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Sur la démondialisation : Global trade and conflicting national interests, Gomory et Baumol

Publié le 08 octobre 2011 par Edgar @edgarpoe

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Baumol est un économiste renommé - qui va aujourd'hui sur ses 90 ans ; le livre a été publié en 2000 - et qui a été président de l'association des économistes américains. Il est l'auteur entre autres d'un modèle d'explication de la demande de monnaie, d'articles sur l'entreprenariat. Un auteur à la compétence assez incontestable donc, de tendance néoclassique. Ralph Gomory a été directeur de la recherche chez IBM à l'époque où IBM dominait la sphère technologique - deux prix nobels de physique ont été attribués à des chercheurs d'IBM à l'époque où Gomory - mathématicien de formation - était leur patron.  C'est lui qui a validé la démarche de modélisation qui est suivie tout au long du livre.

Un couple d'auteurs solides donc pour écrire sur un sujet brûlant : la globalisation.

    C'est un livre de recherche en économie. Je l'ai lu en anglais car il n'a pas été traduit. Je me limiterais à résumer les conclusions des auteurs, car même en français je n'ai pas les moyens de les vérifier (faute de compétences en modélisation et mathématiques). Mais comme le livre a été jugé excellent par un auteur comme Jagdish Bhagwati, défenseur du libre-échange et spécialiste du commerce international, je pense que les éléments de démonstration qui sous-tendent leurs conclusions se tiennent. Le livre date déjà et n'a pas fait de bruit semble-t-il. Probablement que l'enthousiasme pro-globalisation de Krugman a détourné l'attention du public.  

 Commençons par leurs conclusions :

1. Quand la théorie des avantages comparatifs a été établie, le commerce international représentait 1% de l'activité économique. Les avantages comparatifs étaient, par ailleurs, largement fixes, liés à des "avantages naturels".

2. Aujourd'hui les avantages comparatifs peuvent être acquis par n'importe quel pays, les rendements sont largement croissants et les avantages retirés d'une activité économique restent largement locaux. Les bénéfices rapatriés dans le pays d'origine des sociétés ne sont qu'une fraction minoritaire de la valeur ajoutée.

   3. Il y a une récompense au leader sur chacun des marchés. La position dominante sur un marché est plus facile à tenir que celle de "challenger".  

  En conséquence, ils préconisent :

  1. la localisation des entreprises n'est pas indifférente du point de vue de l'intérêt des nations. Les pays doivent se soucier de leur rang dans chacun des secteurs de l'économie ;  

2. Les nations peuvent choisir de se positionner de façon volontariste sur des activités et doivent se saisir de cette possibilité.

De fait, on retire l'impression, après avoir fermé ce livre, que la Chine l'a lu et que les Etats-Unis se sont contentés de l'écrire !

Quelques conclusions partielles des auteurs :

  Entre pays développés et pays en développement, le commerce est bénéfique tant que les écarts de développement sont importants. Lorsqu'il y a rattrapage, le commerce devient dommageable pour celui qui perd des parts de marché.

Là où les auteurs rejoignent le discours favorable au libre-échange est sur la recommandation suivante : les pays développés ont intérêt à se spécialiser dans les technologies qui évoluent le plus vite. Ce sont celles qui sont les plus difficiles à maîtriser pour les pays en développement.

L'écart de développement qui permet d'évaluer le caractère mutuellement bénéfique du commerce entre deux pays est même chiffré en termes d'écarts salariaux. Pour Baumol et Gomory, il devient délicat de commercer avec des pays qui ont un niveau de salaire qui approche les 50% à 75% du niveau salarial du pays considéré - c'est à dire que les parts de marché perdues au profit d'un concurrent également développé entraînent une perte nette de revenu.

Le lecteur pourra trouver que la Chine est très loin d'être à 50% du salaire moyen occidental. C'est exact pour le salaire moyen chinois mais à mon avis c'est faux pour le salaire chinois des zones exportatrices de Shanghai et de la côte est par exemple. C'est un sujet d'intérêt pratique que n'abordent pas les auteurs, qui restent entièrement sur un plan théorique.

Faut-il pour autant déduire de leurs conclusions que la guerre commerciale et l'autarcie sont un idéal ?

Baumol et Gomory montrent au contraire que la production mondiale est maximale quand les parts du marché mondial sont réparties proportionnellement entre tous les pays. Chaque pays se trouve en dessous de sa production optimale mais la production mondiale est ainsi maximisée. Et la solution où chaque pays est autarcique est clairement sous-optimale.

 Autre point : les auteurs établissent la possibilité d'équilibres sous-optimaux durables. Contrairement à ce que la théorie classique affirme (le libre-échange amène spontanément à un niveau optimum de production), le libre-échange peut parfaitement amener à des équilibres durables mais sous-optimaux.

Conclusion personnelle : 

Faut-il renier le libre-échange ? Je ne le crois pas. D'une part, nous ne sommes pas aujourd'hui, très loin de là, dans une situation de libre échange. Comme je l'ai avancé précédemment, le protectionnisme monétaire est énorme, de la part des Etats-Unis, de la Chine et de l'Allemagne contre le reste du monde. 

D'autre part, Baumol et Gomory invitent plutôt à une approche intermédiaire entre la micro et la macro économie. Ce qui compte, pour un pays donné, est d'obtenir une part suffisante du commerce international et d'équilibrer ses échanges. Si ce n'est pas le cas, alors l'intervention publique est parfaitement légitime pour repositionner le pays sur des filières porteuses. Sachant que le fait de disparaitre d'une filière donnée relève non pas d'un destin imposé par les lois du libre-échange, mais relève plutôt du hasard et de la contingence.

Baumol et Gomory invitent simplement à ne pas être naïvement libre échangiste. Je regrette que leur analyse reste intégralement théorique et confinée au cadre habituel de l'échange international où les questions monétaires n'existent pas : pas de modèle de formation des prix dans leurs analyses.

 Un grand livre à mon sens cependant, qui devrait inviter le grand public à rejeter le libre échange naïf sans passer pour des partisans de l'autarcie : oui les Etats ont des choix stratégiques à faire pour se positionner dans les échanges internationaux, non, le libre marché bienveillant n'y pourvoit pas tout seul. En sens inverse, l'ouvrage peut inciter des opposants du libre-échange et les démondialisants radicaux à modérer leurs positions : le rejet complet du marché, l'autarcie, n'ont pas d'intérêt, ni pour un pays considéré, ni pour l'ensemble des participants aux échanges. 


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