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Crédit Photo: Photothèque Rouge/Romain Hingant
Publié dans : Hebdo Tout est à nous ! 116 (22/09/11)
Alors que les plans d’austérité partout en Europe ne font qu’aggraver la situation des peuples, la question de la nationalisation des banques commence à faire de plus en plus d’émules. Sa mise en pratique ne pourra cependant être efficace qu’à condition d’imposer le contrôle des banques et de la finance par la population.
Lors du sommet européen du 16 septembre, le secrétaire américain au Trésor, Timothy Geithner, a demandé aux dirigeants européens de s’entendre afin d’éviter « des risques catastrophiques pour les marchés financiers ». « Je ne comprends pas bien ce qu’il a voulu dire », a feint de croire le président de la Banque centrale européenne (BCE), Jean-Claude Trichet. C’est pourtant simple : tandis que les États-Unis demeurent embourbés, la crise de l’Union européenne s’accélère pour trois raisons.
La récession guette
D’abord, les plans d’austérité imposés en échange des prêts ont des effets dépressifs. Si la première conséquence fut la barbarie sociale, s’y ajoute à présent le ralentissement économique. La Commission européenne vient de revoir à la baisse sa prévision pour la zone euro : seulement 1, 6 % en 2011. Le phénomène est particulièrement marqué là où les plans de rigueur sont les plus durs : Grèce (-5, 5 %), Espagne (+0, 8 %), Royaume-Uni (+1, 1 %). En France, la croissance a été nulle au deuxième trimestre du fait d’une baisse de la consommation. Le gouvernement Fillon a dû baisser sa prévision 2011 de 2 % à 1, 75 %. Mais le PIB ne devrait croître que de 1, 6 % et il en sera de même en 2012 selon le FMI. En Allemagne, où les exports ont commencé à reculer, l’OCDE prévoit même une croissance négative du PIB au quatrième trimestre.
L’imbroglio bancaire
Il y a ensuite le risque de défaut des titres souverains. En juin dernier, Laurent Wauquiez, alors ministre des Affaires européennes, déclarait : « le secteur bancaire français est moins exposé par exemple que le secteur bancaire allemand ». Il aurait tout aussi bien pu dire : le secteur bancaire français est plus exposé que ceux de tous les autres pays, excepté l’Allemagne. Et encore : si les banques germaniques sont plus sensibles aux conséquences directes d’un défaut sur les titres publics grecs, elles sont globalement moins exposées que leurs homologues françaises qui n’ont pas seulement acquis des obligations publiques mais aussi des titres de la dette privée grecque. Or les banques privées grecques sont elles-mêmes très engagées sur le marché de la dette publique... Comme l’expliquait Tout est à nous ! n° 108, « la plupart des titres de créance grecs sont détenus par des banques européennes. Celles-ci ont encore le droit de valoriser ces créances à leur coût d’acquisition. Mais cette fiction comptable va bientôt se dissiper, provoquant des effets systémiques que nul ne peut évaluer avec certitude ». Cet été, la fiction a commencé de se dissiper, provoquant la chute des actions bancaires.
La crise de direction
Face à une telle situation, même Christine « tout-va-bien » Lagarde s’inquiète de la santé des banques françaises et demande leur recapitalisation. De nombreux conseillers de la classe dominante proposent leur nationalisation, temporaire ou définitive. D’autres perdent les pédales, comme la présidente du Medef, Laurence Parisot, qui a accusé les dirigeants américains d’avoir « orchestré » les rumeurs contre « nos banques [qui] sont parmi les plus solides au monde ». Quant au ministre allemand de l’Économie, il a appelé à envisager la « faillite bien ordonnée de la Grèce », avant de se faire contredire par Madame Merkel. Ce qui domine en haut est donc la cacophonie, la paralysie et le désarroi. Les dirigeants européens ont été incapables de se mettre d’accord au sujet du second prêt de 150 milliards d’euros à la Grèce. En cause : l’exigence finlandaise de garanties financières par un accord séparé. Quant au Fonds européen de stabilité financière (FESF), il n’est qu’un pansement sur une jambe de bois. Il permettait tout juste de gérer l’urgence mais pourrait rapidement s’avérer insuffisant. En effet, tant que les parlements nationaux n’auront pas voté en faveur du plan européen présenté le 21 juillet dernier, le montant du FESF ne sera pas rehaussé.
Ce qui a échoué doit être poursuivi
Pendant ce temps, la fuite en avant se poursuit. Cet été, l’Italie a adopté dans la précipitation deux plans de rigueur d’une ampleur similaire à celle des plans espagnols et portugais (93, 5 milliards d’euros, soit 6 % du PIB sur trois ans). Cela n’a pas empêché l’agence Standard and Poors de dégrader sa note d’un cran lundi 19 septembre. En Grèce, la toute nouvelle taxe sur la propriété immobilière exonère l’Église orthodoxe. Il s’agit pourtant du premier propriétaire foncier du pays, qui ne paye presque pas d’impôts et détient, en plus de ses terrains, un portefeuille de 9 millions d’actions à la banque nationale, des parts dans de nombreuses entreprises, et bien d’autres choses encore. En 2010, en réponse à un projet de hausse d’impôt, l’Église exigeait « que cela soit fait d’une manière qui n’entrave pas son œuvre philanthropique ». D’autant que le Saint Synode a de sérieux concurrents dans le domaine de la philanthropie : les armateurs grecs, véritables champions de l’évasion fiscale. Protégés par la Constitution, qui interdit tout simplement au fisc de contrôler leurs revenus et patrimoines, ces armateurs ne sont pas à plaindre. La flotte marchande grecque est la première au monde (16 % du tonnage mondial en 2010). Lorsque l’on sait que le transport maritime assure environ 90 % du commerce international, on devine l’ampleur des revenus ainsi exonérés de toute contribution fiscale.
Le ralentissement est là, le risque d’assèchement du crédit est réel, la grande bourgeoisie traverse une crise de direction et la dynamique infernale se poursuit. Il est urgent de trouver une voie pour proposer à une échelle de masse des mesures brisant le pouvoir de la finance et permettant à la population de prendre le contrôle des banques sans socialisation des pertes.
Philippe Légé