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La justice qui passe

Publié le 28 septembre 2011 par Malesherbes

Lundi 26 septembre, dans l’émission Mots croisés, un débat opposait Henri Guaino et Edwy Plenel. Comme le fondateur de Médiapart évoquait l’affaire de Karachi, le conseiller du président l’attaquait ainsi : « Vous pratiquez l’insinuation. C’est la façon la plus basse, la plus minable, la plus scandaleuse, la plus anti-républicaine, la plus anti-démocratique, d’animer le débat public ». Et lorsque Plenel s’indignait des vacances offertes par Zyad Takeddine à Jean-François Copé, Henri Guaino se dérobait en déclarant « Je ne suis pas juge. La justice le dira ».

L’ennui, malheureusement, c’est que depuis quelques années, il arrive à la justice de ne pas le dire, mais plutôt de passer, comme lorsque, dans un jeu de cartes, un joueur passe, laissant passer son tour. Considérons un instant le cas du président Chirac. Sous la présidence de Roland Dumas, le Conseil constitutionnel a décidé que le président de la République bénéficiait de l’immunité, même pour les crimes et délits de droit commun. On ne peut s’empêcher de rapprocher cette décision de la relaxe obtenue ensuite par Roland Dumas dans l’affaire Elf.

S’il est naturel d’agir de la sorte pour des crimes et délits commis par le président dans l’exercice de ses fonctions, ce qui autrement le laisserait à la merci d’opposants malintentionnés, je ne comprends pas pourquoi il devrait être exempté de poursuite pour ceux antérieurs à son élection. La loi précisant que le délai de prescription est alors suspendu, il s’ensuit que d’éventuelles poursuites seront entreprises sur un élu sensiblement plus vieux qu’au moment des faits incriminés. Il est donc ridicule de susciter un mouvement de pitié envers un malheureux vieillard n’aspirant qu’à vivre en paix ses derniers jours.

Cette excuse devient proprement grotesque lorsque la perte de mémoire avancée devient sélective, Jacques Chirac se trouvant incapable de se rappeler ses actions en tant que maire de Paris, mais se souvenant parfaitement de ne pas avoir reçu de valises de M. Bourgi. Mais le pouvoir a osé aller encore plus loin. J’ai entendu l’autre jour, je ne sais plus sur quelle radio, un commentateur s’indigner de ce que l’association Anticor s’était auto-proclamée procureur contre les inculpés dans le procès de la Mairie de Paris. Anticor ne s‘est pas érigée en procureur. La justice l’a autorisée à se porter partie civile et elle a joué fidèlement son rôle, à la différence du Parquet qui s’est scandaleusement comporté en avocat de la Défense. Voyez plutôt.

Chantal de Leiris, un des deux procureurs, affirme « La procédure de recrutement des chargés de mission est exclusive de tout arbitraire et de tout système frauduleux. », concédant toutefois que cette procédure était « imparfaite » et « perfectible ». Elle fait également valoir que l’instruction n’a relevé qu’une vingtaine d'emplois suspects parmi les 35 000 salariés de la Ville de Paris à l'époque. Avec son collègue, qu’il vaudrait peut-être mieux qualifier de complice, elle présente les directeurs de cabinet de M. Chirac comme de simples agents en charge du recrutement, sans aucun rôle de contrôle financier ou d'opportunité, des «maillons de la chaîne ».

Ces deux étranges procureurs s’emploient ensuite à justifier le bien-fondé de chacun des empois contestés. Tâche ardue dans la mesure où nul ne connaissait certains d’entre eux et qu’ils se trouvaient parfois incapables d’expliquer leur mission. D’où des réponses cocasses. Suite à l’étonnement « On ne retrouve pas les rapports qu'ils ont rédigés », la réponse fuse : « Eh bien, on ne peut pas tout archiver ». Il convient de ne pas s’alarmer lorsque l’on ne trouve pas trace des fiches de lecture établies pour M. Chirac par la fille d'un maire de Corrèze embauchée à cette fin, puisque « elle a apporté la liste des livres qu'elle avait lus ». Quant à ce chargé de mission de la « cellule corrézienne » du maire de Paris qui n'a jamais mis les pieds dans la capitale, M. Michel Maes a l’impudence d’expliquer : « Il faisait, comme on dirait maintenant, du télétravail».

J’en ai honte pour eux. Mais il est probable que ce sentiment leur est absolument inaccessible. On se demande bien pourquoi l'ancien président de la République et l'UMP ont jugé nécessaire de rembourser la Ville de Paris de son préjudice financier évalué à plus de 2 millions d'euros si aucune infraction n’avait été commise. Et la suppression des conséquences d’une infraction ne la supprime pas. Le voleur de pomme qui rend la pomme peut malgré tout aller en prison, l’évadé qui est repris subit un allongement de sa peine, même après avoir réintégré sa cellule, effaçant pourtant ainsi son évasion.


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