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l'histoire et les perspectives d'avenir de la Savoie du Nord racontées par le Pr Paul Guichonnet

Publié le 26 septembre 2011 par Pierrehk

Samedi dernier, à l'occasion des journées du Patrimoine, l'assistance venue nombreuse à la salle municipale du Chable, s'est régalée de la conférence menée de main de maitre par Paul Guichonnet, historien émérite, qui à 91 ans, a su nous émerveiller de sa science historique et de ses dons de conteur, pour nous faire revivre l'histoire de notre territoire et nous proposer sa vision de l'avenir de la Savoie du nord.

J'ai essayé de résumer du mieux possible cette présentation afin d'en faire profiter le plus grand nombre, et je tiens à remercier la Salévienne, l'Académie du Faucigny et la Maison du Salève, co-organisateurs de cette conférence et de l'exposition temporaire qui se tient à la Maison du Salève sur les dessous de l'Annexion telles que vécues en Savoie du Nord (le Genevois, le Faucigny et le Chablais)

L'Arc Alpin qui va de Nice à l'Autriche s'étend sur 1200 kms de long sur 250 kms au point le plus large, et joue le rôle de séparation entre le sud de l'Europe, berceau de notre civilisation, et l'Europe du Nord, germanique, et industrielle. Mais celui-ci offre quelques passages de franchissements, dont la Maison de Savoie a toujours eu l'ambition d'en contrôler les accès (cols de Tende, du Cenis, du Petit St Bernard, du Grand St Bernard et du Simplon). Quant à Chambéry, première capitale de la Maison de Savoie, elle se trouvait au carrefour des 2 axes Sud-Nord (Nice-Genève) et Ouest-Est (Lyon-Turin).

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L'arc Alpin

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Les 2 axes Lyon-Turin (EO) & Chambéry-Genève (NS)

Si on estime l'origine de l'histoire de la Maison de Savoie autour de l'an 1000, en 1032 plus exactement  avec Humbert 1er aux Blanches Mains, rappelons que la Savoie du Nord n'a rejoint le bloc savoyard que plus de 300 ans après l'établissement de la Savoie puisque le Faucigny est devenu savoyard en 1355 alors que le Genevois ne devint possession savoyarde qu'en 1401, avec l'extinction de la lignée des Comtes de Genève et la cession du Comté à Amédée VIII de Savoie

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en rouge, les frontières de la Savoie vers l'An Mille

On ajoutera que l'identité savoyarde n'est ni géographique, comme peut l'être la Corse, ni linguistique, comme la Bretagne, puisque la Savoie parlait français depuis le Moyen Age grace au clergé. En réalité, l'îdentité savoyarde est de nature historique: le sentiment d'appartenir à une identité spécifique, qui ne conteste pas d'être aujourd'hui française, mais qui a la conscience d'avoir une histoire bien à elle, différente du reste de la nation française. Ce sentiment perdure aujourd'hui, même si 50% de la population vivant en Savoie aujourd'hui n'y est pas née.

NB: On notera que la Ligue Savoisienne n'est pas tout à fait sur la même longueur d'onde que le Pr Guichonnet, puisque celle-ci revendique haut et fort sa différence

Toutefois au sein de l'ensemble Savoie subsistent des identités régionales assez fortes, que ce soit dans la rivalité encore bien vivace entre la Savoie et la Haute Savoie, mais encore dans les jalousies qui perdurent dans le bassin Annécien envers les territoires Lémaniques septentrionnaux; et même au sein de la Savoie du Nord, on ne peut ignorer les différences entre le Chablais conservateur et féodal, et le Faucigny démocratique, tourné vers Genève.

Au XVème Siècle, Genève est l'une des villes les plus riches d'Europe, et il n'est pas étonnant qu'elle joue un rôle phare pour les territoires qui l'entourent. Mais la conversion de Genève au protestantisme va être une véritable rupture, réduisant ses liens avec les territoitres catholiques de la Savoie. De plus, la cession à la France du Pays de Gex, du Bugey et de la Bresse, au traité de Lyon en 1601,  puis la signature du Traité de Saint-Julien en 1603 concrétisent la fin des vues de la Maison de Savoie sur Genève, pour qui la menace principale devient désormais la France. Mais tout au long du XVIIème Siècle, l'hostilité restera forte entre la Savoie et la Rome protestante, suivie par un apaisement des relations au XVIIIème. Ce siècle verra d'ailleurs l'éclosion et l'essor économique de Genève, dans les métiers de la banque et de l'horlogerie. Genève étant l'un des principaux bénéficiaires de l'exode des Huguenots français après la Révocation de l'Edit de Nantes par Louis XIV.

