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Chronique du WE : Amazon, le fleuve se réveille

Publié le 02 octobre 2011 par Brokenbird @JournalDuGeek

En annonçant mardi sa nouvelle gamme de Kindles et de services, Amazon semble s’être placé dans la course à la tablette, face à l’imbattable iPad d’Apple. J’ai cependant l’impression qu’Amazon ne vise pas simplement un marché, mais plus grand. Et que, dans l’ombre des géants Microsoft, Apple et autres Google, arrive un véritable colosse.

Explications dans la suite.

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Le mimétisme est savoureux : lors d’une conférence lookée comme les célèbres Keynote d’Apple, une semaine avant la Keynote d’Apple, Jeff Besos présentait ses nouveaux Kindles. Des E-Readers bien évidemment, mais une tablette également, Fire.

A lire également l’éditorial sur la homepage d’Amazon :

« Cher client,

Il existe deux types de compagnies : celles qui travaillent dur pour faire payer plus aux clients, et celles qui travaillent dur pour faire payer moins aux clients. Les deux approches peuvent marcher. Nous sommes clairement dans le deuxième camp.

(…)

Nous construisons des produits premium et les vendons à des tarifs non premium. »

Il n’en fallait pas plus pour que de multiples « Amazon attaque l’iPad » fleurissent partout. Et dans un sens, c’est vrai.

Le scepticisme était également de mise, tant Amazon ne semble pas sur son terrain, lorsqu’il s’agit de venir s’attaquer au marché des tablettes, face à Android et iOS. Je suis pourtant chaque jour plus confiant dans le projet de Besos et ce, pour une raison principale : Amazon ne vise pas l’iPad. Amazon vise beaucoup plus grand.

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UNE MUE PRESQUE COMPLETE

Il faut déjà repartir 17 ans en arrière pour comprendre à la fois la longue histoire d’Amazon et son potentiel encore énorme. La légende raconte que Besos, frustré de louper la ruée vers l’or qu’est le début du web, couche le business plan lors d’un trajet New York Seattle en voiture avec sa femme. Ce sera une librairie en ligne. La plus grande librairie en ligne au monde (facile), voire la plus grande librairie du monde (moins facile).

Malgré des début cahoteux (Amazon ne sera profitable… Qu’en 2001), Besos comprend très vite le potentiel d’un superstore. Et aux livres vont vite venir s’ajouter d’autres contenus : DVD, CD, Jeux Vidéos etc. C’est la seconde phase d’Amazon, qui devient alors un superstore de la culture.

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Et logiquement, suit le matériel : informatique, home cinéma, photo etc.

Et vous savez quoi ? L’expansion continue pour couvrir un nombre incroyable de produits, même frais : outils de jardinage, fournitures de maison, maquillage, jouets pour enfants, vêtements, accessoires de sport, pièces détachées etc. Amazon n’est plus un libraire pour geeks. C’est une boutique qui vend de tout à tout le monde.

En parallèle, Amazon développe de nombreux services, mais j’y reviendrai plus tard. Et surtout, sort fin 2007 son premier livre électronique maison, le Kindle.

Malgré son titre de dinosaure du web (Besos avait même choisi le nom « Amazon » car il voulait apparaître en début de bottin), ses phases délicates et son absence globale de sex appeal, Amazon a prouvé à travers son expansion unique cette capacité à évoluer et surtout, transcender son statut. Tous ces facteurs auront leur rôle à jouer par la suite.

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PAS UNE TABLETTE, UNE VITRINE

Si l’on pose toutes les cartes Amazon sur table, on se rend compte que l’entreprise s’est étendue un peu de tous les côtés. Qu’avec chaque opportunité est venue un service. Mais qu’au final, la sensation qui reste est celle de l’éclatement : on se demande presque quelle est la logique derrière Amazon. Et c’est ici que le Kindle Fire entre en jeu.

Si l’on regarde le business model des nouveaux concurrents d’Amazon, le modèle diffère à chaque fois : Apple marge généreusement sur ses produits et propose des services presque à prix coûtant (iTunes, App Store) pour enrichir le sex appeal de ses appareils.

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Google vend de la publicité et s’étend de manière massive à travers des services gratuits (Android, Chrome, Chrome OS, Gmail, Youtube etc.) pour faire augmenter de manière mécanique les pages vues par les internautes et donc, afficher plus de publicités.

