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La Bidonvilisation

Publié le 15 septembre 2011 par Jean-Olthène Tanisma
Depuis environ cinq ans, j’ai pu recenser une cinquantaine de textes et d’études issus notamment d’experts et d’observateurs de notre diaspora, sur la taudification à outrance de la capitale haïtienne. Dans des fora où j’ai eu l’occasion de participer, cette problématique a occupé une bonne partie des échanges entre les membres, de 2004 à 2009. Elle demeure encore aujourd’hui d’actualité, parallèlement aux urgentes priorités auxquelles Haïti fait face. Rappelons que l’exode rural a joué un rôle capital dans le processus.
En effet, vers la fin de la première moitié du 20ème siècle, Port-au-Prince est devenue le  pôle d'attraction principale des populations des autres villes du pays et de leurs localités périphériques, compte tenu d'une part de la présence de nombreux équipements publics et de services qu'offre la capitale et, d'autre part, de l'attraction "naturelle" que celle-ci exerce sur les familles et  les ménages de l'arrière pays. Les provinces se vident progressivement. Le sentiment d'appartenance, manifestation individuelle intrinsèque d'attachement au territoire natal, ingrédient clé dans le processus de consolidation des communautés en occident et ailleurs, n'a pas constitué une motivation assez forte pour retenir les populations dans leurs régions.
Jusque-là, le phénomène de l'exode rural n'a pas encore d'impacts négatifs sévères sur les tissus urbains des grandes agglomérations, car la première vague d'émigrés ruraux et leurs familles disposent de moyens pécuniaires modestes pour subvenir à leurs besoins en logements décents et vivables dans les villes-centre.
Le problème a atteint des proportions incontrôlables, lorsque vers la deuxième moitié du siècle dernier, les masses paysannes, abandonnant l'agriculture traditionnelle par obligation, démunies de ressources financières suffisantes pour assurer leur survie et, aux prises, de surcroît, avec un taux d'analphabétisme extrêmement élevé, ont pris d'assaut les la Capitale et quelques villes principales. De plus, les déversements massif continuels camions de paysans et de jeunes gens de l’arrière-pays lors des manifestations politiques organisées par le régime duvaliériste, ont fortement contribué durant environ vingt ans, à saigner à blanc les provinces tout en augmentant de façon explosive le poids démographique de la capitale.
Devant la déchéance des institutions étatiques d'alors, incapables d'assumer leurs responsabilités en matière de planification de logements et de réalisation d'une politique agricole intégrée, les nouveaux migrants se sont rués vers les secteurs informels. On mesure avec horreur et désespoir aujourd’hui, l'ampleur du phénomène dans la trame urbaine. Le grand rêve port-au-princien, capois ou gonaïvien s'est évanoui et s'est transformé en cauchemars quotidiens pour des centaines de milliers de migrants urbains, le mot d'ordre étant désormais, "survivre à tous prix!".
Au-delà des considérations à caractère politique inévitablement sous-jacents à l'existence et au maintien de ces taudis, on ne peut occulter pour autant l’ampleur des effets psychologiques de la déception, de la tristesse et des rancœurs qui ont imprégné le quotidien ces nouveaux migrants urbains. Cette situation nous permet de mieux saisir (pas nécessairement d'accepter!) la multiplicité des visages de la violence ainsi que l'importance impérieuse d'éradiquer ces blessures ouvertes dans nos agglomérations pour le bien-être de tous. Il va sans dire que ce phénomène génère aussi des effets dévastateurs sur la santé des habitants tout en favorisant des promiscuités de toutes sortes telles que les trafics illicites, la violence, le kidnapping et leurs cohortes de misères sociales corollaires. On se rend compte, d'emblée, que les solutions ou les pistes de solution n'interpellent pas seulement des approches de nature urbanistique, mais aussi et surtout, en amont, une volonté politique inflexible appuyée par une solide planification intégrant des équipes multidisciplinaires.
La permanence de cette situation catastrophique rend illusoire le relèvement du tourisme comme levier complémentaire de développement dans le pays.
Des pistes de solutions possibles
Plutôt que d'énumérer des projets d'aménagement particuliers, j'aimerais illustrer quelques approches courantes proposées par certains pays en proie avec se fléau urbain planétaire.
1) L'aménagement de lotissements et d'unités d'accueil en périphérie
Beaucoup de pays du Tiers-monde et en voie de développement ont opté pour cette approche qui leur permet de planifier adéquatement des espaces jouxtant les agglomérations urbaines satellisées par l'habitat insalubre. Auparavant des recensements socio-économiques et démographiques ont été effectués par les autorités compétentes en collaboration avec les familles pour identifier leur besoins. Plusieurs cellules de travail intégrant les institutions étatiques et des comités issus de l'intérieur des secteurs "taudifiés" sont mises sur pied pour faciliter la transition et le cas échéant pour désamorcer d'éventuelles oppositions des groupes qui auraient des intérêts politiques partisans divergents.
