans avoir assisté à la discussion des jeunes qui occupent l’avant-scène de cette image du 9/11.
Il y a eu une controverse quand cette photo a été publiée en 2006. Car le public était choqué par l’attitude insensible de ces jeunes devant la tragédie d’une Amérique blessée dans le fondement de ses valeurs et l’orgueil symbolique bafoué devant le monde entier. Ceux qui aiment porter un regard moralisateur sur cette Amérique blessée et bafouée parlaient de la décadence de l’Amérique et de l’insensibilité de ses nouvelles générations.
Nous pensons que l’on aurait dû s'indigner du comportement de ce photographe au lieu de critiquer ces jeunes sur la photo. D’ailleurs, l’un des jeunes disait qu’ils étaient « dans un état de choc profond ».
Semble-t-il, l’artiste a retardé la publication de cette photo du 9/11, intitulée Young New Yorkers on the Brooklyn waterfront on 9/11. Si Thomas Hoepker l’avait publié peu de temps après 11 septembre 2001, en même temps que ses autres photos prises lors de cet événement, on aurait critiqué l’indélicatesse de l’artiste de créer une polémique alors que le deuil et la douleur d’avoir perdu des proches étaient encore à fleur de peau pour des milliers d'américains et des parents et amis des victimes d’autres nationalités.
Évidemment, cette photo qualifiée la plus controversée (artistique) du 9/11 aurait suscité autant de réactions si elle avait été publiée plus tôt. Le geste de retarder la publication est une autocensure conformiste d’un manipulateur pour gérer l’opinion publique à sa faveur. Cela évite aussi que cette photo ne soit pas noyée dans une masse d’images de tous azimuts durant les premiers anniversaires du 11 septembre 2011. Le geste de publier cette photo 5 ans après les attentats du WTC est murement réfléchi pour que tout le débat se fasse sur le dos de ces jeunes insensibles. La contradiction créée par la juxtaposition des deux scènes génère inévitablement un sentiment de malaise chez ceux qui font face à cette image, au minimum, un pincement de sourcils pour ce comportement décontracté des jeunes.
Nous voulons écrire quelques mots plus acides au sujet de ce Thomas Hoepker. Mais le mot «pute» a fait dévier notre pensée sur ce que Flaubert a dit à la fin de sa vie de Madame Bovary… cette pute vivra longtemps après ma mort, lorsque moi, je pourris six pieds sous terre.
Nous ne sommes pas très bons pour les citations dictées de mémoire. Nous avons peut-être massacré l’esprit aigre-doux de Flaubert à propos de Madame Bovary. Voilà pour aujourd’hui.