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Le projet de casino à Kahnawake serait hors la loi

Publié le 15 septembre 2011 par Alain Dubois

Les Mohawks de Kahnawake devront, pour une troisième fois, se prononcer sur la création d'un nouveau projet de casino sur leur territoire. Pourtant la création d'un casino et de tout autre salon de jeu (salon de poker, salle de bingo) est non seulement sans fondement anthropologique mais en regard de jugements de la Cour suprême du Canada, illégale...

Casino dans la mire du conseil de bande Mohawks de KahnawakeMalgré leur prétention, les Mohawks n'ont aucun droit ancestral sur lequel s'appuyer pour légitimer la présence de jeux d'argent et de hasard sur leur territoire. Si une décision de la Cour Suprême du Canada de 1999 a considéré que la pêche de subsistance était une activité ancestrale des Micmacs et qu’en conséquence de quoi ceux-ci n’étaient pas tenus d’observer les restrictions de pêche édictées par les lois provinciales (arrêt Marshall) (1). Si aussi on peut aussi comprendre que les Mohawks, qui étaient composés de tribus sédentaires pratiquant l'agriculture et le troc de tabac, évoquent un droit ancestral de commerce du tabac, pour fabriquer et vendre des cigarettes. Il en est tout autrement pour les jeux d'argent et de hasard (gambling) puisque les Mohawks ainsi que l'ensemble des communautés amérindiennes du Canada. Ignoraient jusqu'à l'arrivé des Européens, l'argent et la propriété privés. Chez les peuples aborigènes du Canada, les biens étaient collectifs et par conséquent, il ne pouvait y avoir des jeux d'argent et de hasard ou la présence de jeux qui impliquaient la perte de biens significative. Aucune preuve anthropologique ne peut étayer le bien-fondé d'une telle revendication, pas plus d'ailleurs que la présence d'entente et de traité qui évoquerait nommément un tel droit.

Afin de juridiquement justifier ses services, la Mohawk Internet Technologies, qui héberge environ 350 casinos (2) Internet, fait allusion, elle, à une tradition d’établissement de commerce ou de poste de traite :

«Philosophy of MIT Mohawk Internet Technologies (MIT) is a unique business initiative of the Mohawk Council of Kahnawake (MCK) and its business partners. Keeping with the historic tradition of the North American trading post, MIT serves as one of the predominant electronic business centers on the Internet. MIT is not a bank, casino, or on-line store, but rather the internet service provider for numerous e-businesses who enjoy fast, reliable internet access in a free-enterprise environment specifically geared towards cross-business alliances and development.» (3)

À notre connaissance, il n'y a aucune jurisprudence qui permet d'étayer cette prétention de l'entreprise, et ce, même si la plupart des communautés aborigènes du Canada pratiquaient le troc, et les sédentaires mohawks plus que les autres. De plus, comme il ne s'agit pas d'une propriété collective (communautaire) la vente de produits et services liés au gambling pourrait être difficilement assimilée à une tradition ancestrale, que celles-ci datent d'avant ou après l'arrivée des premiers Européens en Nouvel-France.

Plusieurs jugements sont venus, depuis une vingtaine d'années, baliser les droits des aborigènes du Canada, L’arrêt Van Der Peet qui aborde les rapports entre le titre aborigène et les droits ancestraux affirme :

«Les droits ancestraux découlent non seulement de l’occupation antérieure du territoire, mais aussi de l’organisation sociale antérieure et des cultures distinctives des peuples autochtones habitant ce territoire».(a)

Plus tard, le juge en chef Lamer dans l’arrêt Adams a précisé que les droits ancestraux ne se rattachent pas nécessairement à un territoire dans les termes suivants :

«Lorsqu’un groupe autochtone démontre qu’une coutume, pratique ou tradition particulière pratiquée sur le territoire concerné faisait partie intégrante de sa culture distinctive, ce groupe aura alors prouvé qu’il a le droit ancestral de s’adonner à cette coutume, pratique ou tradition, même s’il n’a pas établi qu’il a occupé et utilisé suffisamment le territoire en question pour étayer la revendication du titre sur celui-ci» (b).

