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Nuit sénatoriale

Publié le 26 septembre 2011 par Variae

Il fait nuit sur l’Elysée.

Nuit sénatoriale

Comme dans un songe, les mêmes chiffres, les mêmes résultats repassent en boucle sur les chaînes d’information en continu. Les mêmes visages défaits à droite, les mêmes mines réjouies à gauche. En une étrange surimposition sonore, il entend sur France 2 les derniers mots d’un documentaire consacré à son irrésistible marche vers le sommet de l’Etat.

Les Fauves. Oui. Et ce soir il a tout d’une bête acculée.

Comment en est-il arrivé là ? La réponse est peut-être dans la question. Toute une vie construite pour La Conquête, de coups de boutoir en coups tordus. Il s’agissait de prendre l’Elysée. Pour y faire quoi ? Question secondaire. Ca semblait simple : réformer, et servir sa caste. Le plus dur était d’y arriver. Pensait-il. Après, on verrait bien. On a vu.

Moi, je suis une Ferrari, lui faisait dire Rotman. Mais la Ferrari rouille dans son garage. La vie de château sied mal à un spécialiste de la guerre de mouvement. Le condottiere n’a pas su se muer en imperator. Il y eut la farce des premiers mois, le yacht, le footing, la Sarkozie triomphante. Puis l’état de grâce a vacillé, l’opposition s’est relevée. Progressivement. Il n’était alors déjà plus que le président de crise, celui qui se refait sur une martingale, déroute financière un jour, débarquement en Libye le lendemain. Ce soir, que reste-t-il de tout ça ? Quelques éléments de langage répétés sans y croire. Des réformes, victoires au forceps sur le coup, qui ont, voix après voix, inexorablement, donné l’hégémonie sondagière à ses adversaires. Des affaires, qui achèvent de donner à cette fin de mandat des allures de crépuscule napoléonien. La curée.

Il regarde par la fenêtre. Ce soir, son sang a coulé. Une fois de plus. Une fois de trop ? Il est bien placé pour le savoir : son odeur attire les prédateurs. D’abord les petits, ceux qui autrefois venaient lui manger dans la main. Quand il ne les avait pas lui-même nourris au grain. La force va à la force. La faiblesse attire les coups. Il le sait bien. Quelques boulons ont déjà sauté de la statue du commandeur. Dati. Jego. Yade. Charon. Jusqu’à maintenant, les autres ont tenu. Jusqu’à quand ? Seul Sarkozy peut nous faire gagner, répète mécaniquement le bon Fillon. Il les a tous mouillés, tous enchaînés avec lui au radeau de la Méduse. Même Copé, même Juppé. Les rats peuvent bien quitter le navire, les fauves, eux couleront avec le capitaine. Jusqu’à quand ?

Il tenait son camp par la force et par la peur. La première lui manque. La seconde s’évapore. C’est un engrenage fatal. Ils craignaient pour leur vice-présidence, leur circonscription, leur ville, si jamais ils venaient à lui déplaire. Ils les ont perdues, avec ou sans lui. Il était à la fois le talisman de la victoire et celui qui pouvait, en cas de désobéissance, les écraser. Il est aujourd’hui celui qui les fait perdre, avec régularité et impuissance. Même le Luxembourg.

Qu’il est dur de se désintoxiquer de sa propre légende, songe-t-il en se passant la main dans ses cheveux aujourd’hui grisonnants. Accepter son nouveau statut de challenger – tout au plus. Faire la liste des priorités : et parmi elles, sauver sa peau. Sans force, pas de peur. Sans peur, les langues se délient. Les juges enquêtent. La justice décrit des cercles autour de lui. Chaque jour, elle se rapproche, emportant dans ses serres une autre brebis du troupeau. Un jour, elle s’enhardira jusqu’à frapper le berger. Il s’y prépare. Ses deux pères sont là pour le lui rappeler.

Faire la liste des priorités. Se représenter en est-il encore une ? Subir ce long chemin de croix, être général d’une armée de mutins, au bord de la rupture, risquer, au bout du chemin peut-être, l’humiliation finale ?

Il sort de son bureau. Demain, il fera jour.

Romain Pigenel


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