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"Les Morues" de Titiou Lecoq

Publié le 14 septembre 2011 par Francisrichard @francisrichard

Lors du Livre sur les quais de Morges, dont j'ai rendu compte ici, j'ai eu l'occasion de rencontrer un certain nombre d'écrivains, d'acheter quelques livres, en m'imposant un budget à ne pas dépasser. Pour ne pas le dépasser, j'ai bien dû jeter mon dévolu à chaque fois de manière arbitraire, espérant que le hasard, guidé tout de même par mon instinct littéraire et mon intuition, ferait bien les choses.
En l'occurrence c'est d'abord le minois de l'auteur qui a attiré mon attention et notamment une fossette sur son visage, puis la couverture du livre - des jambes gainées de bas résilles autofixants avec jarretières, fantasme masculin bien connu -, enfin le contenu de la quatrième de couverture où le mot sémiotique a fait tilt, puisque mon fils aîné l'emploie de temps en temps devant moi et que mes neurones n'arrive toujours pas à en garder le sens.
Bref de mauvaises raisons pour un bon choix...
Vu l'âge de Titiou Lecoq, qu'elle ne cache pas - c'est, semble-t-il, de nos jours ringard pour une femme de le cacher -, je m'attendais à ce que Les Morues, publié Au diable vauvert ici (maison d'édition qui se trouve justement à Vauvert près de Nîmes, c'est-à-dire très loin, et dont le nom confirme, s'il en était besoin, pour les mécréants et les incrédules, l'existence de l'ange déchu...), je m'attendais donc à ce qu'il m'éclaire davantage sur la vie de mes deux fils, qui sont peu ou prou de la même génération que la charmante romancière.
Les Morues sont trois jeunes femmes, trentenaires comme l'auteur, qui ont décidé "d'introduire un minimum de cohérence au milieu de leurs contradictions d'héritières du féminisme" et de s'occuper elles-mêmes de leur émancipation sans la quémander aux hommes, sans leur mettre non plus tout sur le dos. Un beau jour d'ébriété elles décident d'élaborer une charte, la charte des Morues, dans laquelle elles traquent chez elles-mêmes les automatismes sexistes, qu'il s'agisse de généralités anti-mecs ou de sentences assassines pour discréditer une concurrente auprès des dits mecs.
Alice tient un bar et est l'initiatrice des Morues. Gabrielle est descendante de la maîtresse d'Henri IV, porte le même nom et fait théoriquement partie du beau monde. Ema est journaliste et s'occupe de la rubrique culture dans un canard de la presse écrite. Bientôt Fred va se joindre à ce club qui n'a rien à voir avec celui des cinq de la bibliothèque rose. Sans doute est-ce sa marginalité de surdoué qui ne supporte pas la notoriété - il veut vivre tranquille, donc heureux - qui l'a fait admettre auprès de ces trois filles délurées.
Une amie des Morues, Charlotte, est retrouvée morte chez elle. L'enquête judiciaire conclut à un suicide qui ne ressemble pas à l'état d'esprit connu de la défunte. Ema, aidée des autres Morues et surtout de Fred, mène sa propre enquête parce qu'elle est convaincue que ce suicide peut très bien cacher un meurtre. Il faut dire que Charlotte travaillait dans un cabinet, McKenture, chargé par le gouvernement de faire des propositions de privatisation du secteur public dans le cadre de la RGPP, Révision générale des politiques publiques. N'a-t-elle pas eu accès à des informations sensibles et inavouables ?
Cette enquête sert de toile de fond à une peinture de moeurs de notre époque qui est fort instructive, surtout pour les garçons. S'ils l'ignorent encore, ils sauront que les filles n'ont pas peur d'utiliser les mêmes mots crus qui leur étaient autrefois réservés dans les cours d'école. Elles se conduisent sexuellement comme jadis les mecs, depuis que le travail leur a donné leur indépendance. Les tabous sautent, mais non pas les prises de tête, malgré qu'elles en aient. Filles et garçons communiquent autrement, ou pas, à l'ère d'Internet, des téléphones mobiles, des forums et des blogs, ce qui accélère inévitablement leurs relations, mais ne les rend pas moins compliquées.
Dans ce premier roman, présenté dans un premier salon du livre pour Titiou Lecoq, celui de Morges, on ne s'ennuie pas une seconde. Il y a des passages hauts en couleur et pleins d'humour tels que l'attaque originale du Ministère de la Culture par des altermondialistes, le discours d'un jeune libertarien sur la privatisation des trottoirs ou le parcours kafkaïen d'un demandeur d'emploi en quête de conseiller à Pôle Emploi. Le vocabulaire utilisé par l'auteur est bien celui des jeunes gens d'aujourd'hui, mais il s'intègre étonnamment bien à un vocabulaire plus classique, qu'il enrichit en quelque sorte.
Francis Richard
Titiou Lecoq tient un blog : http://www.girlsandgeeks.com/
  


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