Cette réputation de Genève comme l'une des capitales de la finance européenne se traduit avec la nomination du genevois  Necker comme ministre des finances de Louis XVI. A cette époque Genève est donc une ville prospère de 30000 habitants qui rayonne bien au dela de sa région géographique.

En 1792; la France envahit la Savoie et crée un nouveau département, qui prend le nom de département du Mont-Blanc avec comme capitale Chambéry.

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Le département du Mont-Blanc de 1792 à 1798

Mais en 1798, Genève est à son tour conquise par les armées de la République, ce qui entraine la constitution d'un nouveau département français, le département du Léman dont Genève devient la capitale et qui peu ou prou correspond aux limites territoriales de la savoie du Nord. A noter qu'Annecy reste au sein du département du Mont-Blanc dont Chambéry continue à être la capitale.

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Le département du Léman de 1798 à 1814

L'arrivée de Napoléon au pouvoir n'est pas une bonne chose pour Genève puisque non seulement celui-ci déteste cette cette ville, mais en outre l'instauration du blocus continental ruine la ville. Cette attitude est bien différente de celle de la bourgeoisie de la Savoie du Nord qui se complait avec le système libéral qui prévaut à Genève, par opposition à la domination centralisée qu'exercent aussi bien la Maison de Savoie que la République Jacobine française.

Le 30 décembre 1813, Genève est libérée du joug français par les troupes autrichiennes, et elle reprend son indépendance; mais afin de se préserver d'une future menace française, Genève décide de rejoindre la Confédération Helvétique. A cette occasion, et afin de permettre une continuité géographique avec la Suisse, des échanges de communes ont lieu: c'est ainsi que Versoix, commune française depuis le traité de Lyon en 1601, devient suisse.

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La zone de neutralisation

Une occasion est manquée en 1815 pour une partie de la Savoie du Nord de rejoindre Genève au sein de la Suisse quand le négociateur genevois au Congrès de ViennePictet de Rochemont, prône l'établissement des frontières naturelles au Fort L'Ecluse, Mont-Sion et Salève. Il est en effet déjugé par ses pairs Genevois et Bernois qui refusent de voir trop de communes catholiques rejoindre le nouveau canton protestant de Genève.

Un autre exemple du destin différent de la Savoie du nord du reste de l'entité savoyarde se manifeste lorsque , à la demande de la Maison de Savoie, le Congrès de Vienne octroie au territoire de la Savoie du Nord  une clause de neutralisation en cas de conflit; les troupes Savoyardes devant se retirer pour faire place aux troupes suisses qui pourront alors neutraliser le territoire occupé. Cette clause vise bien évidemment la France qui est percue alors comme le principal danger; dans l'esprit, elle doit permettre de faciliter la défense de ce territoire ,excentré de Turin.

En 1859, alors que les rumeurs de rattachement de la Savoie à la France prennent de plus en plus d'ampleur, une pétition de 14000 signatures voit le jour dans 60 communes du Faucigny et du Genevois pour demander leur rattachement à la Suisse plutôt qu'à la France. En effet, ces bourgeois démocrates, amis de Cavour, sont hostiles à Napoléon III qu'ils voient comme un dictateur.D'autre part, ils sont conscients que leur destin économique est intimement lié à celui de Genève.

NB: C'est l'époque où Joseph-Léandre BARD proclame à Bonneville:

" Si Genève est française, il faut être français,
  Si Genève est suisse, il faut être suisse,
  Si Genève est cosaque, il faut être cosaque"

En revanche le clergé est,lui, favorable au rattachement à la France qu'il voit comme l'amie du pape par opposition au laic Cavour; le clergé  organise donc une contre pétition qui aura un certain succes dans le Chablais catholique.

