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Le Codex du Sinaï (Whittemore)

Publié le 25 février 2008 par Vincent

"Il n'était pas comme nous. Non. Il est devenu un hakim (= sage en arabe) sur le tard. D'abord un lettré, puis ensuite un hakim."

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On a tous été étonné de la publication de ce livre chez Robert Laffont dans la collection Ailleurs et demain. Ce n'est pas un livre de science-fiction. C'est un livre trans-genre. Une hypothèse ceci dit: peut-être que les lecteurs de science-fiction sont plus habitués aux OVNI littéraires et prêts à entrer dans les aventures de l'écrit les plus folles.

Mon intention n'est pas de présenter ce livre dans ce post.  Je n'ai lu qu'un tome sur les trois (le quatrième et dernier tome reste à paraître). Sans doute faudrait-il tout lire pour donner un avis complètement objectif. Mais disons-le tout de suite, j'ai tellement apprécié le premier tome que je me suis réservé les deux autres pour les prochaines vacances (un honneur que je réserve aux meilleurs livres). Je ne raconterai pas non plus l'histoire (un peu compliquée à restituer rapidement) et assez bien résumée ailleurs (cf. les liens SF du présent blog, La salle 101 y a consacré deux émissions et Le cafard cosmique deux critiques). Ce post a en fait deux autres buts: pour ceux qui ne l'ont pas lu, de les inviter à le lire; pour ceux qui l'ont lu (moins nombreux forcément) de donner quelques clefs (hypothétiques) pour bien le relire.

* Clef n°1: Strongbow, anglais excentrique, brillant élève de Cambridge, publiant Le Sexe levantinen 33 tomes ... ça me fait penser à quelqu'un mais qui ? Richard Francis Burton (1821-1890), renvoyé d'Oxford (et pourtant brillant intellectuellement), fan d'érotologie arabe et hindou (la première traduction non expurgée du Kama Sutra, c'est lui), arabisé et islamisé au point de faire le pèlerinage de La Mecque.

Ce serait trop simple que Strongbow ne renvoie qu'à Burton, Whittemore renvoie à d'autres figures célèbres du monde arabe, l'une m'est apparu à la page 87 lorsqu'il est fait allusion au soufi persan 'Attar. Tout de suite après, l'auteur compare l'oeuvre de Stongbow en 33 volumes à un hadj (cad un pélerinage) ... ça me fait penser à quelqu'un mais qui ? Ibn 'Arabi dont Les Illuminations de La Mecque est en 37 volumes et comparé à un hadj intérieur. L'épisode de Strongbow et la persane me fait penser à Majnun et Leïla (le Tristan et Iseult persan) 

* Clef n°2: la Bible originaire. Evidement, l'idée de découvrir un nouveau texte d'une telle importance pourrait laisser sceptique. Cependant, on se rappelle que le 20ème siècle a été marqué par deux grandes découvertes de textes religieux: Qumran et Nag Hammadi. Que d'autres textes de nature religieuse ou philosophique se trouvent dans une grotte ou une bibliothèque privée quelque part dans le monde arabe n'est pas impossible.  Le Codex du Sinaï joue à fond cette carte (cf mon premier post du 25 mai où je parle des potentialités de manuscrit du monde arabe)

Quant à cette idée de Bible originaire, on la trouve aussi bien dans le judaïsme, le christianisme que l'islam. La kabbale distingue la torah originelle (celle d'avant l'adoration du veau d'or) et la torah actuelle. Gershom Scholem (pour prendre une référence universitaire) en parle mieux que moi dans plusieurs de ses ouvrages. Le Codex du Sinaï mentionne d'ailleurs le Zohar, grande référence de la Kabbale.  L'Evangile (au singulier) est, d'après les gnostiques (appelés plus tard hérétiques par les chrétiens) différent des quatre évangiles canoniques. Quant à l'islam, il reprend à son compte l'accusation faite aux juifs et eux chrétiens d'avoir substitué une fausse torah et un faux évangile (pour les plus radicaux) ou du moins, d'avoir altéré, certains passages (ceux annoncant la venue du prophète Mahomet, qui serait en fait le nom qu'il faudrait lire derrière le "paraclet"). Texte sacré et falsification, le moyen orient est plein de ce type de spéculations.

* Clef n°3: les figures intemporelles. Il y a d'abord Melchisédech. Quand il apparaît dans la Genèse, on ne sait rien de lui (d'où vient-il ? Qui est-il ?), il est là avant Abraham. C'est une figure originaire qui précède les trois monothéismes et qui symbolise un peu le rêve de l'auteur de sortir des querelles de texte. On retrouve cette intemporalité avec le prêtre Jean (allusion au judéo-christianisme, cette fragile époque où chrétiens et juifs étaient unis ? L'Eglise de Jérusalem était dirigé par Jacques le Juste, ceci dit Jean représente le versant mystique du christianisme, le côté le plus ouvert), l'antiquaire qui est peut-être là depuis le début de Jérusalem (ne serait-ce pas Melchisédech ?). Au fond, Whittemore nous montre un Orient dont les question séculaires n'ont pas pris une ride. Les politiques européennes qui viennent tenter leur chance en Orient rajoutent un problème mais ne sont qu'une péripétie, une parenthèse face à de telles questions.

Bon, je m'arrête là. Mon intention n'est pas de toute façon de faire étalage de ma science mais surtout de montrer que ce premier livre de Whittemore est plus profond que ne le laisserait croire son anodine publication chez Ailleurs et demain (merci à Gérard Klein pour ce courage éditorial !), une collection de SF, et qu'il est écrit par quelqu'un qui connaît bien le monde oriental et qui en maîtrise les grands classiques. Là où c'est plus fort encore c'est que bien entendu, il n'y a nul besoin de connaître toutes les sources auxquelles l'auteur a puisé; l'auteur s'en est inspiré pour nous recréer un orient bien à lui et il n'y a qu'à se laisser porter. Chapeau.


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