Airbus voit l’avenir en rose.
Confiance absolue ou confiance aveugle ? Certitudes de chef de file mondial ou simple extrapolation du passé récent ? Les questions se bousculent en prenant connaissance de la nouvelle mouture du Global Market Forecast d’Airbus. On y cherche en vain, en effet, la moindre hésitation, la plus petite préoccupation en ce qui concerne l’avenir ŕ 20 ans du transport aérien.
Cette vision, simplement réaliste ou exagérément optimiste, selon le point de vue choisi, repose sur un postulat solide comme du roc, ŕ savoir la bonne tenue de l’économie mondiale, quels que soient les incidents conjoncturels et soubresauts géopolitiques qui se produisent de temps ŕ autre. Et, notamment, ces jours-ci. Quand le PNB va, tout va, les gens voyagent, ils se déplacent de plus en plus, ce qui suppose qu’un nombre adéquat de sičges/kilomčtres leur soit proposé. Et, ŕ condition d’accepter le postulat, tous les espoirs sont permis et d’impressionnantes colonnes de chiffres promettent des lendemains qui chantent, ŕ Airbus pour commencer mais, implicitement, aussi ŕ la maison d’en face, Boeing. Et comme il s’agit de mesurer le marché, dans l’absolu, ce n’est pas vraiment l’endroit et le moment pour s’interroger sur le trčs éventuel essor de futures productions chinoises, russes, voire japonaises et indiennes.
Partant d’un PNB apparemment moins fragile que beaucoup ne le pensent, le trafic aérien mondial devrait progresser, en moyenne, de 4,8% par an au fil des deux prochaines décennies. C’est lŕ une simple confirmation d’une vision exprimée ŕ de nombreuses reprises au fil de ces derničres années qui, en termes Ťgrand publicť, revient ŕ dire que le trafic doublera dans les 15 prochaines années. A plus court terme, c’est-ŕ-dire au cours de la décennie actuelle, il progressera de 157%, ce qui justifiera un développement de la flotte de 109%, toutes catégories d’avions commerciaux confondues. Ladite flotte mondiale passera ainsi de 15.000 ŕ 31.420 appareils, dont 14.800 ne sont pas encore commandés ŕ ce jour. Soit une demande d’un peu plus de 700 avions par an pour chacun des deux membres de l’actuel duopole, toujours sans préjuger du sort réservé aux nouveaux venus qui, actuellement, fourbissent leurs armes.
Airbus précise, au-delŕ du PNB et de la progression du marché aérien, que le prix du pétrole devrait se stabiliser aux environ de 120 dollars le baril. C’est plausible, bien sűr, mais lŕ aussi, il y a matičre ŕ discussion. On se demande notamment s’il est raisonnablement possible de prévoir le prix de l’or noir ŕ échéance 10, 15 ou 20 ans. Mais s’y refuser interdirait automatiquement toute prévision du marché et le calcul risquerait purement et simplement de déboucher sur l’absurde.
Airbus entrevoit par ailleurs un monde économique ŕ deux vitesses. A savoir des économies mâtures qui ne devraient gučre progresser de plus de 3% par an, d’une part, les pays émergents, BRIC et autres, qui s’appuieraient sur le taux enviable de 6%. D’oů des différences marquées d’une région ŕ l’autre, la zone Asie-Pacifique caracolant en tęte du peloton avec une progression moyenne de trafic de 5,7% par an, contre 4% pour le pavillon européen et un plus modeste 3,3% pour l’Amérique du Nord.
Des données démographiques jouent un rôle important dans ces prévisions. On retiendra l’affirmation, exprimée par Airbus dčs les années quatre-vingt-dix, période de gestation du gros A380, que le nombre de mégapoles va croître considérablement, suscitant ainsi des flux de trafic justifiant la mise en ligne de trčs gros porteurs. Il en faudra prčs de 1.800, toujours sur 20 ans, ce qui annonce de belles perspectives commerciales pour l’avion européen, une analyse que ne partage absolument pas Boeing. Il faudra patienter longuement avant de connaître le nom du vainqueur…
Autre élément démographique qui retient l’attention, Airbus constate que la classe moyenne progresse ŕ grands pas, notamment en Asie, et que la plančte Terre comportera ŕ terme quelque 4,9 milliards d’habitant s’inscrivant dans cette catégorie, autant, ou presque, de passagers aériens en puissance.
Il y a lŕ doublement matičre ŕ réflexion. De telles perspectives sont évidemment sympathiques, leur crédibilité repose notamment sur des travaux antérieurs dont le bien-fondé a ensuite été confirmé par les faits et les chiffres. Mais la réalité pourrait ętre, au minimum, plus nuancée. D’autre part, une fois de plus, les prévisions d’Airbus mettent en évidence une situation extravagante : voici un secteur dont l’activité double tous les 15 ans, ce qui est proprement exceptionnel, mais qui demeure incapable d’atteindre un niveau de rentabilité convenable. Ainsi va le transport aérien.
Pierre Sparaco - AeroMorning