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Madagascar : le très lent processus de démocratisation après le putsch du 17 mars 2009

Publié le 16 septembre 2011 par Sylvainrakotoarison

Ce vendredi 16 mars 2011 entre 15h00 et 17h00 (heure de Paris), un événement pourrait donner un petit coup d’accélérateur à la très laborieuse période de transition malgache : la signature de la fameuse feuille de route par toute la classe politique. Mais celle-ci, divisée en multiples factions, comportant plusieurs centaines de partis, ne semble pas vraiment prête à la réconciliation nationale.

yartiMada20110901Dans quelques heures aura peut-être lieu la fin d’une période de trente mois de gâchis démocratique à Madagascar. Ou pas.

Mais au fait, vous souvenez-vous bien des événements politiques à Madagascar ? Alors que le pays commençait lentement à récupérer des troubles de 2001-2002, il a replongé début 2009 dans une paralysie politique et économique qui n’en finit pas. Le 7 février 2009, des tirs nourris ont tué des dizaines de manifestants. Il n’y a encore jamais vraiment eu d’enquête impartiale sur cette journée de massacre et les responsabilités n’ont pas été clairement identifiées.

Un pouvoir anticonstitutionnel

Principal juge, l’armée avait lâché le 17 mars 2009 le Président Marc Ravalomanana réélu régulièrement en 2006 au profit d’une Haute Autorité de la Transition (HAT) dont la Présidence fut attribuée au jeune maire de Tananarive, Andry Rajoelina, lui aussi (comme son prédécesseur) riche entrepreneur.

À l’époque, formellement, Marc Ravalomanana avait signé une ordonnance pour transférer ses pouvoirs à un directoire d’officiers, dirigé par le vice-amiral Hippolyte Rarison Ramaroson, qui lui-même a retransféré immédiatement ces pouvoirs à Andry Rajoelina, transfert validé par la Haute Cour constitutionnelle (HCC) dès le lendemain (Acte 79-HCC/G du 18 mars 2009) même si ce n’était pas dans ses attributions, institution suprême dont les locaux furent occupés par les militaires quelques semaines plus tard (le 28 avril 2009).

Aujourd’hui, deux ans et demi après ce coup d’État, qu’en est-il ? Où va le pays ?

Un régime transitoire de croisière

Andry Rajoelina est toujours au pouvoir et gouverne avec un Premier Ministre militaire qu’il a confirmé le 26 mars 2011, Camille Vital (69 ans) nommé le 20 décembre 2009. Un prédécesseur de Camille Vital, qui tentait de faire consensus pendant la Transition et qui conteste toujours son éviction, Monja Roindefo (46 ans), a annoncé le 19 avril 2011 sa candidature à l’élection présidentielle (il avait déjà été candidat en 2006).

Ceux qui s’intéressent de près à la vie politique malgache ne peuvent qu’être déconcertés par son exceptionnelle complexité. On parle de trois "mouvances", de six "entités" puis de onze "entités", de groupes informelles de concertation, de nombreuses organisations politiques ou de "société civile" souvent représentant des intérêts très particuliers et en premier lieu, la carrière d’un certain nombre d’hommes (et de femmes) politiques.


Un référendum pour une timide reconstitutionnalisation du pouvoir


L’élément principal de cette longue période de transition sans fruit vraiment neuf, ce fut le référendum du 17 novembre 2010 (il y a déjà presque un an !) dont les résultats publiés officiellement le 6 décembre 2010 furent mi-figue mi-raison.
Les opérations électorales ont même donné lieu à un nouveau putsch qui fut déjoué cinq jours plus tard.

Il s’agissait de ratifier la nouvelle Constitution malgache qui légitime notamment la présence d’Andry Rajoelina à la tête de l’État. Présenté par le Comité consultatif constitutionnel le 24 septembre 2010, le texte aborde l’élément essentiel dans son article 168 : « Jusqu’à l’investiture du nouveau Président de la République, Monsieur Andry Nirina Rajoelina continue d’exercer , en sa qualité de Président de la Haute Autorité de la Transition, les fonctions de Chef de l’État. ».

La nouvelle Constitution a légitimé également la Commission électorale nationale indépendante (CENI) mise en place en mars 2010 dont le rôle reste aujourd’hui majeur dans la mise en place des nouvelles institutions même si les partis d’opposition refusent encore d’y participer.

