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NADAV LAPID : La révolution des tentes en Israël, il y aura un « avant » et un « après ».

Publié le 14 septembre 2011 par Mickabenda @judaicine

Nadav Lapid-judai-cine

A 36 ans, Nadav Lapid fait partie de la nouvelle vague de réalisateurs israéliens. A la différence de ses aînés (Cedar, Fox, Gitaï …), Nadav Lapid ne raconte pas la guerre, il nous montre la vie, mais la vie à l’israélienne avec tous ses paradoxes, ses ambiguïtés, ses contradictions et ses différences.Par Chantal Sutton pour le site Justinteresting.com

Q : Votre film «Policeman » (Hashoter en hébreu) a remporté cette année le prix spécial du jury au Festival de Locarno en Suisse ainsi que plusieurs prix au Festival de Jérusalem, dont celui  du meilleur scénario. Comment l’idée du film est-elle née?

Nadav Lapid : J’ai commencé à penser au scénario en 2006 et je l’ai réalisé en 2010.  Policeman raconte la vie d’un tireur d’élite israélien, un combattant au nom du pays.

Je voulais observer cette personne qui vit la guerre permanente, « notre » guerre permanente, aux moments les plus quotidiens, les plus simples, les moins dramatiques.

En décrivant la vie de tous les jours d’un combattant ou d’un tueur (cela dépend du point de vue), je voulais observer dans quelle mesure le combat et la violence peuvent faire partie des gestes physiques, des comportements routiniers.

Le personnage principal est à la fois fort et violent, puisqu’il fait régner l’ordre dans la ville, et à la fois tendre avec sa femme, viril avec ses amis, respectueux avec sa mère, cruel avec ceux qui sont hors de son groupe.

Il prend soin de son corps, parce qu’en Israël il y a un rapport au corps et à la sexualité très important mais également parce que même dans ses moments les plus paisibles, il s’entraîne pour son prochain défi personnel, qu’il drague une serveuse ou qu’il exerce son métier.

J’ai donc rassemblé en lui toutes les caractéristiques des hommes de ce pays pour en faire presqu’un archétype. Le policier du film est un concentré de la virilité israélienne, une version condensée, primaire et améliorée.
Q : L’intrigue touche aux problèmes de société du pays. Vous avez réalisé ce film l’an dernier, il sort en salle en octobre 2011 en Israël et il pointe les inégalités sociales qui ont provoqué les mouvements sociaux dans le pays. Vous l’aviez donc pressenti ?

Nadav Lapid : Les medias israéliens ont dit de ce film qu’il était “prophétique” en constatant qu’il avait anticipé l’insurrection sociale de cet été.

Je ne suis évidemment pas un prophète. Comme beaucoup d’autres, j’étais troublé par l’énorme injustice sociale dans le pays.

Contrairement aux journalistes, professeurs d’université, hommes politiques qui doivent coller à la réalité et au présent, je pouvais en tant que cinéaste m’autoriser à imaginer.

Que se passerait-il si quelqu’un décidait de se battre contre l’injustice sociale? C’est ainsi que le film est né dans mon esprit.
Q : Les inégalités sociales existent partout dans le monde. Pourquoi ce pays constituerait-il une exception ?

Nadav Lapid : Bien sûr que les inégalités sociales existent partout et que les écarts sociaux s’agrandissent dans le monde.

Sauf qu’en Israël, il y a un lien complexe entre l’état de guerre permanent, l’état mental des citoyens et les injustices sociales. Le conflit national se lie ici au conflit social.

Nous sommes élevés dans la hantise d’une menace existentielle. En Israël, protester contre des injustices sociales avait quelque chose de marginal voire d’illégitime.

On devait garder une pseudo-unité pendant qu’une minorité a profité de ce fait pour s’enrichir sur le compte d’une grande majorité. J’espère que ce qui s’est passé cet été annonce le début d’une prise de conscience.

Jusqu’à aujourd’hui, les écarts sociaux étaient ultra-présents dans notre vie quotidienne mais presque absents dans les médias et sur les écrans de cinéma.

Ce film déclenche de fortes discussions lors des projections privées que nous effectuons dans le pays. C’est à la fois un film social et un film politique.