Ces unités d'accueil sont aménagées en conformité à des normes de santé, d'accessibilité et de sécurité de base telles que l'approvisionnement en eau potable et en énergie électrique et la mise sur pied de programmes d'enlèvement des déchets domestiques. À cet égard, des ONG locales sont mises à contribution selon un programme déterminé par les pouvoirs publics compétents.
Cette approche ainsi que les projets qui en découlent, s'inscrivent assez souvent dans les programmes d'éradication de bidonvilles de L'ONU-Habitat. Le Maroc, l'Algérie, le Sénégal, le Burkina Faso, le Cameroun, etc., pour ne citer que ces pays, ont réalisé des progrès tangibles au cours des dix dernières années dans l'éradication de l'habitat spontané autour de leurs agglomérations urbaines.
Mais, au-delà des aspects techniques de la planification des ces espaces d'accueil, il convient surtout de mentionner la  ferme volonté des dirigeants à réaliser cet objectif colossal qui constitue en quelque sorte l'une des portes d'entrée incontournables des devises étrangères dans leur pays tel que mentionné.
 2) L'éradication spontanée et "musclée" des secteurs de taudis.
Bien que cette méthode soit décriée par bon nombre d'experts du monde académique international, les autorités compétentes de certains pays ont dû prendre d'assaut régulièrement les habitats spontanés, face à la résistance chronique des populations qui y vivent. Dans certains cas, la planification de zones d'hébergement et d'accueil est défaillante pour des raisons socio-politiques et logistiques (indisponibilité de terrains, ségrégation spatiale, tensions interethniques, etc.).
C'est notamment le cas de la Turquie où les Gecekondu (littéralement : construction érigée la nuit) ont envahi depuis plus de cinquante ans les grandes métropoles dont Istanbul. Des échauffourées d'une violence inouïe se produisent régulièrement entre les forces de l'ordre et les résidents illégaux. Cependant, dans le cas de ce pays, il importe de souligner que les Gecekondu, constituent le point de convergence des familles de l'arrière pays, issues de différentes factions interreligieuses et interethniques, d'où la difficulté des pouvoirs politiques de procéder à leur éradication systématique.
La résolution de cette situation chronique s'avère extrêmement cruciale pour l'image de ce pays, héritier de l'une des civilisations les plus marquantes de l'histoire de l'humanité, de l'Empire romain d'orient (330) jusqu'à l'Empire Ottoman dissoute en 1922, avant de devenir la Turquie moderne.
Le Brésil a dû recourir également durant la seconde moitié du 20ème siècle à de telles approches. La venue de Lula Da Silva, un gouvernement de gauche, bien imbu des réalités socio-économiques et politiques des favelas, a contribué à contrôler et à réduire leur propension autour de Rio et des autres métropoles brésiliennes. Il en reste beaucoup à faire.
...Et la Perle des Antilles ?  Bien malin qui saurait prévoir l'avenir! Néanmoins, Haïti possède toutes les ressources humaines et économiques pour procéder à l'éradication rapide ou à une gestion plus saine de ces cités autour des agglomérations urbaines majeures, si l'on tient compte des budgets disponibles par…les bailleurs de fonds ainsi que l’abondance de la main d’œuvre.
Les gouvernements précédents ont démontré leur impuissance déconcertante à éradiquer et à contrôler la bidonvilisation du pays. Le séisme apocalyptique du 12 janvier 2010 offrait l’occasion à l’ensemble des acteurs impliqués de reconstruire physiquement la capitale sur des bases solides et durables, cependant plus d’une année depuis cette catastrophe, les actions musclées appropriées se font attendre. Face à cette léthargie, d’autres vendeurs d’illusions convertis pour l’occasion en experts provenant de toutes parts, sont venus occuper l’espace en proposant chacun des solutions ponctuelles pour cautériser cette gangrène. Trop nombreuses et de surcroît incohérentes, ces interventions sont vouées à l’échec d’autant plus qu’il n’existe aucune instance de coordination gouvernementale sérieuse, apte à centraliser et à gérer cette panoplie de projets et de programmes. D’où le chaos actuel dans le tissu urbain.
Toutefois, le nouveau gouvernement, par sa victoire sans appel aux urnes, issue de la majorité des populations victimes, dispose du pouvoir total d’amorcer sans crainte la réhabilitation de l’agglomération port-au-princienne conformément aux principes du développement durable et dans le respect des populations. Cependant, en amont du processus, il se profile un énorme travail de planification, de communications et de recensement incontournable avant que les multiples spécialistes planchent sur leurs tables à dessins. Ce test démontrera aux haïtiens et à la communauté internationale la capacité réelle des nouveaux élus à accorder…leurs partitions! Il est midi moins cinq pour entamer de manière crédible la lutte que nécessite cet incommensurable défi socio-économique et environnemental.

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