La nouvelle Constitution a également réduit l’âge légal pour être candidat à la Présidence de la République : passé de 40 à 35 ans à la date de clôture du dépôt des candidatures. Rappelons qu’Andry Rajoelina, né le 30 mai 1974, n’a que 37 ans (mais avait 34 ans au moment de prendre le pouvoir).

Le référendum du 17 novembre 2010 a donc donné une base démocratique au pouvoir d’Andry Rajoelina. Les résultats ne sont cependant pas très probants sur le soutien populaire. Sur les 7 151 223 électeurs inscrits, seulement 52,6% ont participé au vote et parmi ceux-ci, 74,2% (2 657 962 électeurs) ont répondu "oui", soit 37,2% des inscrits.
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À titre de comparaison, Nicolas Sarkozy a été élu le 6 mai 2007 Président de la République française par 53,1% des suffrages exprimés mais 42,7% seulement des inscrits, tandis que ses prédécesseurs l’ont été autour de ce même résultat : Jacques Chirac 62,0% (5 mai 2002) et 39,4% des inscrits (7 mai 1995), François Mitterrand 43,8% (8 mai 1988) et 43,2% des inscrits (10 mai 1981), Valéry Giscard d’Estaing 43,8% des inscrits (19 mai 1974), Georges Pompidou 37,5% des inscrits (15 juin 1969) et Charles De Gaulle 45,3% des inscrits (19 décembre 1965).

Comme on le voit, Andry Rajoelina n’a par conséquent pas moins de légitimité, sur le papier, que Georges Pompidou même si son arrivée au pouvoir est de toute façon largement antidémocratique. La faible participation au référendum et la réponse finale positive ont donné deux signaux contradictoires sur ce que pouvait être la volonté populaire.

Quoi qu’il en soit, Andry Rajoelina a promulgué en grandes pompes le 11 décembre 2010 la nouvelle Constitution qui installe la IVe République de Madagascar en même temps que l’inauguration du nouvel Hôtel de Ville de Tananarive (brûlé lors du massacre du 13 mai 1972 et qu’il a décidé de reconstruire lorsqu’il était maire de 2007 à 2009) et que le quatre centième anniversaire de la capitale.
Un calendrier électoral inexistant
Et maintenant, concrètement, quelles sont les perspectives électorales des Malgaches ? Car c’est bien de cela qu’il s’agit.
La CENI, sur son site Internet, indique curieusement à l’onglet "Calendrier électoral" la mention : « En cours de préparation ». Cela résume bien l’affaire. Selon la feuille de route, c’est à la CENI que revient la détermination du calendrier électoral. Mais son président, Hery Rakotoamanana, attend un décret de la part du pouvoir exécutif : « Ce serait l’idéal à condition que la majorité, pour ne pas dire tout le monde, veuille avancer concrètement vers les élections. ».

Car des élections, le Président autoproclamé en a promis depuis longtemps. Le 12 mai 2010, par exemple, il proposait de fixer les élections législatives au 30 septembre 2010 et l’élection présidentielle au 26 novembre 2010. La dernière fois, c’était le 2 mars 2011 où il disait : « Il faut mettre fin à la transition avant la fin de cette année. Les présidentielles et les législatives se tiendront entre le 1er mai et le 30 novembre 2011. ».

Le 30 novembre est une date vraiment limite pour l’année à Madagascar car elle correspond au début de la saison des pluies et les transports deviennent alors très pénibles dans les régions où il n’y a pas de route goudronnée. Or, aucune date n’a encore été décidée au 15 septembre 2011, ce qui donne une grande probabilité pour que les élections générales soient une fois encore reportées au mieux vers le mois de mai 2012.

Cependant, la responsabilité d’Andry Rajoelina n’est pas la seule en cause. Il a bien sûr tout intérêt à faire durer la transition puisqu’il en assure la Présidence. Mais des proches de son prédécesseur, Marc Ravalomanana, semblent eux aussi vouloir faire durer les choses afin de prouver que la transition s’enlise et revenir en force au moment adéquat.

Une médiation internationale de la SADC

Il n’est pas besoin de faire la politique du pire pour quand même s’enliser. Car la méthodologie pour résoudre la crise malgache est très désarçonnante. Pour remettre en marche la vie démocratique, il a été question de confier la médiation à la SADC, la Communauté de développement d’Afrique australe à laquelle appartient Madagascar depuis 2005 mais qui a été suspendu en 2009 à cause du putsch, avec l’objectif de faire signer par toutes les composantes de la vie politique de Madagascar une feuille de route qui préciserait la méthode pour reconstitutionnaliser les institutions.