Et le droit à l'autonomie gouvernementale

Il a fallu attendre l’affaire Pamajewon du 22 août 1996 (4) pour que le droit à l’autonomie gouvernementale soit invoqué pour la première fois comme argument principal pour des activités de jeux de hasard dans une réserve indienne.

Rappel des faits

Pamajewon et Jones sont membres de la Première Nation ontarienne de Shawanaga. Ils avaient tous deux organisé un bingo et d’autres activités de jeux de hasard dans la réserve entre 1987 et 1990. En mars 1993, ils sont reconnus coupables d’avoir tenu une maison de jeu, contrairement au paragraphe 20 -1- du Code criminel.

Dans cette cause, la Cour suprême du Canada a eu pour la première fois à statuer sur le droit à l’autonomie gouvernementale des autochtones.

Le jugement

Dans son analyse qui conduira au rejet de la requête, le juge en chef Lamer appliquera les critères élaborés dans l’arrêt Van Der Peet pour définir le contenu du droit à l’autonomie gouvernementale.

«La revendication des appelants comporte l’affirmation que le par. 35 -1- englobe le droit à l’autonomie gouvernementale, et que ce droit comprend le droit de réglementer les activités ;de jeux de hasard dans la réserve. A supposer, sans toutefois en décider, que le par. 35 -1- vise les revendications du droit à l’autonomie gouvernementale, la norme juridique pertinente n’en demeure pas moins celle établie dans l’arrêt Van Der Peet (…). A supposer que les revendications du droit à l’autonomie gouvernementale autochtone sont visées par le par. 35 -1-, ces revendications doivent être examinées à la lumière des objets sous-jacents de cette disposition et, par conséquent, être appréciés au regard du critère tiré de l’analyse de ces objets. Il s’agit du critère établi dans Van Der Peet. Dans la mesure où elles peuvent être présentées en vertu du par. 35 -1-, les revendications d’autonomie gouvernementale ne diffèrent pas des autres prétentions à la jouissance de droits ancestraux, et elles doivent, de ce fait, être appréciées au regard de la même norme » (5).

Dans, Van Der Peet, la Cour a énoncé le critère qui permet de déterminer l’existence d’un droit ancestral. « Pour constituer un droit ancestral, une activité doit être un élément d’une coutume, pratique ou tradition faisant partie intégrante de la culture distinctive du groupe autochtone qui revendique le droit en question» (143). Dans sa démarche, la Cour doit d’abord déterminer la nature du droit ancestral revendiqué, ensuite, l’activité doit faire partie intégrante de la culture distinctive du groupe autochtone.

Dans l’arrêt Pamajewon, les appelants revendiquaient le droit à la gestion et à l’utilisation des terres de la réserve en vertu du droit à l’autonomie gouvernementale.

Or ici, la Cour caractérise le droit comme étant celui de participer et de réglementer les jeux de hasard sur la réserve. Dès lors, elle situe le débat sur la réglementation des jeux et non sur celui du droit à l’autonomie gouvernementale comme l’y invitaient les appelants.

Le juge Lamer affirme :

«Les appelants demandent (…) à notre Cour de caractériser leur revendication de "droit général de gérer l’utilisation des terres de leurs réserves". Caractériser ainsi la revendication des appelants aurait pour effet d'assujettir l’examen de la Cour à un degré excessif de généralité» (144).

Le juge L’Heureux - Dubé qui est d’accord pour dire que la caractérisation serait trop générale, mais elle ajoute: «En l’espèce, afin d’apprécier correctement la portée du droit (revendiqué), nous devons caractériser la revendication de façon générale, puis déterminer si, en l’occurrence, la première nation Shawanaga (…) et la première nation de Eagle Lake (...) possèdent un droit ancestral existant de s’adonner aux jeux de hasard».

Dans la seconde étape du raisonnement, l’appelant doit prouver que l’activité revendiquée fait partie intégrante de la culture distinctive du groupe autochtone.

