Magazine Société

"Vorace" d'Anne-Sylvie Sprenger au théâtre Le Poche de Genève

Publié le 09 octobre 2011 par Francisrichard @francisrichard

Hier soir j'ai assisté à la représentation de Vorace d'Anne-Sylvie Sprenger au théâtre Le Poche ici de Genève. Vorace est le premier roman de l'auteur, paru en 2009 chez Fayard ici.Il a été adapté et mis en scène par Gian Manuel Rau.

Je venais de relire le livre et j'ai pu constater que le texte était en quasi totalité celui du roman et qu'il n'y avait que quelques ajouts nécessités par le passage à la scène.

L'auteur est intéressé par des personnages dont le destin a changé parce qu'un évènement a perturbé leur intégrité.
Dans La veuve du Christ ici Anne-Sylvie Sprenger s'est largement inspirée de l'histoire véritable de la séquestration de Natasha Kampush, qu'elle a revue et corrigée à sa manière, toute stendhalienne. Dans Vorace elle avait laissé libre cours à son imagination débordante.

Dans ce premier roman, en effet, l'évènement qui est l'origine de la boulimie effrayante de Clara Grand, ponctuée de vomissements libérateurs et volontaires, est une série de viols qu'elle a subis dans un cagibi quand elle était petite. Cette voracité est une manière de s'accrocher à la vie, en dépit des séquelles que n'ont pas manqué de laisser en elle ces agressions sexuelles.
Clara Grand a reçu une éducation religieuse de la part de sa maman. Il est difficile de démêler si elle a vraiment une foi profonde, à sa façon, ou si elle y est restée attachée fortement pour complaire à cette dernière, qu'elle aime vraiment tout en supportant mal sa présence.

Le père de Clara est absent de sa vie. Quand elle avait deux mois, il a quitté le domicile conjugal pour d'autres aventures, avec d'autres femmes. Elle ne l'a revu que lors de trois de ses anniversaires. Le troisième, le 4 août 1993, celui de ses quinze ans, devait la marquer à tout jamais, son père lui ayant dit cette phrase indélébile :

"Tu verras, une fois qu'on a goûté au sexe, on ne peut plus s'arrêter."

Clara vit avec Frédéric Lelièvre. Autant elle est vorace et enfle, autant lui est anorexique, et n'est bientôt plus que l'ombre de lui-même. Clara se trompe du tout au tout sur la raison de cette anorexie. Elle ne comprend pas que c'est le crabe qui le ronge, et non pas des tourments psychiques comme elle le croit. Ce malentendu la conduit à des comportements qui auraient peut-être été évités si elle avait su.

La fin de l'histoire est réellement tragique. Le dernier acte commis par Clara est dans la continuité de la voracité du personnage. Il est incompréhensible aux yeux de ceux, qui n'ont pas suivi le cheminement de ce personnage, dont le livre est la confession.

L'auteur m'a dédicacé son livre lors du Salon du Livre de Genève au printemps dernier avec ces mots :

"Ce coeur Vorace, les pieds dans la boue, les yeux vers le Ciel toujours."

Les choses se présentent bien ainsi, les agressions premières subies par le petit corps de Clara étant suivies de transgressions, qui sont inévitables quand se mêlent intimement sexe et religion exacerbés, jusqu'aux sacrilèges.

L'adaptation théâtrale est très fidèle au roman. Il faut dire que le texte percutant, où tous les mots comptent, se prête bien à l'expression orale. La parole est donnée à Frédéric, joué par Attilio Sandro Palese, ce qui n'était pas le cas dans le roman. C'est une bonne idée.

Près d'une heure trois quarts aurait été bien lourd pour la seule Clara, jouée par Christine Vouilloz. Encore que je ne suis pas sûr que les spectateurs comprennent toujours que c'est encore Clara qui parle par la voix de Frédéric. 

Même si le texte nous le fait oublier un peu, on regrettera cependant que les physiques des deux comédiens soient à l'opposé de leurs personnages, car, dans le roman, Clara est d'une difformité fellinienne et Frédéric un squelette ambulant...

On regrettera aussi les quelques outrances de la mise en scène telles que les vomissements de Clara dans une cuvette accompagnés de bruits de verre cassé ou le jeu parfois excessif de Palese, notamment avec ses lunettes. A ces moments-là, de telles outrances ajoutées aux propos violents du texte finissent par confiner au grotesque.

On ne sort pas indemne d'une telle représentation. Mais, si j'ai un conseil à donner aux amateurs d'émotions fortes, il me semble préférable d'avoir lu le livre avant d'aller voir la pièce, non pas pour déflorer le sujet, mais parce que l'écrit est, en l'occurrence, encore plus sulfureux que le verbe. Sans doute parce qu'il parle davantage à l'imagination...

Francis Richard

PS

L'écran de mon PC portable est subitement devenu tout noir hier soir, m'empêchant de scanner l'affiche du spectacle. Ce qui explique pourquoi cet article, écrit en dehors de chez moi, est illustré par la couverture du roman.  


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Francisrichard 12008 partages Voir son profil
Voir son blog

Magazine