Où se situe Amazon ? Dans une 3e voie, peut-être pour le mieux. Le business d’Amazon est celui d’un store qui vend des produits, matériels ou dématérialisés et ce, en masse. Cela lui permet de marger peu et d’être souvent très compétitif de ce côté là. A l’inverse d’Apple, Amazon vend donc ses Kindles à des tarifs très agressifs, car elle n’a pas besoin de marger dessus : les Kindles sont appelés à devenir à terme la vitrine d’Amazon, le portail par lequel on pourra acheter tous les produits en un clic, voire un touché. Un peu comme Google veut afficher des pages web, Amazon veut afficher ses produits.

C’est ici que l’accroche de Besos prend tout sens  : « Vendre du premium à un tarif non premium », c’est acheter de la culture ou des produits pas chers via une tablette au tarif serré. Deux phases à faible marge mais gros volumes qui permettent d’offrir une expérience haut de gamme.

L’une des grandes leçons de l’iPad réside dans le fait qu’en repensant une interface, on rendait le contenu bien plus attractif. Les magazines hybrides en sont le cas le plus parlant. Mais ceci marche également avec le shopping : rendu joli et simple avec l’interface tactile qui va bien, ce dernier est appelé à explosé à travers les tablettes, ces objets que l’on emmène partout avec soi.

Amazon l’a bien compris et veut maintenant disséminer tous ses rayons au détour d’une page, d’un conseil shopping, d’un produit récemment acquis. Et dans l’idée, l’offre est séduisante. Utilisant régulièrement Amazon sans jamais avoir été déçu par leur service, je serais le premier partant pour accéder à une immense boutique généraliste, qui me vend autant mon livre en 50 secondes que mon appareil photo en 2 jours. C’est ici qu’Amazon met en valeur un potentiel bien plus impressionnant qu’on ne le pense. Et ce n’est pas tout.

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A VOS SERVICES

Sous la couche shopping, Amazon a également développé depuis des années un nombre de services plus ou moins connus mais qui pourraient se révéler comme de réels atouts une fois l’optique Kindle bien dégagée. En voici une liste non exhaustive :

Le cloud. Saviez-vous qu’Amazon possède l’une des offres d’hébergement les plus puissantes du monde ?Avec EC2, mais surtout S3 (pour Simple Storage Service), qui offre l’hébergement de fichiers, images et sites depuis 2006, calquant son modèle sur l’infrastructure gérant Amazon.com. S3 héberge aujourd’hui plus de 450 milliards de fichiers et ses noms tels que DropBox, MineCraft, SmugMug ou les images de Tumblr.

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S3 ne représente qu’une des offres d’Amazon Web Services, qui place la société loin en tête des offres cloud à venir. Alors qu’Apple lutte encore pour finaliser iCloud (et faire oublier l’infâme Mobile Me) et que Google n’a toujours pas lancé son Drive, le Cloud Drive d’Amazon, déjà inclus dans l’offre du Kindle Fire pourrait donner un avantage décisif.

Amazon est également producteur de contenu. Avec Amazon Publishing ou la co-production de films. La société de Besos offre également aux auteurs un contrat d’auto-publication pour livres-électroniques bien plus avantageux que ce que les éditeurs classiques offrent.

Vous savez quelle fût ma partie préférée de l’annonce du Kindle Fire ? Silk. Le nouveau browser web dédié au Fire. Ce dernier utilise la puissance des milliers de calculateurs et serveurs à la disposition d’Amazon pour déporter le calcul et le rendu des pages web que vous ouvrez avec votre tablette. Au lieu de tout mouliner elle-même, la requête est envoyée chez Amazon, qui optimise le tout en une fraction de seconde et vous renvoie le résultat bien plus vite et de manière transparente. Vous me direz que cette technologie existe déjà chez Opera ou chez Onlive, le service de jeu vidéo « cloud ». C’est exact, mais Amazon en tire un bénéfice unique, celui qui nous fait tous froid dans le dos : votre historique.

En traçant toute votre navigation, Amazon récupère vos historiques, vos requêtes, vos préférences. Une véritable mine d’or, comparable au social graph de Facebook. Silk est donc un service spectaculaire, utilisant les puissances d’Amazon déjà présentes, offrant un confort de navigation à l’utilisateur et des informations capitales à Amazon. Silk est le symbole de la puissance d’Amazon : une offre toujours plus séduisante, discrète et entièrement au service du commerce. Flippant, fascinant.

Ces services et implications dans la production de contenu vont dans un sens, un objectif unique : faire d’Amazon la première société « End-To-End » au monde. Car si Apple gère toute sa chaîne de production et offre des plate-formes d’offre de contenu, Amazon veut aller plus loin en s’impliquant dans la production de contenus ou en se transformant en méta-boutique, mais oui.

Car en hébergeant enfin des vendeurs et offres tierces, Amazon pourrait carrément court-circuiter Google.

