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Nobel de littérature 2011 : Tomas Tranströmer ou le pouvoir de l'image

Publié le 06 octobre 2011 par Labreche @labrecheblog

prix nobelTomas Tranströmer est le lauréat du prix Nobel de littérature 2011. L'annonce effectuée aujourd'hui n'est pas si surprenante, mais comme chaque année elle laisse certains circonspects. Pourtant, ce prix s'explique par les qualités du poète autant que par le message que l'Académie suédoise veut faire passer.

Un lauréat plutôt attendu

Le prix Nobel de littérature remis à Tomas Tranströmer était finalement presque attendu, depuis quelques  années déjà : chaque automne, des journalistes se postaient à son domicile avant l'annonce au cas où il soit l'heureux élu, et le poète avait  déjà reçu de nombreux prix parmi les plus prestigieux du monde (Prix Pétrarque en 1981, Prix Neustadt en 1990, Prix August Strindberg en 1996). Poète réputé et même populaire en Suède mais aussi dans les pays de langue anglaise, Tranströmer, à quatre-vingts ans aujourd'hui, est le premier Suédois à recevoir le plus prestigieux des prix littéraires depuis les très contestés doubles lauréats de 1974, Harry Martinson et Eyvind Johnson, récipiendaires alors qu'il siégaient au sein de l'Académie suédoise qui, rappelons-le, décerne le fameux prix. Cette vieille polémique est d'ailleurs fort probablement la raison d'une si longue attente : Tranströmer est tout de même le septième Suédois à recevoir le Nobel de littérature depuis 1901 (et depuis Selma Lagerlöf en 1909).


Plus significatif encore peut-être, le prix n'avait plus récompensé de poète depuis la Polonaise Wisława Szymborska en 1996. Si notre temps est certes plus accueillant aux grandes réalisations romanesques, il est est toutefois des œuvres poétiques dont la valeur est indiscutable. La reconnaissance d'un poète était donc attendue, même si l'on a plus souvent cité Adonis ces dernières semaines ainsi que l'an passé, sans doute plus pour le caractère politiquement suffisamment à la mode en même temps que consensuel de sa figure que pour la qualité de sa poésie même.

Puissance de l'image

Le traditionnel et laconique motif de la récompense de l'année affirme que le prix revient à Tranströmer « parce que, par ses images concentrées et translucides, il nous offre une nouvelle approche de la réalité ». Cette puissance de l'image, Tomas Tranströmer l'expérimente dès son premier recueil, 17 Dikter (17 poèmes) publié en 1954. Il a alors 23 ans, et en train de terminer des études de psychologie. Il n'abandonnera d'ailleurs pas cette spécialité malgré le succès de ses écrits, la poésie lui laissant le loisir de travailler à l'Institut Roxtuna de Stockholm auprès de jeunes délinquants. L'image poétique est pour une échappatoire, une libération, elle est une vision que Tranströmer arrache aux tréfonds du poème.

Au fil des décennies, Tranströmer publie quatorze recueils, qui montrent une recherche toujours plus avancée vers la concision, et le voient poursuivre l'exploitation par l'image des thèmes qu'il affectionne : la nature, le temps, le voyage, le rapport de l'homme au monde et à sa complexe banalité. Leur succès va grandissant, aidé par la contribution de Robert Bly, le poète américain, ami de Tranströmer depuis les années cinquante, trouvant dans l'exercice de traduction depuis le suédois vers l'anglais un intérêt et une source d'inspiration pour ses propres œuvres. Plus récemment, c'est un autre grand poète, le Chinois Dao Bei, qui est parvenu à construire sa propre œuvre en parallèle de ses traductions de Tranströmer. Lui-même fait désormais partie des noms évoqués chaque mois d'octobre avant l'annonce du prix Nobel.

Concision de la forme

prix nobel, tomas tranströmer
Après une attaque cérébrale en 1990, Tranströmer ne se remet pas totalement et demeure hémiplégique et ne parlant qu'avec difficulté. Il met un terme à sa carrière de psychologue mais continue d'écrire. Comme si le mal répondait à son propre souci littéraire, Tranströmer progresse toujours vers l'économie de mots, dans Sorgegondolen (Funeste gondole, 1996), Korta dikter (Poèmes courts, 2002) et enfin Den stora gåtan (La grande énigme, 2004), son dernier recueil, composé exclusivement de haïkus : une rencontre qu'on aurait presque pu prédire, la forme de Bashô et de Buson allant comme un gant à Tranströmer. Pour ce dernier recueil, il reçoit le prix de la Grande Ourse (Pékin) et le prix Mayagi Kami siho (Japon), avant d'annoncer qu'il cesse d'écrire, et de se réfugie dans la musique, travaillant le piano de la main gauche qui lui reste.

En France, pays difficile pour les poètes non francophones, le nom de Tomas Tranströmer est méconnu. Pourtant ses œuvres complètes ont été publiées en 1996 et complétées en 2004, sous la traduction de Jacques Outin, aux éditions Le Castor Astral, avant d'être reprises en poche dans la collection « Poésie » de Gallimard, sous le titre Baltiques. Mais comme le rappelle Kjell Epsmark, Tranströmer est « très éloigné de la grande tradition rhétorique de poésie française » et du « grand souffle » apprécié dans l'hexagone (même si l'on peut comme Renaud Ego le rapprocher d'un Francis Ponge, par exemple).

L'Académie suédoise dessine une école

L'image, la métaphore, voilà le domaine dans lequel Tranströmer s'est imposé, sans maître. Joseph Brodsky (qui avouait « Je lui ai volé plus d'une métaphore ») avait ainsi rendu hommage au Suédois,  « poète de première importance, d'une incroyable intelligence », ce que l'on ne saurait contredire à la lecture de ses meilleurs poèmes, comme « Schubertiana » (1978).

En le consacrant, l'Académie suédoise fait apparaître une tendance depuis plusieurs années, qui explique son ignorance des auteurs américains les plus populaires, et la mise en valeur d'auteurs souvent peu connus hors de leur langue d'origine (Tranströmer constituant une demi exception). Le lauréat 2011 partage en effet avec J.M.G. Le Clézio (2008) et avec Herta Müller (2009) cette passion pour l'évocation visionnaire. Les académiciens de Stockholm sont parvenus en quelques années à mettre ainsi en résonance les auteurs du Rêve mexicain et Désert, et de Le renard était déjà le chasseur et La convocation, avec les vers de Tranströmer, affirmant l'existence d'une « littérature-monde » saturée d'images et d'imaginaires qui révèlent la complexité du monde. Un effort exprimé constamment, donc, du moins lorsque la place ne revient pas à une œuvre majeure et impérissable, comme celle de Mario Vargas Llosa en 2010.

Crédits iconographiques : 1. © Ulla Montan/Albert Bonniers Förlag/nobelprize.org | 2. © Gallimard.


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