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Livres : la gauche en questions

Publié le 20 septembre 2011 par Labreche @labrecheblog

primsoc.jpgLa rentrée 2011 est naturellement l’occasion d’une avalanche de livres politiques, du fait de l’approche des élections présidentielles. La gauche elle-même est un objet d’étude récurrent. En évitant les creux opuscules des politiques eux-mêmes, et les ouvrages racoleurs ou journalistiques, voici un petit tour d’horizon des parutions intéressantes.

Le Parti socialiste a-t-il un avenir ?

En ces temps de primaires, plusieurs livres sont consacrés au parti autour duquel s’est articulée la gauche depuis  le Congrès d’Épinay, et aux incertitudes qu’il inspire après presque dix ans de crise interne et d’échecs électoraux répétés.

L’ouvrage de Jean-Pierre Le Goff, La gauche à l’épreuve, ressemble malheureusement plus à une compilation hétérogène d’articles très inégaux. L’ambition du sociologue, auteur de Mai 68, l’héritage impossible et de La démocratie post-totalitaire, est ici difficile à saisir, même si l’on ne peut que s’accorder sur l’analyse des premiers chapitres, au sujet tout particulièrement du manque de renouvellement idéologique de la gauche en général et du PS en particulier.


En revanche, le petit opuscule de Rémi Lefebvre, Les primaires socialistes, est une nouvelle réussite de la maison Raisons d’agir. Déjà auteur en 2006 de La société des socialistes avec Frédéric Sawicki, qui traitait du repli du PS sur ses enjeux et luttes internes, et la perte de la notion de projet au profit de celle plus ponctuelle de programme, une échéance électorale après l’autre. Cette fois, le diagnostic dressé à l’occasion des primaires sonne très juste. En traitant de la genèse de cette procédure depuis 1965, et des modalités de sa mise en place en vue des élections de 2012, Rémi Lefebvre montre habilement en quoi ce qui a été présenté comme une « ouverture démocratique » aboutit en réalité au renforcement de la logique présidentielle (autrefois combattue par le même PS) et de l’obsession du leadership, à l’affaiblissement de la vie militante et de la conception historique du parti politique comme espace de travail collectif et d’édification. En cela les Primaires ressemblent bien plus à un renoncement au renouvellement idéologique, le choix n’étant plus qu’une question de personnalité, de « chances » individuelles, de popularité et de sondages d’opinion, l’arithmétique électorale (racolage électoral, obsession du 21 avril) remplaçant toute autre réflexion.

Quelle social-démocratie ?

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La question du projet est évidemment abordée par d’autres parutions. Il est étonnant de voir à quel point la notion de « social-démocratie » continue d’obséder et, par son caractère si creux, constitue une coquille commode dans laquelle se réfugie la pensée d’auteurs aussi différents que le professionnel de la politique Henri Weber et l’économiste, professeur à Harvard, Philippe Aghion (associé à Alexandra Roulet).

Repenser l’État, voilà le programme de Philippe Aghion et Alexandra Roulet qui complètent l’invocation : Pour une social-démocratie de l’innovation. Et en fait de programme, c’en est un, légitime et pour ainsi dire présidentiel, qui est soumis au lecteur. Un programme dominé par la réflexion économique mais qui englobe toute la sphère décisionnaire en posant quatre principes pour un État « repensé » : l’investissement pour l’innovation (spécialité de Aghion, auteur avec Peter W. Howitt du manuel universitaire Endogenous Growth Theory qui a remis depuis 1998 l’idée schumpéterienne de l’innovation et de la destruction créatrice au cœur de la définition des politiques de croissance), l’État assureur (flexisécurité, politiques contra-cycliques), la réforme fiscale (plus d’équité…) et « l’approfondissement » de la démocratie (dont externalités économiques positives sont ici rappelées).

