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Le machiavélisme, un pragmatisme au service de l’État

Publié le 08 octobre 2011 par Copeau @Contrepoints

Machiavel fera école en donnant aux gouvernants le conseil qu’ils attendaient : soyez pragmatiques, ne vous encombrez ni de principes, ni de promesses, ni de scrupules.

Article publié en collaboration avec l’aleps

Le machiavélisme, un pragmatisme au service de l’État
Les philosophes de l’Antiquité et de la Chrétienté s’étaient interrogés sur le bonheur de l’humanité, sur l’âme et l’esprit, ou encore sur la nature, l’origine et la légitimité des règles d’organisation de la société. Nicolas Machiavel (1469-1527) est en pleine rupture avec cette tradition. Mériterait-il le nom de philosophe, lui qui rejette tout principe, toute morale, et se contente d’être un simple observateur de la réalité ? Ce qui est réel lui semble bien plus important que ce qui est juste.

Il est vrai que Machiavel a une piètre idée de l’être humain. Les hommes sont « ingrats, changeants, dissimulés, ennemis du danger, avides de gagner ». L’homme n’est qu’une bête, même s’il est un animal supérieur. L’homme est lion et renard : la force et la ruse.

Machiavel va au-delà des cyniques, qui se réfèrent au moins implicitement à une vérité ou à une éthique. Il faudra attendre Marx pour oser une telle dose d’indifférence et de froideur, au prétexte d’efficacité. Pourtant, Machiavel va faire école, et très tôt : en bannissant tout dogmatisme, il donne aux gouvernants le conseil qu’ils attendent : soyez pragmatiques, ne vous encombrez ni de principes, ni de promesses, ni de scrupules. Message apparemment bien reçu !

La raison d’État

Assurer la puissance et la continuité de l’État donne tous les moyens aux gouvernants.  »Qui veut la fin veut les moyens » : cette formule, même si elle n’est pas de Machiavel, résume son message quand elle s’applique au comportement des hommes d’État. Ce qui est interdit au commun des mortels est admis quand l’État est en cause : meurtre, poison, prison, manipulation, intrigues, mensonges. Il est normal, voire recommandé, de masquer ces comportements en présentant au peuple naïf un visage qui inspire confiance et flatte les pensées dominantes.

Machiavel est maître en dictature, et tiendrait nombre de princes actuels comme ses fidèles élèves, comme les Médicis qu’il voulait conseiller. Mais c’est César Borgia qui sera le premier et le plus impitoyable des princes machiavéliens.

Le drame est que Machiavel passe aussi pour l’inspirateur de toute classe politique, même dans les régimes démocratiques, au point de mériter le titre d’inventeur de la science politique. La science du gouvernement aurait-elle émergé comme science du mensonge ?

L’État moderne est né : vive l’État !

Machiavel dispense ses conseils parce qu’il est l’un des tout premiers théoriciens de l’État. L’État lui semble être une forme particulière et moderne du pouvoir. Par comparaison avec les empires, royaumes et seigneuries qui l’ont précédé l’État présente des caractéristiques spécifiques : il est impersonnel, général et intemporel.

Impersonnel, il ne s’incarne pas dans un prince ou dans une lignée, c’est une institution et non un personnage. Il survit à la mort ou à la déchéance du prince.

Général, il ne se soucie pas du seul intérêt des gouvernants, mais il offre sa puissance au peuple entier. Sur ce point, Machiavel a de la sympathie pour la République, telle que l’ont pratiquée Athéniens et Romains, car le peuple peut y choisir ses dirigeants et a quelque génie pour ce faire. De toutes façons, quel que soit le régime politique, l’État est l’expression de la nation.

Intemporel, l’État travaille pour plusieurs générations successives, la continuité de son existence et de son action est donc indispensable.

Pour conclure : que ne ferait-on pas pour ce bel État, gardien durable de la communauté ? Que ne lui autoriserait-on pas ? Il y a de bonnes raisons à la raison d’État.

Le machiavélisme privé

La pensée politique de Machiavel a pour sous-produit le machiavélisme privé. Être machiavélique, c’est se comporter comme des hommes d’État. Pourquoi le réalisme et le pragmatisme ne conduiraient-ils pas à rejeter toute morale, et à justifier tous les moyens ?

Pourquoi un double standard de moralité, avec un niveau zéro pour la classe au pouvoir, et un niveau élevé pour les autres ? Si l’homme est réellement cet animal décrit par Machiavel, la lutte de tous contre tous est dans la nature des choses, et aucune loi ne peut être respectée. Ainsi naît la société sans droit. Machiavel estimait que la paix durable ne peut exister. Il annonçait la guerre permanente, et le jeu incessant de la force et de la duplicité. Voilà des lendemains qui chantent.

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Un article du site de l’aleps, Libres.org, reproduit avec l’aimable autorisation de Jacques Garello.


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