Le juge Lamer conclu :

«La preuve présentée (…) n’établit pas que les jeux de hasard ou la réglementation de telles activités faisaient partie intégrante de la culture distinctive de la première nation de Eagle Lake».

Pour le juge L’Heureux-Dubé :

«Compte tenu de la preuve présentée, il est impossible d’affirmer que les jeux de hasard, en tant que pratique, ont un lien suffisant avec le sentiment d’identité et le désir de préservation des sociétés autochtones auxquelles les appelants appartiennent pour justifier de reconnaître à ces activités la protection du paragraphe 35 (1)».

Les jugements de la Cour suprême sont explicitent, les mohawks, tout comme les autres nations aborigènes du Canada ne possèdent pas le droit d'exploiter ou de gérer des établissements de jeux d'argent et de hasard. Les déclarations de personnalités mohawks reliées à l'industrie du gambling telles qu' Alan Goodleaf, président de la Kahnawake Gaming Commission (citation, plus bas), qui affirme le contraire, n'ont, par conséquent, aucune assise juridique. Tous ceux qui exploite, gère et fréquente un des nombreux établissements de jeu d'argent et de hasard dans la réserve mohawk de Kahnawake enfreignent la loi et commettent un acte criminel.

«Nous avons un conseil mohawk élu, vous avez un gouvernement provincial élu. C'est une question de juridiction politique. La commission ne s'occupe pas de cela. Notre rôle est de garder le jeu le plus honnête possible, et c'est là que nous intervenons.» Alan Goodleaf.

Casino Mohawks de KahnawakeIl est important de rappeler ici que lors d'un référendum qui a eu lieu en septembre 2003, les Mohawks de Kahnawake refusaient, à 57% la création d'un casino sur leur territoire. Ce pourcentage était de 4% supérieur au résultat du référendum qui avait eu lieu neuf ans auparavant.

Malgré la vive opposition de la population de Kahnawake à l'expansion des jeux d'argent dans leur communauté des promoteurs mohawks sans scrupules ont transformé ce territoire en capitale mondiale des casinos virtuels. Pour les opposants d'alors, dont de nombreux traditionalistes, les jeux d'argent et de hasard ne sont aucunement reliés à une tradition mohawk ou amérindienne comme l'affirmaient ses promoteurs, tels que l'ex-chef Joe Norton. Ce dernier est (était?) non seulement un important actionnaire d'«Absolute Poker» mais il est aussi un des fondateurs de la Kahnawake Gaming Commission.

De toute évidence, le nouveau projet de casino (maison de jeu) présenté en avril dernier par l'actuel conseil de bande représente, tout comme le développement de salons de poker dans la réserve est pour ces promoteurs autant de façon de contourner le référendum perdu et faire entrer dans la réserve les jeux d'argent et de hasard.

Dans un état de droit, tous les citoyens doivent, en regard de la justice, être traités également. L'absence de volonté politique de faire respecter les lois dans les territoires mohawks correspond non seulement à un grave déni de justice pour les citoyens mohawks respectueux des lois (la grande majorité) et les autres citoyens du Québec, mais aussi une grave atteinte aux valeurs démocratiques, puisque dans un état de droits, il ne saurait y avoir deux justices et deux catégories de citoyens.

Référence:

  • a) R.C. Van Der Peet, p. 562.
  • b) R.c. Adams (1996) 3 R.C.S. p. 117.
  • 1) R. c. Marshall, (1999) 3 R.C.S. 533
  • 2) À l'heure actuelle et et suite aux dernières interventions juridiques dans ce secteur de plusieurs gouvernements, particulièrement celui des États-Unis le nombre de sites actuellement hébergés à Kahnawake a probablement diminué.
  • 3) Source: http://www.agglo.info/Ce-qu-il-en-reste / http://studioblog.free.fr/wordpress/?p=7&language=fr
  • 4 Pamajewon (1996) 2 R.C.S. 821.
  • 5) Pamajewon, ibid., pp. 832-833

(*) La Facture, Jouer ou se faire jouer sur Internet?


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