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Au fond des âmes (2)

Publié le 25 février 2008 par Vincent

Laissons-le dormir pour nous occuper à présent d’un autre homme bien plus sincère en apparence. Lui aussi, il se rend au travail, peut-être est-ce d’ailleurs le même que celui de notre premier homme. Peu importe, cependant. Car lui, il ne dit pas qu’il aime son travail, il dit plutôt qu’il ne le gêne pas, qu’il a pris ce qu’il y avait de moins abrutissant pour lui. Comme tant d’autres, il souscrit à cette nécessité sociale qui contraint les hommes à échanger une production manuelle ou intellectuelle contre un salaire mais il ne lui viendrait jamais à l’idée de voir dans son travail plus qu’il n’y a en réalité.  Il devrait se méfier car tout le monde n’est pas de cet avis et il pourrait un jour être accusé de tiédeur. Mais on ne peut lui retirer le mérite de ne pas confondre le travail avec sa propre vie.  Intelligent comme il est, il s’est dit que c’est ailleurs qu’il devait chercher le vrai sens de l’existence. Et c’est ce qu’il a fait : il a fini par trouver, sans même avoir besoin de trop chercher, ce que certains considèrent comme un hobby, une occupation et ce que lui considère, parfois, comme une passion. Là, il vit vraiment, il peut s’investir dans quelque chose qui lui donne cette intensité d’être que lui refuse le quotidien. Peu importe de quoi il s’agit. Qu’il aille faire son heure au club de sport, qu’il soit un mordu d’informatique ou encore un amateur de karting revient un peu au même. Notre homme sera content car il s’imaginera avoir trouvé le petit plus qui le distingue des autres. Il aura acquis l’individualité  qui fait défaut à tant de personnes et, quand on parle de lui,  on sait à présent que « c’est  celui qui … ». Au travail, il est un peu comme ces femmes qui regardent après les vacances d’été leur degré de bronzage et s’étonnent d’avoir embelli, il devient quelqu’un de particulier, digne d’attention. Il sort ainsi du lot sans tomber dans l’extrême de la banalité ni dans celui de la marginalité. Il peut être fier de lui. Le voilà bien armé pour traverser la vie, ses hauts et ses bas, à présent que le questionnement métaphysique a été congédié par un hobby qui sait épuiser ses forces vitales.

Voici que passe une femme l’air absent, comme perdue dans ses pensées, n’opposant aux passants que l’inexpressivité de ses préoccupations du moment. Qu’est-ce qui l’occupe ? Elle anticipe peut-être ce bref instant du soir où le repas a été fait, les enfants couchés, le mari endormi; ce bref instant où elle sentira sa fatigue d’être avant d’être reprise le lendemain par toutes ces choses qui l’éloigneront d’elle. Car ce n’est pas une mince affaire que de devoir tous les jours travailler, s’occuper des enfants, expédier les tâches courantes (et dieu sait qu’un lave vaisselle, c’est vraiment bien pratique, cela fait déjà un moment qu’elle pousse son mari à en faire l’acquisition). Ne parlons même pas de cet homme avec lequel elle est à présent mariée et qui rentre tous les soirs fatigués, de mauvaise humeur et qui s’énerve que tout ne soit pas encore prêt. Et elle, elle ne l’est pas, fatiguée ? Tous les jours, c’est cette même impossibilité de ne pas être soi, comme si tout ce qui l’entoure - boulot, collègue, enfants, mari, ménage - s’ingéniait  à lui rendre la vie impossible. Peut-être que les portes du  paradis sont  ouvertes d’emblée aux femmes qui ont connu une telle épreuve. Dieu les fera rentrer sur dispense exceptionnelle, de la même façon que l’on peut passer certains concours sans diplôme si l’on a élevé trois enfants. Mais, non, ce n’est pas possible. Dieu n’est-il pas un homme ? Elle se rappelle justement de cet homme qu’elle a épousé. Elle l’avait présenté à tout le monde comme l’heureux élu et c’était trop tard pour faire demi tour. Elle sentait bien par instant qu’elle ne l’avait choisi que par lassitude de chercher, par peur de finir toute seule, qu’il n’avait vraiment rien d’extraordinaire. C’était un homme comme un autre avec ses vertus et ses défauts. Pourquoi aurait-elle changé pour un homme qui aurait, lui aussi, ses vertus et ses défauts ? C’était déjà bien d’avoir trouvé quelqu’un. Passé un certain âge, de toute façon, on ne trouve que des hommes en quête d’aventure sans lendemain, fuyant comme la peste mariage et enfants. Mieux vaut renoncer à l’amour que retourner à la solitude.


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