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Les communes qui pétitionnent pour le rattachement à la Suisse

Nb: on remarque le faible nombre de communes pétitionistes dans les montagnes du Chablais, là où l'influence du clergé catholique est la plus forte.

Malgré sa promesse faite à Dufour de céder la Savoie du Nord à la Suisse, Napoléon III, fortement influencé par son ministre des Affaires Etrangères Thouvenel, se rend aux arguments de la députation Savoyarde des 41 qui monte à Paris pour plaider contre le démantellement de la Savoie au début de  1860. Notons que sur ces 41; seuls 6 étaient originaires de la Savoie du Nord et qu'une des conditions qu'ils mirent à leur participation, lors de leur montée dans le train à Culoz, fut d'obtenir la création de 2 départements distincts.

Victor Emmanuel, roi de Sardaigne ayant voulu que le rattachement de la Savoie à la France ne se fasse pas contre l'assentiment des populations concernées, il y a donc lieu d'organiser un vote pour confirmer le rattachement à la Grande Nation, et bien évidemment, l'Empereur des Français souhaite que le plébiscite suscite l'enthousiasme. Aussi Napoléon III, conscient de cette opposition qui nait en Savoie du Nord envoie le sénateur Laity avec les pleins pouvoirs pour faire que l'annexion et le résultat du Plébiscite soient un succès. C'est lui qui met en place le système de la Grande Zone, encore appelée Zone d'Annexion, qui permettra de faire accepter par les savoyards du nord le rattachement à la France. C'est ainsi que dans les arrondissements les plus critiques de Thonon, Bonneville et saint-Julien, on dénombrera 47076 bulletins OUI et ZONE, pour seulement 232 bulletins OUI et 131 bulletins NON.

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La Grande Zone, dite Zone d'Annexion

Cette Grande zone subsistera jusqu'en 1914, au grand désespoir d'Annecy qui se sent pénalisé par les faveurs douanières octroyées à la Zone et dont le chef lieu du département ne bénéficie pas. On notera aussi qu'un grand nombre de grands projets d'avant guerre ont été financés par des capitaux genevois, particulièrement dans le domaine touristique (hotels & infrastructures). Quant aux Genevois, ils boivent du vin d'Ayze ou consomment du blé des Bornes; Une réelle osmose existe entre Genève et les territoires français de la zone: l'argent suisse y circule librement avec, à cette époque, un taux de change de 102CHF pour 100FF.

En 1914,une véritable rupture se produit, liée au fait que la Suisse alémanique est pro allemande et que cela ne passe pas au sein d'une population savoyarde patriote vis à vis de la France. A partir de ce moment là, l'économie de la Savoie du nord s'intègre de plus en plus à l'économie française en se détachant de l'économie genevoise, et donc suisse.

En 1918, au sortir de la guerre, la Suisse veut intégrer la Société des Nations (SDN) et faire reconnaitre sa neutralité. Pour ce faire, elle est prête à faire des concessions à la France, afin d'obtenir son soutien. Dans l'article 45B du traité de Versailles, il est ainsi décidé de supprimer la zone de neutralisation, puis en 1921 la France décide de mettre un terme aux zones franches, ce qui est accepté par le gouvernement Suisse.

Toutefois en 1923, un coup de tonnerre se produit avec l'occupation de la Ruhr par la France; cette action offusque les Suisses allemands, avec pour conséquence l'apparition d'une votation populaire qui revient sur l'accord sur la suppression des zones franches. Et lorsque Poincarré décide unilatéralement de supprimer les zones, une grande animosité monte entre les deux pays, ce qui conduira la Suisse à porter son différend avec la France devant la Cour Internationale de La Haye. En 1932, la Cour Internationale décide alors que la Grande Zone, qui avait été concédée par la France à un de ses désormais propres territoires peut être abolie, considérant que c'est une affaire interne française; en revanche, la Cour Internationale statue que la petite Zone, dite zone Sarde, dont l'existence découlait d'un traité international (le Congrès de Vienne), celle-ci doit être rétablie. C'est ainsi qu'au 1er janvier 1934 la petite zone est rétablie dans ses frontières de 1815.