C’est précisément cette feuille de route qu’il s’agit de signer au cours d’une cérémonie officielle ce vendredi 16 mars 2011 en fin d’après-midi.

Mais là encore, rien n’est certain. La mission de la SADC est pourtant présidée par un homme très expérimenté, Joaquim Alberto Chissano, ancien Président de la République du Mozambique. Le médiateur avait réussi le tour de force de faire signer le 9 mars 2011 à Ivato deux cent cinquante chefs de partis mais sans aucune des trois mouvances.


Une vie politique très compliquée


Rappelons au passage que les trois mouvances correspondent à un ensemble d’organisations proches respectivement des trois anciens Présidents de la République : mouvance Ratsiraka, proche de Didier Ratsiraka (74 ans), dictateur communiste formé à Brest et revenu comme au pouvoir comme humaniste écologiste démocratiquement élu le 31 janvier 1997 ; mouvance Zafy,proche du professeur Alfred Zafy (83 ans), chirurgien formé en France devenu le premier Président démocratiquement élu le 10 février 1993 mais déposé par la suite pour cause de conflit autoritaire avec les parlementaires ; et enfin, mouvance Ravalomanana, proche de Marc Ravalomanana (61 ans), le Président élu le 16 décembre 2001, réélu le 3 décembre 2006 et renversé le 17 mars 2009.
Or, s’il y a bien une nécessité pour réaliser la réconciliation nationale, c’est de mettre d’accord ces trois mouvances (très divergentes) avec le pouvoir actuel.

Didier Ratsiraka refuse de faire des propositions tant qu’il n’est pas de retour dans son pays. Il est exilé en région parisienne depuis 2002 et ses partisans réclament son retour immédiat à Madagascar.

Quant à Marc Ravalomanana, il est exilé en Afrique du Sud et avait trouvé auprès de Robert Mugabe, le dictateur du Zimbabwe, et de Jacob Zuma, le nouveau Président de la République sud-africaine, des alliés grâce à qui il aurait voulu envoyer des troupes pour reconquérir son pouvoir (pouvoir qu’il a cependant officiellement abandonné). Aujourd’hui, il réclame avant tout son retour inconditionnel à Madagascar (il a même fait une tentative qui n’a pas abouti le 19 février 2011).
Le retour de Marc Ravalomanana en débat

Le point d’achoppement est évidemment au sujet de ce retour de Marc Ravalomanana. Les proches d’Andry Rajoelina assurent que si l’ancien Président rentre à Madagascar, il ira directement en prison tandis que les proches de Marc Ravalomanana veulent des garanties que leur leader reste libre et protégé de tout risque d’insécurité sur sa personne et sa famille. Le pouvoir actuel ne voudrait surtout pas d’une candidature de Marc Ravalomanana à l’élection présidentielle.

L’accord sur la feuille de route aurait pu avoir un impact positif. Hélas, la confusion est telle qu’il fallait bien la renforcer encore un petit peu avec en fait deux feuilles de route. La première émanant officiellement de la SADC lors d’une réunion des chefs d’État et la seconde amendée par Tomaz Augusto Salomao, le secrétaire exécutif de la SADC, qui a modifié en particulier l’article 20.

Or, c’est l’article 20 qui est le plus important : « Monsieur Marc Ravalomanana ne pourra rentrer à Madagascar qu’après l’instauration d’un environnement politique et sécuritaire favorable. Les autorités de la transition prennent l’engagement de veiller à la protection de sa famille ainsi que de ses biens. ».
En gros, il y a la version d’origine du 9 mars 2011 qui a été validée à Sandton par les chefs d’États de la SADC et la version de Tomaz Salomao du 17 juin 2011 qui a mal interprété les décisions des chefs d’État. Dans la première version, il est prévu le retour inconditionnel de Marc Ravalomanana et des autres exilés politiques et dans la seconde, c’est sous condition.
Les partisans du pouvoir actuel veulent la seconde version qui leur permettrait de traduire Marc Ravalomanana devant une cour de justice tandis que leurs opposants veulent en rester à la première version.

En pratique, le 13 septembre 2011, la SADC a proposé un unique amendement à cet article 20 de la feuille de route qui réjouit les partisans de Marc Ravalomanana : « L’Autorité de Transition devra permettre à tous les exilés politiques malgaches de retourner au pays inconditionnellement, y compris Marc Ravalomanana. L’Autorité de Transition devra garantir la sécurité à tous les exilés de retour. L’Autorité de transition devra urgemment développer et promulguer les instruments juridiques nécessaires, y compris une loi d’amnistie, pour veiller à la liberté politique de tous les citoyens malgaches dans un processus inclusif de transition pour des élections libres, justes et crédibles. ».

