(Aujourd'hui je blogue en déconnecté, alors pas de liens...)
Dans Libé, on interroge des blogueurs français et des journalistes étrangers : s'ils avaient la certitude que le célèbre SMS ("Si tu reviens..." -- bientôt le nom d'un nouveau parfum chez Dior, sûrement) était authentique, auraient-ils publié l'information. Tandis que les journalistes (étrangers) l'auraient publié, il semblerait que la plupart des "blogueurs" (on se demande de qui il s'agit) ne l'auraient pas fait.
Bien. Peu importe.
Ce qui commence à me porter sur les nerfs, c'est que le seul argument en faveur de la publication du SMS, la seule justification qui revient encore et encore, c'est que Sarkozy lui-même a enlevé la distinction entre vie privée et vie publique, en instrumentalisant celle-ci pour arranger ses affaires en celle-là. Disons que je n'ai rien contre cet argument, il est parfaitement valable, je n'en veux pas à ceux qui le reprennent.
Si ça finit par m'agacer, c'est que l'argument s'arrête toujours là. La plupart du temps on ajoute que Ségolène Royal en faisait autant pendant la campagne, comme si elle s'était affichée partout avec le trop désirable François Hollande. Et ensuite on lui reproche d'avoir trop dissimulé les problèmes dans sa relation avec son compagnon. Bref, c'était exactement pareil qu'entre Sarkozy et Cécilia et entre Sarkozy et Carla.
Ça finit par m'agacer, finalement, parce que ça reste sur la surface et n'engage pas la dimension proprement politique de la chose. Afficher ou non sa vie de couple pourrait ne pas avoir de conséquences ; ces questions pourraient très bien rester le domaine de la presse people. L'instrumentalisation de la vie privée pour des besoins d'image est en effet devenue courante, en France et ailleurs, et de ce fait elle constitue une invitation à la presse, et à une certaine presse... Toutefois, le cas Sarkozy est différent, profondément différent. Sa poursuite permanente de la popularité personnelle est indissociable d'une démarche politique consistant à réinterpréter les relations entre le Président de la R., le gouvernement, le Parlément, la Justice. La présidentialisation du pouvoir s'est accompagnée d'une personnalisation du pouvoir.
Nous sommes bien loin des conclusions purement théoriques et totalement enterrées de la commission Balladur. D'ailleurs, qui, à droite, parle encore de ces "réformes" ? A l'automne dernier, la présidentialisation du régime semblait s'imposer ; Sarkozy était la preuve vivante que de toute façon nous étions entrés dans un univers présidentiel. Modifier la Constitution se justifiait comme une manière de rendre plus "transparente" une réalité déjà en place. Avec la chute de la popularité du Très Grand Homme (TGH), ces perspectives ont disparu. La nouvelle sagesse veut que le Président soit calme et distant. C'est la preuve que la déformation des institutions que Sarkozy justifiait par la "légitimité du suffrage universel" et surtout par sa puissance de feu médiatique était directement liée à sa personnalité. Et cette personnalité était elle-même le produit d'une manipulation des images du bonhomme : Sarkozy qui fait ses footings, Sarkozy en Ray-Ban, Sarkozy qui envoie sa femme chez Kadhaffi, et ainsi de suite.
Donc, non seulement le TGH a-t-il gommé la distinction entre vie privée et vie publique, mais sa vie privée est devenue politique. La droite s'indigne de l'impitoyable "lynchage" dont le TGH est devenu l'objet ; mais ce "lynchage" -- plutôt timide à mon goût : les "lyncheurs" ont attendu, pour la plupart, la baisse du TGH dans les sondages avant d'accrocher leur corde à l'arbre -- concerne non pas un type qui fait des voyages avec sa copine, mais une façon de faire de la politique, une façon de concevoir les relations entre les institutions. Faut-il s'étonner qu'une politique fondée sur la personnalisation suscite une opposition tout aussi personnelle ?