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La 2ème Guerre mondiale contribue à l'éloignement entre Genève, neutre, et la Savoie du Nord. Jusque dans les années 1970, la Savoie est unie et française, mais un changement important arrive avec les lois de décentralisation et la création de la région Rhône Alpes. En 1983, le Président du Conseil Régional prend le pas sur le préfet; l'aménagement du territoire devient une priorité, avec de nombreuses responsabilités déléguées aux échelons départementaux. Un esorit nouveau souffle sur notre territoire; c'est l'époque de la négociation des fonds frontaliers qui ne concernent que la Savoie du nord. Genève qui a retrouvé un rôle mondial a besoin de main d'oeuvre: elle devient l'une des villes les plus cosmopolites d'Europe, où 40% de ses résidents ne sont pas suisses.

Dans le même temps se développe le phénomène des travailleurs frontaliers qui pasent de quelques centaines en 1962 à 92000 en 2010 (13000 issus du Pays de Gex et 79000 de Haute Savoie) qui travaillent pour leur écrasante majorité dans le Canton de Genève. Frontaliers qui paient leus impôts prélevés à la source dans le Canton de Genève, soit un montant évalué à 700M CHF. Depuis 1973, le Canton reverse une partie de ces sommes encaissées aux communes qui hébergent les frontaliers, ce sont les fameux fonds frontaliers dont 60% revient aux communes et 40% au département. En 2010, ces fonds frontaliers se sont élevés à 152 M€, dont la majorité va aux communes les plus proches de Genève. Ainsi, on dénombre 8000 frontaliers à Annemasse contre 3000 à Annecy et quelques centaines dans tout le département de la Savoie.

Cette activité trans-frontalière se traduit par 500000 franchissements quotidiens de la frontière dont l'essentiel est fait en transport privé, puisqu'on estime à 10% seulement la part du Transport en Commun dans cette migration quotidienne. Cela génère de nombreux problèmes d'environnement et de qualité de vie, et ce n'est que récemment que Genève a pris la mesure de son implication nécessaire dans la vie de son agglomération trans-frontalière.

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Le périmètre du Projet d'Agglo Franco-Valdo-Genevois

C'est ainsi qu'est né le Projet d'Agglo Franco-Valdo-Genevois (photo ci-dessus) et que de grands projets ont été élaborés comme le CEVA (photo ci-dessous), le Tram de St Julien etc....

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Le tracé du CEVA (Cornavin - Eaux Vives - Annemasse)

Mais il reste encore beaucoup à faire pour mieux harmoniser la ville centre et sa banlieue périphérique française. Ces actions ne se faisant pas sans interférences de la part d'Annecy qui ne voit pas d'un très bon oeil la Savoie lémanique reprendre son indépendance, au moment où, en accord avec Chambéry, elle recherche à faire émerger un territoire des Pays de savoie (Université de Savoie, Comité Mont-Blanc).

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La Savoie du Nord - trait d'union entre Rhône-Alpes et la Suisse

De par sa position géographique, il parait évident que la Savoie du Nord a désormais un rôle important à jouer entre la région Rhône-Alpes et la Suisse, et plus particulièrement la Suisse Romande. 

Pour conclure, et en ce qui me concerne, je crois fermement, comme le Pr Guichonet, que sans tourner le dos à notre région Rhône Alpes, nous avons un grand rôle à jouer comme le lien entre celle-ci et Genève. Cependant, le caractère international de Genève nous confère une singularité exceptionnelle que pour ma part, je souhaite voir se développer. Je suis persuadé que Genève de par sa position géographique et son cosmopolitanisme, peut devenir le havre d'accueil des grandes entreprises non Européennes, et particulièrement Chinoises, qui souhaitent établir une base en Europe. En ce sens, la Savoie du nord offre à Genève l'espace qu'elle n'a pas, ainsi qu'une ouverture sur l'Europe puisque notre territoire est dans l'UE, alors que Genève n'en fait pas partie.

La Savoie du Nord peut aussi jouer le rôle majeur dans l'internationalisation souhaitée de la région Rhône-Alpes et devenir la porte d'entrée commerciale et culturelle de l'Orient en Europe, comme  Kobe ou Nagasaki au Japon, et Shanghai en Chine, le furent dans le passé envers l'Occident. C'est à mon avis là que se jouera nore avenir, qui est grand, si nous savons nous y prendre.


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