Ce qui frappe, dans un tel ouvrage, c’est finalement que la clarté du propos, le caractère imparable des démonstrations, la simplicité des propositions et leur caractère parfaitement rationnel et en général consensuel n’empêche en rien que de telles idées soient inappliquées alors qu’elles sont popularisées (en France) depuis le début des années 2000. Et comment ne pas douter de l’avenir de ces idée en France, que la prochaine législature soit de droite ou de gauche ? On en revient ainsi presque naturellement aux développements des ouvrages précédemment cités, au sujet de l’incapacité de la gauche politique à se nourrir de la production intellectuelle en cours, à se saisir des programmes pour en faire un projet, à donner une consistance idéologique à son discours, à le défendre avec une ardeur militante. Bref : à convaincre.

À ce niveau, l’ouvrage d’Henri Weber, La nouvelle frontière, sous-titré Pour une social-démocratie du XXIe siècle, ne rassure pas. Il a du moins le mérite de donner un bon indice sur les préoccupations de l’appareil du Parti socialiste, et cela inquiète plutôt. Pour prendre un exemple, quand Aghion démontre l’incontestable besoin de relancer la politique d’immigration en France, Henri Weber liste « les flux migratoires non maîtrisés » parmi les défis majeurs de la France, aux côtés du « péril écologique » et de « la montée de l’insécurité publique ». Le reste de l’ouvrage n’est guère plus convaincant : après avoir consacré de longues pages à critiquer la gauche libérale de Tony Blair ou celle, archaïque, de Jean-Luc Mélenchon, tout en faisant un éloge des plus convenus du modèle suédois, Henri Weber aligne quelques axes programmatiques hâtifs (« Réguler le nouveau capitalisme », « Relancer et réorienter l’Union européenne », « Sortir du nucléaire »). En revanche, les dernières pages font écho à l’ouvrage de Rémi Lefebvre, en posant la question de l’avenir du PS et de son organisation, et reprenant les craintes quant au déclin de sa nature militante. Les réponses proposées apparaissent en revanche à la fois infra-complexes et plutôt révélatrices d’un manque de perspective et d’une conception étriquée du combat politique et de la société française actuelle (« s’ouvrir aux jeunes issus de l’immigration », « systématiser et perfectionner le recours à Internet », p. 217).


Rosanvallon cuvée 2011

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Ce n’est pas un, mais deux livres que publie Pierre Rosanvallon à quelques semaines d’intervalle. Dans La société des égaux, l’auteur du Sacre du citoyen, du Peuple introuvable et de La démocratie inachevée, poursuit son œuvre d’historien de la France politique et sociale, en s’attachant cette fois à l’idée d’égalité si malmenée aujourd’hui. Comme souvent (toujours ?) chez Rosanvallon, on trouve là un ouvrage de référence sur l’histoire de ce sujet, et complété par une partie plus théorique ou Rosanvallon tente de formuler une « philosophie de l’égalité » et ambitionne de poursuivre, sinon dépasser, les travaux de John Rawls et Amartya Sen sur le principe d’équité.

Dans Refaire société, qui n’est pas encore en librairie, et que Rosanvallon dirige et préface, l’ambition est moins pointilleuse, mais pas moindre. Les auteurs de « La République des idées », qui se veut depuis près de dix ans une collection-think tank incontournable du paysage intellectuel et éditorial français, s’attachent à y défendre l’idée de société, de cohésion sociale, de solidarité, comme un élément central indispensable à toute vie démocratique. Une fois de plus, un ouvrage relativement consensuel mais bien mené, et qui sera publié à l’occasion des « Ateliers du présent », forum organisé par la « Repid » et qui se tiendra du 11 au 13 novembre 2011 à la MC2: de Grenoble (site internet : programme prochainement disponible)

  • Pierre Rosanvallon, La société des égaux, Paris, Seuil, coll. « Les livres du Nouveau Monde », septembre 2011
  • La République des idées (Pierre Rosanvallon, dir.), Refaire société, Seuil / La République des idées, novembre 2011

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