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Le moi-monde maboul de Munch

Publié le 23 septembre 2011 par Mademoiselledupetitbois @MlleduPetitBois
Le moi-monde maboul de Munch

La rentrée picturale à Beaubourg : à la hauteur ?

Et voilà les grandes expos de la rentrée culturelle. J’ai eu l’occasion de découvrir en avant-première, grâce à l’amie Séverine, « L’œil moderne » d’Edvard Munch au Centre Pompidou. Malgré les efforts des commissaires pour présenter une œuvre supposée moins torturée qu’il n’y paraît, on se dit en visitant qu’il était quand même assez, disons, barré. Mais barré dans l’egocentrisme. Ce doit être de cela dont parlent ces organisateurs en le nommant représentant de la modernité. Du moins c’est ainsi qu’on pourrait le comprendre puisque le XXe siècle pictural s’est démarqué, comme pour d’autres disciplines, sur la question du Moi. Et dans le cas de Munch (prononcez Mounk, 1863 – 1944), on est dans l’exploration des souffrances personnelles, rien de moins, même lorsqu’il s’attache à des sujets « extérieurs ». Aussi son travail pose par ailleurs la question, nous est-il expliqué, de la reproductibilité des œuvres… Voyons.

Mais glissons sur les aspects plastique et palette du peintre… Ce n’est franchement pas dans cette expo, à quelques exceptions près, le plus intéressant. La répétition compulsive de ses sujets l’est davantage : la comparaison entre certaines toiles sur le même thème, comme Deux êtres humains – Les solitaires, illustre bien cette sorte de quête, ou variation, notion plus familière en musique, à laquelle Munch s’est soumis à… répétition. Pour atteindre l’image juste, la plus proche de sa vérité. C’est aussi le cas de La femme nue en pleurs. Mais, à côté de la demi-douzaine de toiles, c’est le dessin de cette même image, épure et simplicité du trait, cadre suggéré et flottant, qui a suscité en moi l’émotion forte (pas de photo, désolée).

Le moi-monde maboul de Munch

Superbes "Solitaires" (1906-1907)

De là à dire qu’il aurait mieux fait de ne pas se fouler avec les pigments… Certes non, n’est-ce pas. Une petite dame assise devant la projection d’images filmées par l’artiste lui-même a persiflé : « Il a bien fait de choisir la peinture… » Elle n’avait pas tort. Car en ciné ou en photographie, à laquelle l’expo consacre deux salles tout de même, l’intérêt est moindre : il offre avec ces autres media des documents d’archives, mais pas des œuvres d’art.

La « valeur cathartique de la répétition » atteint ses sommets évocateurs de névrose avec les autoportraits que Munch fit tout au long de sa vie. C’est néanmoins, rappelons-le, une sorte de tradition chez les artistes (voir Bonnard à la même époque, par exemple). Edvard a, dès le début de sa pratique, cherché à s’autobiographer. Particulièrement impressionnants, les deux que voilà…

Le premier date de 1909, quand le peintre se remet à peine d’une dépression nerveuse qui l’a mené tout droit à la Clinique du Docteur Jacobson l’année précédente. Précisons que dans sa prime jeunesse, l’homme perdit sa mère d’une tuberculose, sa sœur aînée d’une phtisie, son autre sœur souffrait d’une dépression chronique, plus tard son frère mourait à peine adulte et lui-même bataillait à coups de pistolet avec son ex… Cet autoportrait se fait saisissant quand on se rend compte du soin porté au visage (qui rappelle, de façon anachronique, la chair du regretté Lucian Freud). Le reste des éléments représentés est brossé, presque à grands traits, même si la palette est savante.

Le moi-monde maboul de Munch

L'affirmation du visage – "Autoportrait à la Clinique du Docteur Jacobson" (1909)

Evidemment, en petite image à l’écran, ça ne surprend pas autant. L’autre autoportrait est moins « gai » (euphémisme). Ici, le peintre se représente entre une horloge sans aiguilles, des œuvres passées (par la peinture à peine détaillées), et le lit… de mort à côté, prêt à l’emploi. Notez la posture des bras.

Le moi-monde maboul de Munch

"Autoportrait entre l'horloge et le lit" (1940-1942)

Munch mourra deux ans après avoir achevé cette œuvre. D’autres autoportraits, à la grippe espagnole, noctambule, 1940, ne sont pas franchement rigolards non plus.

Dans la sélection du musée, on se dit que même lorsqu’il regarde autour de lui, l’artiste retient des scènes plutôt dramatiques. Jugez-en par les titres : Meurtre sur la route ; La maison brûle ! ; La bagarre ; Les hôtes indésirables ; La Jalousie ; Combat contre la mort (en voilà un qui est flippant)…

En majorité les tonalités sont franches, jaune, vert ou rouge presque criards, mais une peinture se distingue de l’ensemble par la lumineuse douceur de ses couleurs. Elle n’est pas sans évoquer Van Gogh, et pas seulement pour le titre vous me l’accorderez :

Le moi-monde maboul de Munch

"Nuit étoilée", un peu de douceur lactée dans un monde de couleurs brutes (1922-1924)