Tellement d’ailleurs, que l’institution israélienne qui décerne les visas pour les sorties en salle a décidé dans un premier temps de l’interdire aux moins de 18 ans (ce qui arrive très rarement en Israël) sous prétexte « qu’il pourrait susciter de la violence contre les « riches ». La presse s’est emparée de ce fait et finalement l’institution est revenue en partie sur sa décision pour ne l’interdire qu’aux moins de 14 ans, ce que je trouve quand même ridicule.


Q : Vous avez conscience que la communauté juive en France observe un certain recul par rapport au cinéma israélien qui souvent donne des arguments aux adversaires d’Israël ?

Nadav Lapid : Je suis né ici et  je me donne le droit de  montrer mon pays tel qu’il est et tel que je le connais. Je crois que mon film n’est ni un film de gauche, ni un film de droite. Un film ce n’est pas un éditorial politique dans un journal. Je n’essaie pas de convaincre ni de véhiculer un message politique simpliste.

En tant que cinéaste, je ne suis intéressé à dénoncer ni les hommes de l’ordre représenté par le policier, ni les révolutionnaires. Je tente d’étaler leur existence sur l’écran d’une manière intellectuelle et sensuelle à la fois, de les exposer au public à travers leurs « grandes idées » et leurs « petites nuances ».

Dans « Le Policier »,  j’essaie de toucher à un thème qui me préoccupe : la virilité.

Ce sujet évidemment n’est pas spécifique à Israël mais ici la virilité s’attache à l’armée. La « sexualité » (l’image de l’Homme avec un grand H) est liée à l’idéologie et à l’engagement militaire. Etre un homme en Israël est aussi être un soldat. Nous sommes à la fois militaires et citoyens.


Q : Vous avez participé aux grandes manifestations sociales à Tel Aviv.  Il y avait plus de 300 000 personnes sur « Kikar Hamedina » le 3 septembre dernier. A votre avis, le mouvement risque-t-il de s’essouffler ?

Nadav Lapid : Je ne suis pas optimiste par rapport à la réaction des politiques et aux changements à court terme. Je crois que les exigences de ces protestations sociales se confrontent à la foi basique du centre politique en Israël.  Dans ses plus beaux moments, cette vague de protestations exige un changement radical de l’échelle sociale.

En même temps, j’espère et  je crois qu’après les manifestations de cet été, l’esprit qui souffle ici ne sera plus le même. Quelque chose de nouveau s’est réveillée dans l’âme israélienne qui était ensommeillée.

Il y aura un « avant »  et  un « après » révolution des tentes en Israël
Q : Vous parlez le Français couramment. D’où cela vient-il ?

Nadav Lapid : Ma mère était une francophile acharnée, fascinée par la culture et le cinéma français. Lorsque j’étais enfant, elle m’envoyait suivre des cours de Français. J’ai ainsi développé une admiration sans bornes pour des « icônes » françaises aussi différentes que  Napoléon dans mon enfance, ensuite Zinedine Zidane à l’adolescence, et enfin plus tard Jean Luc Godard.

A 23 ans,  j’ai eu presque le sentiment que le fait de n’être pas né en France était juste une circonstance malheureuse.

J’ai terminé mes trois années d’armée, je ne voulais pas vivre en Israël et je suis parti en France pour mettre mes idées en adéquation avec mon existence et mes croyances.

Banalement, je ne me suis jamais senti autant Israélien que durant ces deux années passées en France. Je faisais les pires boulots et je rêvais à mes projets cinématographiques.

Quand mon recueil de nouvelles « Danse encore » (traduit par Actes Sud en 2009) est  paru, j’ai décidé de rentrer au pays.

Quelques années plus tard après mes études cinématographiques, je suis revenu en France pour la sortie de mon moyen métrage : « La petite amie d’Emile » (Cannes 2006) et pour une « résidence d’écriture » que propose le Festival de Cannes à une petite sélection de cinéastes. C’est ainsi que j’ai développé le scénario du « Policier ».

Q : quels sont vos projets aujourd’hui ?

Nadav Lapid : Le film participera en octobre aux Festivals cinématographiques de New York et de Londres, et ensuite à beaucoup d’autres festivals dans le monde. Parallèlement, il sortira en salle en Israël fin octobre (je viens d’apprendre que le film est nominé pour les « oscars » israéliens).

En France, nous cherchons un distributeur. Par ailleurs, je commence à écrire le scénario de mon prochain film.

Par Chantal Sutton pour le site Justinteresting.com


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