Ce matin, à mon grand étonnement, j’ai entendu par deux fois à la radio l’expression « abrégé la vie ». Il s’agissait du cas du Docteur Bonnemaison, urgentiste accusé par une infirmière d’avoir précipité la mort de personnes âgées sans espoir de guérison.
En jouant sur les mots, des malhonnêtes ou des inconscients parviennent à masquer sous le langage des réalités gênantes. Nous avons déjà vu les sourds céder la place aux malentendants, les aveugles être remplacés par les malvoyants et, innovations plus récentes, les handicapés devenir des personnes à mobilité réduite et les nains être enfin reconnus comme des personnes de petite taille. Un mien professeur suggérait il y a quelques années d’appeler malcomprenants ceux que l’on désigne d’ordinaire par un mot bref de trois lettres, avec un « o » en son milieu, vous avez reconnu, je suppose, les sots.
Je n’entends pas ici exprimer mon opinion sur cette affaire, ce blog ne me semble pas un lieu opportun pour le faire. Mais les choses seraient plus nettes si on se résolvait, en toute circonstance, à les désigner par leur nom et, comme le dit la sagesse populaire, à appeler un chat un chat.
Lorsque, - par une action criminelle, par imprudence, par accident ou encore par vengeance, par amour (ça existe paraît-il, « je l’aimais trop, Monsieur le Président, alors je l’ai tué(e) ! », par pitié, dans un but crapuleux, pour hériter - lorsque, quelles que soient les circonstances ou les raisons, on supprime une personne, eh bien, on la tue et par là-même, on abrège sa vie. La quasi-totalité des morts naturelles étant déjà prématurées, les morts violentes reviennent elles à abréger la vie.
Mais cet abrégement n’est qu’une conséquence de l’action mortelle. Pour abréger la vie de quelqu’un, il est indispensable de le tuer. Comme ce verbe tuer connote une telle charge de culpabilité, on lui substitue ici cette formule plus vénielle, qui va de surcroît jusqu’à évoquer la vie. On commence à exonérer partiellement l’auteur présumé d‘un homicide de sa responsabilité. On anticipe ainsi un jugement de clémence.
On fait fausse route. L’enquête cherchera à établir si ces personnes ont été tuées. Le procès déterminera ensuite les motivations de l’accusé, leur conformité avec la loi. Il examinera s’il s’agissait d’abréger des vies, dans cette formulation qui évoque irrésistiblement « abréger des souffrances ». Seulement alors, pas maintenant.