Depuis environ cinq ans, j’ai pu recenser une
cinquantaine de textes et d’études issus notamment d’experts et d’observateurs
de notre diaspora, sur la taudification à outrance de la capitale haïtienne.
Dans des fora où j’ai eu l’occasion de participer, cette problématique a occupé
une bonne partie des échanges entre les membres, de 2004 à 2009. Elle demeure
encore aujourd’hui d’actualité, parallèlement aux urgentes priorités auxquelles
Haïti fait face. Rappelons que l’exode rural a joué un rôle capital dans le
processus.
En effet, vers la fin de la première moitié du
20ème siècle, Port-au-Prince est devenue le
pôle d'attraction principale des populations des autres villes du pays
et de leurs localités périphériques, compte tenu d'une part de la présence de
nombreux équipements publics et de services qu'offre la capitale et, d'autre
part, de l'attraction "naturelle" que celle-ci exerce sur les
familles et les ménages de l'arrière
pays. Les provinces se vident progressivement. Le sentiment d'appartenance,
manifestation individuelle intrinsèque d'attachement au territoire natal,
ingrédient clé dans le processus de consolidation des communautés en occident et
ailleurs, n'a pas constitué une motivation assez forte pour retenir les
populations dans leurs régions.
Jusque-là, le phénomène de l'exode rural n'a pas
encore d'impacts négatifs sévères sur les tissus urbains des grandes
agglomérations, car la première vague d'émigrés ruraux et leurs familles
disposent de moyens pécuniaires modestes pour subvenir à leurs besoins en
logements décents et vivables dans les villes-centre.
Le problème a atteint des proportions
incontrôlables, lorsque vers la deuxième moitié du siècle dernier, les masses
paysannes, abandonnant l'agriculture traditionnelle par obligation, démunies de
ressources financières suffisantes pour assurer leur survie et, aux prises, de
surcroît, avec un taux d'analphabétisme extrêmement élevé, ont pris d'assaut
les la Capitale et quelques villes principales. De plus, les déversements
massif continuels camions de paysans et de jeunes gens de l’arrière-pays lors
des manifestations politiques organisées par le régime duvaliériste, ont fortement
contribué durant environ vingt ans, à saigner à blanc les provinces tout en
augmentant de façon explosive le poids démographique de la capitale.
Devant la déchéance des institutions étatiques
d'alors, incapables d'assumer leurs responsabilités en matière de planification
de logements et de réalisation d'une politique agricole intégrée, les nouveaux
migrants se sont rués vers les secteurs informels. On mesure avec horreur et
désespoir aujourd’hui, l'ampleur du phénomène dans la trame urbaine. Le grand
rêve port-au-princien, capois ou gonaïvien s'est évanoui et s'est transformé en
cauchemars quotidiens pour des centaines de milliers de migrants urbains, le
mot d'ordre étant désormais, "survivre à tous prix!".
Au-delà des considérations à caractère politique
inévitablement sous-jacents à l'existence et au maintien de ces taudis, on ne
peut occulter pour autant l’ampleur des effets psychologiques de la déception,
de la tristesse et des rancœurs qui ont imprégné le quotidien ces nouveaux migrants
urbains. Cette situation nous permet de mieux saisir (pas nécessairement
d'accepter!) la multiplicité des visages de la violence ainsi que l'importance
impérieuse d'éradiquer ces blessures ouvertes dans nos agglomérations pour le
bien-être de tous. Il va sans dire que ce phénomène génère aussi des effets
dévastateurs sur la santé des habitants tout en favorisant des promiscuités de
toutes sortes telles que les trafics illicites, la violence, le kidnapping et
leurs cohortes de misères sociales corollaires. On se rend compte, d'emblée,
que les solutions ou les pistes de solution n'interpellent pas seulement des
approches de nature urbanistique, mais aussi et surtout, en amont, une volonté
politique inflexible appuyée par une solide planification intégrant des équipes
multidisciplinaires.
La permanence de cette situation catastrophique
rend illusoire le relèvement du tourisme comme levier complémentaire de
développement dans le pays.
Des pistes
de solutions possibles
Plutôt que d'énumérer des projets d'aménagement
particuliers, j'aimerais illustrer quelques approches courantes proposées par
certains pays en proie avec se fléau urbain planétaire.
1)
L'aménagement de lotissements et d'unités d'accueil en périphérie
Beaucoup de pays du Tiers-monde et en voie de
développement ont opté pour cette approche qui leur permet de planifier
adéquatement des espaces jouxtant les agglomérations urbaines satellisées par
l'habitat insalubre. Auparavant des recensements socio-économiques et
démographiques ont été effectués par les autorités compétentes en collaboration
avec les familles pour identifier leur besoins. Plusieurs cellules de travail
intégrant les institutions étatiques et des comités issus de l'intérieur des
secteurs "taudifiés" sont mises sur pied pour faciliter la transition
et le cas échéant pour désamorcer d'éventuelles oppositions des groupes qui
auraient des intérêts politiques partisans divergents.