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GOOGLE, MEILLEUR ENNEMI

Car Google base tout son business sur son moteur et ses algorithmes de recherche. Ses publicités Adsense sont basées sur les termes que vous en entrez dans le moteur de recherche. Hors et de manière croissante, Amazon pourrait venir « voler » toutes ces recherches dédiées au shopping et vous l’aurez deviné, les plus rentables.

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Avec sa visibilité sans pareil, Amazon truste déjà les premiers résultats de recherche de manière quasi-systématique. Mais surtout, Amazon héberge depuis peu d’autres boutiques. C’est ici que se trouve le tournant. Etant devenu la plus grande plate-forme d’e-commerce, Amazon attire les petites boutiques, qui viennent proposer leurs offres sur le site, et faire jouer la concurrence. Il est ainsi devenu commun de trouver plusieurs tarifs pour un objet, en neuf ou en occasion. En passant de supermarché à centre commercial, Amazon court-circuite ainsi une grande partie des recherches. Il est plus simple d’aller sur Amazon chercher un produit, tomber sur les recommendations des autres clients et acheter avec un seul et unique compte, que de se retrouver dans la jungle des milliards d’offres recensées sur Google.

Ce dernier se retrouve donc en danger, à mettre en avant une boutique qui vampirise toujours plus audience et surtout, ces recherches qui lui rapportent tant d’argent, que ce soi en liens commerciaux ou en pertinence de recherche : le moins de recherches sur un thème, le moins de bons résultats. Impensable pour un moteur de recherche.

Cette situation tendue est d’autant plus savoureuse qu’Amazon est partenaire de Google à plusieurs titres. Le Kindle Fire utilise ainsi une base d’Android 2, largement modifiée pour mettre en valeur l’offre Amazon. Et L’Amazon App Store est dédié à Android. Ce qui rend le Kindle Fire à la fois « propriétaire » et pourtant enrichi de toute la bibliothèque Android. Le meilleur des deux mondes, surtout pour Amazon.

Ce dernier peut également se targuer d’un partenariat avec Microsoft, qui le protège de la fameuse taxe que la firme de Redmond ponctionne à tous les autres constructeurs utilisant Android, pour une de ces sombres histoires de brevets. A ce jour, Microsoft aurait déjà récupéré plus de 450 millions de dollars…

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UNE REUSSITE FLEUVE

Plus je regarde l’ensemble des entités Amazon et ce que Kindle va représenter pour elle, plus je suis confiant dans Amazon. Le superstore a enfin trouvé comment mettre en valeur et fédérer tous ses services : un écran de 7 pouces offrant du contenu, du shopping, des services cloud, le tout avec un tarif ultra serré de 199 dollars. Tarif que d’autres constructeurs Android pourront venir contester dans les prochains mois, mais qu’Apple n’atteindra pas avant deux ans, à moins d’une volte face spectaculaire en Avril prochain, pour la présentation prévue de l’iPad 3e du nom.

Avec un tarif discount et une offre pourtant extrêmement riche, un univers soigné et ce côté caverne d’Ali Baba, Amazon pourrait tenir la formule magique pour s’imposer : donner envie à ses clients de dépenser plus en réfléchissant moins. Car nous parlons bien de business ici. En face, les concurrents semblent soudainement moins bien armés. Et il est plus facile de produire une belle tablette que de créer un bel éventail de services.

J’ignore si le développement d’Amazon sur ces 17 dernières années a toujours convergé vers l’objectif unique du « End to End ». Mais Jeff Besos est considéré comme un Jobs moins grande gueule. Mais tout aussi brillant. Du genre à tout valider lui-même, des plus grandes décisions au plus petits détails. Lorsque Besos a lancé Kindle quelques mois après l’annonce de l’iPhone, tout le monde a rit. Mais dans l’ombre du multitouch, la projet de livre, puis de tablette à tout faire a évolué dans le bon sens.

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Amazon peut aujourd’hui exploser au grand jour et afficher ses ambitions. Certains lui reprocheront son manque de reconnaissance par rapport à Apple, je pense que cela peut devenir une force : si la Pomme risque une saturation d’occupation médiatique, Amazon est un géant omniprésent, aimé et beaucoup plus discret. Un immense fleuve, calme à surface, mais charriant pourtant des millions de cubes d’eau chaque seconde. Impossible à arrêter.

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« Les Chroniques du Week End sont des réflexions de Lâm Hua sur la culture et l’industrie geek. Elles engagent les opinions de leur auteur et pas nécessairement celles de l’ensemble de la rédaction du JDG.

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