mens sana in corpore quoi déjà ? (Michel Simon dans "Panique")
Trêve de plaisanteries. Il n’y a pas que l’esprit dans la vie, il y a le corps – permettez cette lapalissade. Et pour le corps, c’est la saison des « -logues ». Entre autres spécialités, je visite mon dermato-logue cause méchant soleil/teint bousillé, revois d’autres -logues cause contrôle annuel… Et puis, grâce à l’ami Fabrice, j’ai trouvé un nouvel ostéopathe, avec lequel je dia… -logue. Sur l’état des corps, de la culture, de la littérature. Sur Julien Duvivier, sur Louis Jouvet. Comme le dialogue permet la découverte…
Ventrebleu comme il est énergique, ce kiné. Il ne se soucie guère de plaire à ses patients, lui. Même si on ne se connaît pas bien, il me vilipende vertement. C’est vrai que j’ai malmené ma santé ces derniers temps, et que, même si je veille à la « restaurer » lentement mais sûrement (y a intérêt), je force un peu parfois et crac, ça coince – vers la zone de l’esprit d’ailleurs : tête/épaules. Le trapèze, manque d’équilibre. Je me tords le cou toute seule. L’esprit n’est jamais très loin du corps, pa’?
Mon ostéo, un peu comme ces personnages de marins pas commodes des films des années 40, ces sympathiques salauds, n’hésite pas à le signifier : « ça j’aime pas » qui dit, et « comment ça se fait que vous êtes comme vous êtes alors que vous ne devriez pas, tel que je vous vois, être comme ça » – en substance. Tête et squelette : bam. Et puis il me demande ce que je fais dans la vie… Aie aie, ce que j’ai pas dit là. Je vous passe les détails. Mais nous sommes tombés d’accord sur Albert Camus. Et pas d’accord, sur Céline (cf). Et c’est alors une bataille, parce qu’il croit un peu que je ne suis pas fan de Céline parce que je vis à Disneyland. Non mais alors : je balance mes auteurs aux illusions perdues ou jamais trouvées, comme, évidemment, Thomas Bernhard (ça ça doit résonner chez l’ami André). De celui-ci, esprit pour le moins féroce, je citerai une parole qui m’a beaucoup touché :
« Il n’y a que la curiosité, je crois, qui maintienne en vie. »
[Drôle de lapsus écrit : j'ai mis un moment à me rendre compte que j'avais écrit "envie"]
Quand on en vient comme lui à éprouver la vie jusqu’à son extrême – voir l’abîme autrement que lors d’un factice saut à l’élastique, par exemple – c’est bel et bien ce qui reste. Thomas Bernhard aimait l’exagération, mais son exagération est à mes yeux loin d’être dénuée de justesse. Et lui, question santé physique, il n’était pas gâté.
Bref mon ostéo n’en reste pas là. Un brin provoc, il me déclare détester le théâtre. – Ben alors ? Pourtant, Camus, son auteur préféré, il adorait le théâtre, non ? – Ben oui mais non, il ne supporte pas le théâtre mais il est passionné de cinéma. Et nous voilà partis sur les films de Julien Duvivier. La fin du jour, Pepe le Moko, La belle équipe… Et de me recommander Panique, que je n’avais pas vu.
Ordonnance médicale radicale
Voilà qui est fait. Bon sang : c’est fantastique. Autre chose que son remake, le pâle Monsieur Hire de Lecomte. Michel Simon est époustouflant, le regard de Duvivier, superposé à celui de Simenon (car c’est une adaptation des Fiançailles de Monsieur Hire, que je vais m’empresser de lire*) est d’une acuité et d’une férocité sidérantes. Même si côté personnage féminin c’est un peu daté tout de même et donc, si on fait gaffe, parfois irritant. Mais la bêtise, messieurs dames, la bêtise qui crie haro… ça fait froid dans le dos. Comme dit la chanson, « l’amour c’est la beauté du monde »…
Julien Duvivier s’y entendait en dialogues et scénario. Il travailla avec Jean Anouilh, René Barjavel, Jean Aurenche, Henri Jeanson, Marcel Achard… Et même, pendant sa parenthèse américaine, avec le génial Ben Hecht (coscénariste de Wilder par exemple) sur le film Lydia dans lequel joue… mon cher Joseph Cotten.
Louis genoux-qui-tremblent Jouvet
Ici, les dialogues sont signés Charles Spaak, qui écrivit aussi ceux de mon préféré de Duvivier : La fin du jour, avec Michel Simon encore bouleversant, et Louis Genoux-qui-tremblent-de-trac Jouvet. Ce détail des genoux me rend le grand Louis d’autant plus sympathique que j’ai moi-même subi cette épouvantable manifestation nerveuse – je renvoie, et allez, à la lecture à ce sujet captivante de La femme qui tremble de Siri Hustvedt. (Je ferme la parenthèse. Faut que j’arrête de faire des digressions pareilles.) Donc, disais-je, La fin du Jour, avec Michel Simon et Louis Jouvet en vieux acteurs déglingués et fauchés dont les ego et le goût du jeu n’ont pas attendu le nombre des années. Caractériel Jouvet… que mon caractériel ostéo déteste : Tudieu ! m’écrie-je entre deux craquements d’épaule. Et je repars avec une ordonnance blindée : de nouvelles séries d’abdos, messieurs-dames, des exercices supplémentaires à ceux que j’inflige déjà, pauvre de moi, à ma carcasse. Knock ! ce coup-bas. Ventrebleu…
- Julien Duvivier, La fin du jour, Pepe le Moko, La belle équipe, et donc PANIQUE, en DVD et en cinéclubs.
- Thomas Bernhard (sur lequel je reviendrai) : théâtre (Minetti, Le faiseur de théâtre…) et surtout, l’un de mes romans cultes : Extinction.
- Albert Camus, œuvres complètes et, en particulier… la pièce Caligula.
- Les fiançailles de Monsieur Hire, de Georges Simenon.
- Siri Hustvedt, La femme qui tremble (une histoire de mes nerfs), éd. Actes Sud.
*A propos de Simenon, clin d’œil cette fois à l’ami Guillaume, qui me recommandait chaudement cet auteur il y a peu, hehe.
(Ps. Les extraits vidéo sur la toile ne rendent pas justice et gâtent, même, l’impression que l’on peut avoir de ces films. Faites-moi confiance : regardez-les directement !)