Ces unités d'accueil sont aménagées en conformité
à des normes de santé, d'accessibilité et de sécurité de base telles que
l'approvisionnement en eau potable et en énergie électrique et la mise sur pied
de programmes d'enlèvement des déchets domestiques. À cet égard, des ONG locales
sont mises à contribution selon un programme déterminé par les pouvoirs publics
compétents.
Cette approche ainsi que les projets qui en
découlent, s'inscrivent assez souvent dans les programmes d'éradication de
bidonvilles de L'ONU-Habitat. Le Maroc, l'Algérie, le Sénégal, le Burkina Faso,
le Cameroun, etc., pour ne citer que ces pays, ont réalisé des progrès
tangibles au cours des dix dernières années dans l'éradication de l'habitat
spontané autour de leurs agglomérations urbaines.
Mais, au-delà des aspects techniques de la
planification des ces espaces d'accueil, il convient surtout de mentionner
la ferme volonté des dirigeants à
réaliser cet objectif colossal qui constitue en quelque sorte l'une des portes
d'entrée incontournables des devises étrangères dans leur pays tel que
mentionné.
2)
L'éradication spontanée et "musclée" des secteurs de taudis.
Bien que cette méthode soit décriée par bon nombre
d'experts du monde académique international, les autorités compétentes de
certains pays ont dû prendre d'assaut régulièrement les habitats spontanés,
face à la résistance chronique des populations qui y vivent. Dans certains cas,
la planification de zones d'hébergement et d'accueil est défaillante pour des
raisons socio-politiques et logistiques (indisponibilité de terrains,
ségrégation spatiale, tensions interethniques, etc.).
C'est notamment le cas de la Turquie où les Gecekondu (littéralement : construction
érigée la nuit) ont envahi depuis plus de cinquante ans les grandes métropoles
dont Istanbul. Des échauffourées d'une violence inouïe se produisent
régulièrement entre les forces de l'ordre et les résidents illégaux. Cependant,
dans le cas de ce pays, il importe de souligner que les Gecekondu, constituent le point de convergence des familles de
l'arrière pays, issues de différentes factions interreligieuses et
interethniques, d'où la difficulté des pouvoirs politiques de procéder à leur
éradication systématique.
La résolution de cette situation chronique s'avère
extrêmement cruciale pour l'image de ce pays, héritier de l'une des
civilisations les plus marquantes de l'histoire de l'humanité, de l'Empire
romain d'orient (330) jusqu'à l'Empire Ottoman dissoute en 1922, avant de
devenir la Turquie moderne.
Le Brésil a dû recourir également durant la
seconde moitié du 20ème siècle à de telles approches. La venue de Lula Da
Silva, un gouvernement de gauche, bien imbu des réalités socio-économiques et
politiques des favelas, a contribué à
contrôler et à réduire leur propension autour de Rio et des autres métropoles
brésiliennes. Il en reste beaucoup à faire.
...Et la
Perle des Antilles ?
Bien malin qui saurait prévoir l'avenir!
Néanmoins, Haïti possède toutes les ressources humaines et économiques pour
procéder à l'éradication rapide ou à une gestion plus saine de ces cités autour
des agglomérations urbaines majeures, si l'on tient compte des budgets
disponibles par…les bailleurs de fonds ainsi que l’abondance de la main d’œuvre.
Les gouvernements précédents ont démontré leur
impuissance déconcertante à éradiquer et à contrôler la bidonvilisation du
pays. Le séisme apocalyptique du 12 janvier 2010 offrait l’occasion à
l’ensemble des acteurs impliqués de reconstruire physiquement la capitale sur
des bases solides et durables, cependant plus d’une année depuis cette
catastrophe, les actions musclées appropriées se font attendre. Face à cette
léthargie, d’autres vendeurs d’illusions convertis pour l’occasion en experts
provenant de toutes parts, sont venus occuper l’espace en proposant chacun des
solutions ponctuelles pour cautériser cette gangrène. Trop nombreuses et de
surcroît incohérentes, ces interventions sont vouées à l’échec d’autant plus
qu’il n’existe aucune instance de coordination gouvernementale sérieuse, apte à
centraliser et à gérer cette panoplie de projets et de programmes. D’où le
chaos actuel dans le tissu urbain.
Toutefois, le nouveau gouvernement, par sa victoire
sans appel aux urnes, issue de la majorité des populations victimes,
dispose du pouvoir total d’amorcer sans crainte la réhabilitation de
l’agglomération port-au-princienne conformément aux principes du développement
durable et dans le respect des populations. Cependant, en amont du processus,
il se profile un énorme travail de planification, de communications et de
recensement incontournable avant que les multiples spécialistes planchent sur
leurs tables à dessins. Ce test démontrera aux haïtiens et à la communauté
internationale la capacité réelle des nouveaux élus à accorder…leurs
partitions! Il est midi moins cinq pour entamer de manière crédible la lutte
que nécessite cet incommensurable défi socio-économique et environnemental.