Le peintre a d’ailleurs découvert et admiré cet aîné autour de 1915, on dit même qu’il s’en serait inspiré pour la lumière. C’est précisément cette image que les pros de la com du Centre Pompidou ont choisi pour illustrer l’événement. Les coquins…

L’affiche est en vente, et j’en viens à l’autre question qu’aura soulevée Edvard Munch avec ses « compulsions » : la reproductibilité des œuvres (ça me fait penser à Soulages, tiens). Je détourne ici, hors travail plastique donc, un peu le propos pour une grande parenthèse : il y a peu, je m’exaspérai dans une conversation sur cette manie absurde d’accrocher des posters de type impressionnistes-dans-le-salon-c’est-très-joli-non-? (je n’ai chez moi qu’une seule exception, rien que pour confirmer la règle, et c’est De Staël). On m’a alors parlé de l’essai critique de Walter Benjamin : L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique.

Le moi-monde maboul de Munch

A lire

Je ne connaissais pas cet écrit, mais figurez-vous que je partageais absolument son idée sans le savoir : hors de sa matière, de son contexte, une œuvre perd son aura, se désincarne dans la déperdition de sa représentation. Contre l’émotion de l’ici et maintenant, face à elle. Ce problème ne chagrine absolument pas semble-t-il le Musée d’art moderne (et les autres) : on trouve de tout, des mugs, des badges et des magnets de frigo à la con à foison dans l’inévitable espace de vente qui vous attend à la sortie. Des livres, passe encore… Bref. On pourra m’objecter que j’illustre bien mes articles avec les reproductions des toiles : pas de mauvaise foi, elles sont ici à titre informatif ! C’est pas pareil ! D’ailleurs, quand on voit ne serait-ce que la différence de qualité chromatique d’une image à l’autre sur le web, cela ne fait qu’appuyer mon propos : allez-y voir en vrai.

Revenons à Munch : c’est sur la composition que l’expo vaut le coup d’œil, si je puis dire. Le regard de Munch est introspectif, certes, à bien des égards. Notamment cette amusante série sur son œil malade (une hémorragie temporaire). Mais il n’a de cesse de questionner l’approche des sujets. C’est frappant dans des œuvres telles que Cheval au galop (l’usage du blanc), ou, particulièrement, la série sur La chambre verte. Entre les années 1900 et 1920, l’artiste s’associe avec les dramaturges Henrik Ibsen, August Stringberg, et Max Reinhardt, le chef de file de l’expressionnisme berlinois. Il s’agit avec ce dernier de créer une stimmung, une atmosphère intimiste propice pour la kammerspiele, le théâtre de chambre (littéralement). Dans ces scènes, il cherche, et c’est indéniable, à accentuer la profondeur de champ, à intensifier la relation entre le « regardant » et le tableau.

Le moi-monde maboul de Munch

"L'artiste et son modèle" (exemple choisi à défaut de "Jalousie"… – 1921)

Oui, cette expo est intéressante en ce sens, et quand on souhaite découvrir de l’artiste autre chose que le célèbre Cri. Car le cas échéant vous en serez pour vos frais : le tableau ne fait pas partie de l’accrochage. So hype, Beaubourg… Autre snobisme de ces commissaires, il faut presque être expert de l’œuvre et connaître d’avance le parcours artistique et la bio pour apprécier l’expo, peu didactique donc. C’est pourtant si exaltant de découvrir sur le moment l’histoire qui accompagne toute œuvre, soit l’histoire dans l’histoire… Soupir. Ici ils montrent l’Edvard aux mains déprimant, qui n’en est pas moins un grand artiste. On gardera toutefois l’idée qu’une des influences majeures de l’expressionnisme n’aura peut-être fait, au final, qu’exprimer ce que son époque artistique lui a recommandé. La bohème littéraire norvégienne criait « Ecris ta vie » ? Et bien à ce qu’on voit : « C’est ce qu’on fait ! »

- Exposition  »L’œil moderne » d’Edvard Munch au Centre Pompidou, jusqu’au 9 janvier 2012, tous les jours sauf mardi, de 11 heures à 22 heures. Tarifs : 12 et 9 euros.

- Walter Benjamin, L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique, Folio Plus Philosophie, 5 E env.

- Henrik Ibsen : Une maison de poupée (sublime Nora…), Hedda Gabler (plus sombre), Peer Gynt (la farce), Le Canard sauvage (un idéaliste)… Et les autres pièces de théâtre de ce maître absolu, norvégien comme Edvard. En poche.

- August Stringberg : Mademoiselle Julie (danse de pouvoir entre femme et homme, entre maître et valet), Créanciers (il accusa Ibsen de l’avoir plagié avec Hedda), et entre autres sa Correspondance. Le Suédois gardait une sacrée rancune envers les femmes (ce qui n’est pas le cas d’Ibsen). Ce que c’est que le dépit, que l’amertume, et de ses conséquences sur une œuvre qui a, dans son ensemble, pris un petit coup de vieux, forcément.

- Max Reinhardt était metteur en scène de théâtre. Aussi n’existent que des biographies, à dénicher à la Librairie théâtrale à Paris par exemple.

(Ps. Oui… Oui… j’arrive BIENTÔT avec la Rentrée littéraire.)


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