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C’est tout à la fois épuisant et lassant, avec l’impression d’un éternel recommencement : d’un trimestre ou d’un semestre à l’autre, Jean qui pleure et Jean qui rit se succèdent, sans transition, sans explication, sans logique. Le trafic va mieux, l’IATA et d’autres annoncent des lendemains qui chantent puis, soudainement, sans prévenir, rien ne va plus. Ce n’est tout simplement pas sérieux.
Voyons les faits, voyons les chiffres. On répétera tout d’abord que les prévisions à 20 ans d’Airbus, mises à jour cette semaine, annoncent une croissance annuelle moyenne du trafic de 4,8%. Les autres sources crédibles sont à l’unisson, seule l’Académie de l’air et de l’espace faisant exception en annonçant une croissance sensiblement plus modérée. Mais une croissance quand même.
Il y a quelques semaines, les économistes de l’IATA, très respectés même s’ils refusent de prendre en compte les compagnies low cost, nous disaient que l’année 2011, vérification faite, serait très médiocre et conduirait à un bénéfice de 4,9 milliards de dollars, moins que le minimum pour sauver la face. Aujourd’hui, ils effacent tout et annoncent que la situation est moins mauvaise que prévu et que l’année se terminera sur un bénéfice de 6,9 milliards. Très insuffisant, bien sûr, mais supposé refléter une nette tendance à l’amélioration.
On aurait voulu en rester là, marquer une pause et faire le point en fin d’année. Mais ce serait beaucoup trop simple ! Pour la période janvier-juin, le trafic avait augmenté de 6,4% et tous les espoirs étaient permis. Puis, en juillet, le taux de croissance est retombé à 5,9%, sans bonne raison identifiée. Et, dans le même temps, le fret a cessé de progresser.
ID Aéro confirme la réalité chiffrée de ce petit incident révélateur, annonçant même 5,6%, encore moins que l’IATA. Tout le monde a du mal à suivre, surtout après avoir pris la peine de plonger dans le détail des statistiques de trafic, le meilleur moyen de perdre son latin, quand ce n’est pas déjà fait. On trouve en effet de toutes parts des données qu’on ne comprend pas : ainsi, en 7 mois, le trafic sous pavillon européen a progressé de 9%, nous dit ID Aéro, bien plus qu’on ne pouvait l’imaginer. Encore que … Les compagnies espéraient encore mieux et ont accru leur capacité en conséquence (l’augmentant de 10%) et, du coup, le coefficient d’occupation a subi une petite érosion de 0,6 points pour s’établir à 77,5%. Il aurait pourtant été facile de faire mieux, surtout en sachant que la recette unitaire moyenne se comporte plutôt bien avec une augmentation de 3% (mais pas plus de 1,7% espéré en 2012 sans que l’on sache pourquoi).
Les données les plus récentes, que nous devons également à ID Aéro, sont celles du mois d’août : hausse du trafic ramenée à 4,2% et nouveau retrait (mais de 0,1 point à peine) du coefficient d’occupation. Qu’attendre, dans ces conditions, de 2012 ? L’IATA retrouve un minimum d’optimisme en annonçant une progression des recettes de 6,4% mais s’empresse d’ajouter que les dépenses de ses membres progresseront de 6,9%. Autrement dit, les bilans seront ternes, médiocres ou soldés à l’encre rouge.
Les compagnies pourront-elles, dans ces conditions, payer les avions qu’elles commandent à tour de bras ? Leurs flottes seront-elles renouvelées ou modernisées aussi rapidement que l’exige le pétrole durablement cher ? Si les analystes étaient impartiaux, ils refuseraient dorénavant de répondre aux questions : les échangent de vues tiennent souvent d’un café du commerce débordant de milliards de dollars, d’autant plus incongru qu’il ne mène à rien. Pourtant, personne n’ose dire haut et clair que le transport aérien n’est décidément pas sérieux. Mais le dire à qui ?
Pierre Sparaco - AeroMorning