Mamy Rakotoarivelo (chef de la mouvance Ravalomanana) apporte son soutien à cet amendant mais paradoxalement, d’autres proches de Marc Ravalomanana du groupe gouvernemental tels que Yves Aimé Rakotoarisoa et Vyvato Rakotovao s’y opposent « d’une manière ferme et catégorique » alors que le même jour, le Ministre des Forces armées Lucien Rakotoarimasy et le Ministre de la Sécurité intérieure Dieudonné Rarivoson ont émis les grandes réticences de l’armée au sujet d’un retour éventuel de Marc Ravalomanana. Quant à Marcel Miandrisoa, de la mouvance Zafy, il affirme que sa mouvance n’a jamais été associée aux discussions et qu’elle ne compte pas signer la feuille de route le 16 septembre.
Le 14 septembre 2011, d’ailleurs, la mission technique de la SADC a reconnu que l’interprétation de Tomaz Salomao était erronée et qu’il fallait prendre comme base la première version. Membre de l’équipe de médiation, Leonardo Simao a organisé ce 15 septembre 2011 une réunion à huis clos avec entre autres Andry Rajoelina.

Le sort de la feuille de route

Quelle est la position de la France ? Si l’on s’en tient à la rencontre du Ministre français de la Coopération Henri de Raincourt le 19 février 2011 avec Andry Rajoelina, la volonté française serait qu’il y ait l’application de la feuille de route avec ou sans l’accord de Marc Ravalomanana.

Bien sûr, au-delà du sort de Marc Ravalomanana et de ses proches, d’autres enjeux sont également présents sur la table des négociations, en particulier la nomination du futur Premier Ministre qui devrait provenir d’une des trois mouvances, l’éventualité de la candidature d’Andry Rajoelina à la prochaine élection présidentielle (il est très discret à ce sujet alors qu’il avait clairement annoncé le 12 mai 2010 qu’il renoncerait à toute candidature), et d’autres éléments moins importants qui concerne essentiellement des nominations ou la restructuration de la CENI (pour l’instant, l’opposition a refusé d’y participer).

Depuis le 10 septembre 2011, plusieurs délégations de la SADC sont arrivées à Madagascar en vue de la signature officielle devant la communauté internationale. Tomas Salomao et Leonardo Simao sont déjà présents. La mission ministérielle venue le 14 septembre 2011 est composée de quatorze membres dont des ministres de l’Afrique du Sud, de l’île Maurice, de la Tanzanie et de la Zambie.

Le futur, le futur ?
Pendant que la classe politique perd du temps en de nombreuses discussions inefficaces, la situation économique de Madagascar est catastrophique. L’un des pays les plus pauvres du monde restent la proie d’investisseurs chinois avisés, mais pas seulement puisqu’on a par exemple vu Bernard Tapie faire un voyage éclair le 18 janvier 2011.
Ce climat d’errance politique et de jachère économique s’est encore assombri le 27 août 2011, lors de la mort accidentelle de Nadine Ramaroson, populaire Ministre de la Population et des Affaires sociales, probablement la responsable politique la plus proche des classes défavorisées, un tragique naufrage qui coûta la vie à plusieurs dizaines de personnes lors du retour de la ministre de l’Île Sainte-Marie (la traversée est toujours très houleuse). Certains n’ont pas hésité à soupçonner en fait un assassinat pour l’empêcher de se présenter à l’élection présidentielle comme elle en avait émis l’intention et faire disparaître certains de ses dossiers brûlants.

Il est temps que les très nombreux représentants de la classe politique malgache en finissent avec leurs simagrées et agissent pour l’intérêt général. En déclarant haut et fort leur intention d’organiser au plus vite des élections générales sous observation internationale.

Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (16 septembre 2011)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :

La nouvelle Constitution malgache.
La feuille de route (texte intégral).
Les résultats du référendum du 17 novembre 2010.
Un putsch en bonne et due forme.
Le prix du sang.
Et si cela s’était passé en France ?
Site officiel d’Andry Rajoelina.

Site officiel de la HCC.
Site officiel de la CENI. 

yartiMada20110902

http://www.agoravox.fr/actualites/international/article/madagascar-le-tres-lent-processus-100800


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