Ça y est, j’ai chaussé mes rangers et vissé un casque « born to kill » sur ma tête. Par souci d’immersion, j’ai creusé un tunnel à mains nues sous mon jardin et l’ordinateur est alimenté par un groupe électrogène. A droite de l’écran, une photo du sergent instructeur Hartman, mon mentor, et à gauche, une autre de Rambo, mon modèle. Et comme l’éthique du journalisme total l’exige en de pareilles circonstances, chaque fichier a été installé individuellement par le biais d’un programme recevant ses instructions en morse. Les vapeurs de diesel commencent à me monter à la tête, mon esprit s’embrume. Je suis prêt.
Admirez la qualité des textures au sol.
Le menu s’ouvre, rouge maronnasse, moche, en parfaite osmose avec le sujet abordé. Les options sont inexistantes et la souris réagit bizarrement. Je lance la partie et une image étrange apparait : on dirait une vue du monde perçu à la sortie du gros intestin. En fait le jeu a planté. Qu’à cela ne tienne, je relance et cette fois tout démarre correctement. La cinématique d’intro est confectionnée avec le moteur maison : apparemment les développeurs doivent être des rescapés de Woodstock tant les graphismes nous crient la laideur de cette guerre. C’est donc dans une ambiance décrépite que commence le jeu. Des textures à l’agonie dégoulinent des murs et se répandent un peu partout sur le sol. Le parti pris est audacieux surtout remis dans le contexte. Nous sommes en 2009, Half-Life ² va bientôt souffler ses cinq bougies, Modern Warfare a deux ans et son petit frère arrive à la fin de l’année. Ça doit être ce qu’on appelle le syndrome post traumatique. D’ailleurs, je suis handicapé. Je me cogne dans les cadavres qui trainent par terre, incapable de les enjamber. On oublie bien sûr d’emblée le saut, et passer en position accroupie me fait rentrer la tête dans les épaules. Pas de système de couverture, pas de lean, les gunfights promettent d’être épiques.
Les quick time events sont incohérents et mal présentés.
Heureusement, c’est le sergent Hartman qui m’accueille, un peu plus jeune que dans mon souvenir. Du coup forcément ses insultes son moins travaillées et les surnoms aussi. Exit les Guignol, Baleine ou John Wayne, il faudra se contenter de « p’tit con » et « ducon » pour à peu près tout le monde. Je sens bien qu’il essaie pourtant. En témoigne ce haïku qu’il me dédiera un peu plus tard une fois dehors : « Si t’as envie de chialer, t’attends qu’on soit sorti de ce merdier mais là on a un rencard ». Et oui on est comme ça dans l’armée, pas de pitié avec la concordance des temps. La cinématique se poursuit et là tout s’explique : un type me fait une injection d’un liquide bleu pétrole en plein dans l’avant-bras. La saignée c’est pour les gonzesses. Quant au contenu de la seringue, sûrement du LSD coupé à l’essence. Alors tout s’accélère. Un blessé en train de hurler, mon frère me dit-on, arrache ses sangles invisibles et part en courant, devant les yeux médusés des trois militaires armés jusqu’aux dents sensés le surveiller. La maison se met donc en toute logique à exploser par sa propre volonté. La cinématique s’arrête et on me passe la main.
Les ennemis sont tous sortis du même tube à essai. Vous subirez durant tous le jeu les inlassables assauts d'une armée de clones.
Tant que je marche, tout va bien, voire même un peu trop. Je suis monté sur roulettes, mon regard ne dévie pas une seconde du point d’horizon, ma tête est solide comme un roc, d’ailleurs j’ai du mal à tourner mon cou en pierre. En revanche, la course réveille la phase terminale de mon parkinson et en une seconde, mes yeux font trois allers-retours entre le sol et le plafond. La guerre, ça donne envie de vomir. Puis un premier Viêt-Cong tente de me stopper. L’écran retranscrit alors mon état de confusion mentale en proposant un QTE psychédélique affichant consécutivement des séries de trois touches sans rapport avec la situation. J’occis donc le malandrin et m’empare de l’arme la plus puissante du jeu : la machette. Dans des pièces voisines inexistantes, des hurlements s’élèvent. Derrière une porte en feu, un homme invisible en train de brûler m’adresse un « pitié, aidez-moi. » flegmatique. Sûrement un britannique. Je ramasse bientôt mon premier pistolet. Les dégâts sont bien visibles sur les ennemis, mais le mécanisme doit être faussé : il fait un bruit d’agrafeuse.
Si l'on peut se moquer de l'affligeante réalisation graphique, on pourra également s'étonner d'une gestion de la physique pour le moins déroutante.
Tout à coup, alors que des balles sifflent à mon oreille droite, je reçois du guano dans l’œil gauche ce qui brouille ce côté de mon regard d’une trainée blanche baveuse. Mon cerveau commence vraiment à disjoncter. Serait-ce pour m’indiquer la provenance des balles ? Je me tourne et me retourne, mais rien n’apparait. Il s’avère qu’en réalité, les Viêt-Cong sont des experts en camouflage : la texture maronnasse de mon adversaire se confond parfaitement avec la boue informe recouvrant le sol, les murs, le ciel, l’eau… Je sors alors la machette et fonce vers lui tandis que, pris par surprise, il panique et se met à faire des tours sur lui-même tel un canard décapité avant que je ne l’achève. J’ai maintenant perdu le son : les tirs de mon compagnon résonnent à mon oreille comme une bulle de savon qui éclate. Puis ma vision se trouble, j’avance dans un brouillard noir et pixellisé parsemé de flammes plates et fluo. Mes derniers souvenirs sont ceux du sergent Hartman auquel on a greffé des pinces de crabe à la place des mains et de mes ennemis courant jusqu’au milieu d’un pont puis s’arrêtant là pour mieux se faire canarder dans une espèce de suicide guerrier rituel jusqu’alors inconnu.
Note Globale : 2/10
Shellshock 2 : Bloodtrails n’est pas un bon jeu. Ce n’est d’ailleurs pas un jeu mais un logiciel étrange perdu quelque part entre la performance artistique et le simulateur de cauchemar militaire sous acide pour parkinsonien arthritique. En ce sens, il cadre absolument avec son scénario à base de guerre sale et d’expérimentations chimiques. L’absence de mode multijoueur n’est pas handicapante en ce sens qu’une telle expérience est purement intérieure et ne se partage pas. Shellshock 2 fera donc atteindre des températures infernales à votre ordinateur pour un rendu tout aussi traumatisant. Achetez-le lorsque vous le trouverez dans les bacs « gratuits » de votre dealer habituel ou faites du troc avec un ami s’en servant pour caler une table ou comme dessous de plat. Un morceau de carton devrait rendre l’échange équitable.