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Crise grecque : le nécessaire retour du bon sens

Publié le 01 octobre 2011 par Copeau @Contrepoints

La racine du mal est la fable selon laquelle un État ne peut pas faire faillite, et peut donc s’endetter indéfiniment, et que la dette des États est un placement sans risque.

Par Gérard Dréan
Un article de l’Institut Turgot

Crise grecque : le nécessaire retour du bon sens
« Le bon sens est la chose du monde la mieux partagée », disait Descartes avec un brin d’ironie.

C’est aussi la chose du monde la plus méprisée par les économistes, qui sont prompts à traiter de crétins ignorants ceux qui l’appliquent à l’objet de leur discipline.

Bravons néanmoins leur opprobre en osant user de bon sens à propos de la crise grecque.

La situation est très simple et on ne peut plus banale : quelqu’un, en l’espèce l’État grec, s’est endetté au-delà du raisonnable et ne peut plus tenir ses engagements. Normalement, ce quelqu’un serait déclaré en faillite et ceux qui ont eu la légèreté de lui prêter inconsidérément tireraient un trait sur leurs créances. Point final.

Mais voilà, il s’agit d’un État, ce qui explique à la fois pourquoi il a trouvé des gens pour lui prêter au-delà du raisonnable et pourquoi sa faillite devient une catastrophe planétaire. La racine du mal est d’abord la fable selon laquelle un État ne peut pas faire faillite, et peut donc s’endetter indéfiniment, et que la dette des États est un placement sans risque.

Cette fable repose sur deux idées : un État peut indéfiniment taxer ses citoyens ; un État peut battre monnaie. La première a toujours été fausse, mais se révèle aujourd’hui tragiquement fausse. La deuxième n’est plus vraie pour les États de la zone euro pris individuellement, bien que cette contrainte puisse être contournée par les banques à travers la création de crédit sans augmentation équivalente des réserves.

Les économistes qui ont inlassablement nourri et colporté ce mythe portent une lourde part de responsabilité.

On peut espérer qu’un bienfait de la crise, s’il doit y en avoir un, sera de tuer définitivement ce canard. En réalité, quand on y regarde de près, faire défaut présente moins de risques pour un État que pour une entreprise. Quand une entreprise fait faillite, ses concurrents s’en réjouissent et les dirigeants responsables de la catastrophe perdent leur poste, souvent définitivement. Quand un État fait faillite, d’autres États volent à son secours (avec plus ou moins d’empressement, il faut le reconnaître), ses dirigeants restent dans le jeu politique, voire à leur poste, et sont souvent réélus.

En bonne logique, la notation de la dette d’un État devrait être inférieure à celle des entreprises bien gérées qui opèrent sur son territoire, au lieu d’être systématiquement meilleure.

Quel rôle a joué l’euro, qui est la cible de toutes les critiques ? D’un côté il a conforté les dirigeants grecs dans l’idée qu’ils pouvaient faire n’importe quoi, sachant que les autres pays d’Europe viendraient de toute façon les tirer d’affaire − la doctrine funeste du « too big to fail » appliquée a fortiori aux États. De l’autre côté, il a laissé croire aux prêteurs que, puisque la dette grecque est libellée en euros, elle est aussi sûre que celle de l’Allemagne.

Enfin, il fait maintenant croire au bon peuple qu’il est impératif de « sauver la Grèce » pour « sauver l’euro ». Malheureusement, cette croyance est un élément de solution du véritable problème auquel sont confrontés les créanciers, c’est-à-dire les banques et les autres États : comment faire porter le chapeau par quelqu’un d’autre en lui faisant supporter les dettes irrécouvrables ?

C’est là qu’interviennent les experts de la finance internationale et la langue de bois : « vendre de la dette » pour « emprunter de l’argent » ; « monétiser des créances » pour « convertir des créances douteuses en espèces sonnantes et trébuchantes » ; et mieux encore en combinant les deux : « monétiser de la dette » pour « fabriquer de la monnaie sous prétexte que quelqu’un vous a donné un bout de papier en échange ».

Dans un autre registre, « la dette de la Grèce » au lieu de « la dette de l’État grec » ; « les (méchants) spéculateurs » pour « les gogos qui ont été assez bons pour prêter de l’argent et qui rechignent à en prêter encore plus quand on leur dit qu’on ne peut pas rembourser celui qu’on leur doit déjà » et « la monnaie est attaquée » au lieu de « plus personne ne veut prêter à un mauvais payeur ».

Quant aux savantes controverses techniques, elles ne portent que sur les différents moyens de repasser les pertes aux contribuables des autres pays : décider par quel(s) tuyau(x) on fera passer l’argent qui ira de toute façon des poches des contribuables à celles des créanciers de l’État grec. Décider par exemple si cet argent ira à la Grèce pour lui permettre de payer ses dettes ou à ses créanciers pour éponger leurs pertes. Ou le tour de passe-passe qui consiste pour les autres pays à emprunter de l’argent pour dépanner la Grèce, alors qu’ils sont eux-mêmes déjà en train d’aller à grands pas vers la cessation de paiement, avec au bout la nationalisation des banques, autre moyen de faire supporter les pertes par les contribuables tout en offrant la satisfaction aux politiques d’avoir l’illusion qu’ils maîtrisent l’économie.

Autant d’astuces pour passer la patate chaude ni vu, ni connu à des gens qui ne pourront pas la repasser à quelqu’un d’autre. Vouloir maintenant « résoudre le problème », c’est comme si quelqu’un qui a sauté de dix mille mètres sans parachute se demandait tout en tombant comment il va « résoudre son problème ». Trop tard ! Il ne fallait pas sauter. Ce qu’il faut à l’avenir, c’est qu’aucun gouvernement ne mette plus jamais son pays en cessation de paiement. La « règle d’or » serait une excellente idée si elle avait quelque chance d’être respectée, mais tout indique que les mêmes gouvernements qui l’auraient adoptée s’empresseront de la violer à la première occasion.

Il faut des dispositions plus radicales qui lient réellement les mains des gouvernements, et que bien évidemment ni les gouvernants en place ni ceux qui aspirent à les remplacer ne voudront jamais adopter, soutenus en cela par les benêts qui croient que les gouvernements sont là pour résoudre tous les problèmes et doivent par conséquent avoir les mains libres pour le faire.

Mais il est peut-être permis d’exprimer un autre espoir naïf : que cette crise fasse enfin comprendre aux peuples qu’ils doivent retirer aux gouvernements la possibilité de gérer la monnaie à leur guise, qu’ils leur ont imprudemment consentie au fil des cent dernières années.

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