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Au fond des âmes (1)

Publié le 25 février 2008 par Vincent

Avant de partir, j’ai décidé de me promener une dernière fois et d’oser regarder en profondeur l’âme des autres. Jusqu’à présent, j’avais vécu dans ma propre âme et dans celle de mes amis spirituels. Nous faisions tous partie de ce reste d’âme du monde qui n’avait pas sombré avec l’Atlantide et, dans ce grand rêve platonicien, je m’étais dit que les autres importaient peu. Ils étaient là – un point c’est tout. On faisait avec mais ils ne comptaient pas. Ils avaient été exclus d’emblée et ils se contentaient d’errer sans même en avoir conscience. On ne pouvait plus rien pour eux, à présent qu’ils avaient les oreilles bouchées et les yeux fermés. Et puis, un jour, nous sommes redevenus de la même étoffe qu’eux. Nous aussi, nous faisions à présent partie des exclus et des errants. Seulement, à présent, on savait. Nous n’étions plus de la bienheureuse ignorance des âmes simples. Nous étions des âmes errantes et savantes à la fois. Ce n’était pas prévu au programme. Si bien que vraiment seuls, nous l’étions à présent puisque nous ne pouvions communier ni avec les errants ni avec les savants. Alors, je me suis dit : je ne suis peut-être pas si seul que je le crois ; parmi tous ceux qui se promènent il y a peut-être quelqu’un qui, par des voies différentes, par un vécu tout autre, en est arrivé aux mêmes conclusions que moi. Regardons tout au fond de ces âmes qui ont bien dû faire quelque chose de leur vie durant tout ce temps où, avec d’autres, nous cherchions à être dans l’essentiel.

Voici un homme qui part travailler. A qui veut bien l’entendre, il dit qu’il aime son travail. Il peut être satisfait après tout d’avoir une situation – alors que tant d’autres n’en ont pas. Lui, au moins, il a trouvé quelque chose dans lequel il peut s’investir. Sauvé du vide mortifère des éternels laissés pour compte, il peut mettre toute son énergie dans les tâches quotidiennes dont il a la charge et éprouver ce sentiment gratifiant d’être utile à quelque chose. Avec une dextérité rare, il passe du téléphone à l’ordinateur, puis de l’ordinateur à son courrier, non sans  ponctuer tout cela de questions diverses à ses collègues. Il est partout, en tout cas veut en donner l’impression. Rien qu’à le regarder, on est fatigué. Car la dispersion des tâches multiples qui l’assaillent, il ne se contente pas de l’assumer, comme le ferait toute personne normale, non, lui, il les importune de son énergie surabondante. Le travail ne lui fait pas peur et il entend bien le faire comprendre à tout ceux qui l’entourent. Au moins ne remettra-t-on pas en cause sa motivation … Il en est sûr, il ne sera pas du prochain plan social. D’ailleurs, il a assuré ses arrières. D’un regard faussement candide, il surveille ses collègues dont il connaît à présent toutes les failles. Il a relevé depuis bien longtemps ça et là  des signes indéniables de leur absence manifeste de professionnalisme : bavardage débordant l’heure réglementaire de pause, médisance sur tel supérieur hiérarchique, petits arrangements avec les horaires pour aller chercher les enfants à l’école (car dans la vie, n’est-ce pas, il y a des choix qui s’imposent …). Après le boulot, entre initiés soigneusement choisis, on en discute gravement devant un café ou une bière. On fait semblant de déplorer l’incompétence soi-disant notoire   de tel collègue ou de tel autre bien qu’en réalité, elle soit plus imaginaire que réelle. Mais à force d’en parler, on finit bien par donner une réalité à ce qui n’en avait aucune il y a juste quelques instants. Les langues finissent par se délier, on se rappelle des faits sur lesquels on ne s’était pas attardé tant ils avaient alors semblé anodins (de fait, ils l’étaient …) et auxquels on accorde sans état d’âme à présent une signification démesurée. Quelqu’un joue même le jeu de la lucidité prémonitoire puisqu’il avoue, dans une volonté hypocrite de disculpation, avoir tout fait pour remettre dans le droit chemin ce collègue égaré. Non sans ajouter que son élan de bienfaisance a été bien peu fructueux : rien n’y fait et même cela empire … Il ne reste plus qu’à reconstituer ensemble – et c’est l’occasion d’aller à la pêche aux informations - un faisceau de faits accablants.  Dans ces petites réunions « informelles » après le boulot, on joue à faire et défaire le microcosme où l’on vit. On se sent enivré d’un sentiment de puissance puisque l’on a en main les avancements de carrière de tous ses collègues. Terminé la soumission à une autorité aveugle ! A présent, notre homme et son cénacle font partie de ceux qui décrètent arbitrairement ! Ils ne leur viendront jamais à l’idée qu’ils ne font que répéter de façon dérisoire la même tyrannie dont ils sont tous les jours les victimes volontaires et zélées. Et cela va jusqu’au simple fait d’assister à ces afters  puisque ne pas s’y rendre équivaut à devenir le prochain sujet d’inquiétude du petit comité et, quand bien même ce ne serait pas le cas, à rater des informations capitales pour la suite des évènements.

Lorsque notre homme rentre chez lui le soir, il a parfois un peu mal à la tête. C’est bien normal après une journée de travail. Heureusement, la télévision viendra lui apporter ce grand vide dont il a tant besoin après une journée si remplie. Le sommeil viendra tout seul après cela et, si ce n’est pas le cas, notre homme a toujours quelques somnifères de réserve. Il pourra ainsi dormir du sommeil du juste avec le sentiment d’avoir une fois de plus œuvré dans le sens du bien.


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