Magazine Moyen Orient

9/11: du bon usage de la peur

Publié le 11 septembre 2011 par Jcharmelot

Les services de sécurité aux Etats-Unis ont été placés en état d’alerte alors que le pays marque le dizième anniversaire des attaques terroristes contre New York et Washington. Ces mesures illustrent comment le 11 septembre 2001 et la réponse du pouvoir américain ont créé un nouveau contexte pour la gestion des questions de sécurité nationale, et des affaires internationales, qui privilégie l’illusion sur la réalité. Et la peur sur la raison.

Des menaces « crédibles », « spécifiques », mais non « confirmées » 

Les responsables américains ont fait état de menaces « crédibles » et « spécifiques » pour mettre sur le pied de guerre les forces de polices dans les aéroports, les gares, et les lieux publics dans les grandes villes des Etats-Unis. Des barrages de police ont même été dressés dans les rues de Manhattan pour contrôler les automobilistes. Cette mobilisation a été provoquée par les déclarations d’un informateur de la CIA qui a indiqué avoir entendu évoquer la possibilité d’attentats à la voiture piégée à New York et dans la capitale fédérale. Les officiels américains ont toutefois pris la précaution de souligner que ces informations n’étaient pas « confirmées ». Puis l’avis de menace a été discrétement levé, mais les mesures de sécurité ont été maintenues. 

Cette ultime alerte, et sa gestion par les responsables américains et la presse, illustre comment dix ans aprés les attaques d’Al Qaïda, la plus puissante démocratie du monde reste encore vulnérable à des peurs irrationnelles. Elle a été diffusée et largement commentée alors même qu’un récent rapport appelle à traiter ce genre d’informations avec la plus grande méfiance. Ce rapport a souligné l’incompétence du principal acteur de la prévention anti-terroriste aux Etats-Unis, le Department of Homeland Security. Créé au lendemain du 11 septembre, il était censé coordonner les efforts des dizaines de services impliqués dans la protection du territoire américain. Et assurer que toutes les informations circulent bien entre la police, les renseignements, l’armée, pour éviter qu’une nouvelle tragédie ne se produise. Mais cette énorme administration, qui a englouti des milliards de dollars,  est devenue une machine à produire des mises en garde que plus personne ne lit. Le magazine Newsweek a comparé cette multiplication des rapports inutiles aux « spams » qui inondent les utilisateurs de mail.

La peur: ciment national

En dépit du scepticisme et de la prudence qui devraient donc les inspirer, les responsables politiques n’ont pas hésité à brandir la menace d’une nouvelle attaque et la presse à s’en faire l’écho. Comme si la cohésion nationale aux Etats-Unis ne pouvait se définir qu’à travers l’existence, même supposée, d’un danger grave et permanent. Et comme si la peur des citoyens restait la meilleure justification de choix stratégiques –comme la militarisation de la gestion des crises internationales– que les changements de direction politique à Washington ne semblent pas avoir affecté.  

A bien y regarder, cette alerte –à un moment aussi symbolique– souligne un dangereux paradoxe. Elle donne l’impression que dix ans de « guerre contre le terrorisme » n’ont pas été en mesure d’éloigner des côtes américaines le péril terroriste. Et que les 3,3 milliards de dollars dépensés à cet effet, comme le calcule le New York Times, n’ont servi à rien. Elle relègue même au rang d’épisodes insignifiants l’exécution d’Oussama ben Laden, ou l’élimination de dizaines de ses fidèles, pourtant présentées comme autant de coups déterminants portés à la nébuleuse terroriste.  

Le « terrorisme », héritage tenace, utile, et périlleux

Plus grave encore, le « terrorisme »  continue d’être présenté comme la menace ultime que les Etats-Unis doivent affronter sous peine de disparaitre. Ce paradigme mis en oeuvre par l’administration du président George W. Bush apparaît comme un héritage tenace en dépit des efforts du président Barack Obama pour en libérer son pays. Et en dépit surtout des échecs cuisants –et bien réels ceux là– que cette approche a valu à l’Amérique. Des guerres ruineuses et inachevées comme en Afghanistan ou en Irak, et des questions cruciales toujours sans réponse, comme le conflit israélo-palestinien ou la dépendance américaine à l’égard du pétrole.

Dix ans aprés les attaques contre New York et Washington, l’extrémisme meurtrier dont Al Qaïda a su faire la démonstration reste l’aune à laquelle les évolutions du monde musulman ou du monde arabe sont encore mesurées. Les responsables américains et une grande partie de la presse aux Etats-Unis citent souvent l’absence de référence à Oussama ben Laden en Tunisie ou en Egypte, pour voir dans les révoltes populaires dans ces pays la démonstration que les masses arabes sont affamées de démocratie et non pas de fanatisme. Il s’agit bien sûr d’une lecture propre à rassurer les Américains dans la justesse des objectifs que leur gouvernement déclare poursuivre au Moyen Orient.  Mais elle réduit l’histoire de ces pays et du reste de la région aux dix ans de face à face entre les Etats-Unis et cet ennemi essentiel qu’ils ont aidé à développer. Elle gomme les luttes entamées lors de la décolonisation, et par la suite, pour mettre en place des structures de pouvoir nationalistes, voire démocratiques. Elle fait table rase des guerres, des injustices sociales, des retards accumulés dans les domaines de l’éducation et du développement économique. 

En insistant sur le tropisme terroriste les dirigeants occidentaux et la presse font la grave erreur d’oublier la réalité d’une région qui se définit non par le fanatisme d’une minorité mais par la détermination de ses peuples de voir progresser deux aspects fondamentaux de leur histoire, paralysée depuis 40 ans: La cohabitaton d’Israël et de ses voisins arabes, et la répartition juste de ressource naturelles  –le pétrole, le gaz, l’eau– dont dépend l’équilibre mondial.  

New York Times

Newsweek

New York Times : The price of war


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