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Gautier fantastique

Publié le 10 octobre 2011 par Les Lettres Françaises

Gautier fantastique

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Le conte fantastique acquiert ses lettres de noblesse durant le dernier quart du XVIIIe siècle et continue à passionner le public jusqu’en 1833 environ. S’ouvre alors une période de réaction dont la remise en cause de l’oeuvre d’Hoffmann constitue l’un des symptômes majeurs. C’est pourtant au cours de ces années que Gautier va écrire, en marge de sa production officielle, quelques joyaux relevant de ce genre toujours problématique. S’étant détourné depuis quelque temps du romantisme moralisateur, politique et social, il jette les bases d’un néoclassicisme (« l’art pour l’art ») dont il sera bientôt à la fois le chantre et le principal maître d’oeuvre. Le fantastique apparaît ainsi comme une sorte d’exutoire, une « soupape » du psychisme, par lequel Gautier peut laisser s’épandre le fond d’inquiétude de son caractère.

Les Lettres Françaises, revue culturelle et littéraire

Théophile Gautier

En 1836, la même année que Mademoiselle de Maupin et sa célèbre préface, Gautier publie la Morte amoureuse. Dans cette nouvelle surgit avec force la violence d’un désir contenu et refoulé. Le héros est un jeune prêtre, mais l’esprit malin contre lequel le met en garde l’abbé Sérapion ne ressemble en rien à Satan. La belle Clarimonde, dont la sensualité trouble la cérémonie de l’ordination, est la soeur de la Biondetta du Diable amoureux de Cazotte (1772) ou de Mathilde dans le Moine de Lewis (1795). Dans ce récit où Gautier réactive les thèmes du vampirisme et de la possession, le texte ouvre à la nuit de la pensée, et il faut toute la cécité académique et les lourds sabots de P. G. Castex pour écrire : « La signification symbolique du conte est fort simple, nous voilà ainsi ramenés aux lieux communs de la morale. » S’imaginer que Gautier (ou Cazotte) ait pu se contenter de stigmatiser le péché et « les égarements coupables qu’il entraîne » équivaut à manquer la véritable nature du fantastique, à ne pas réaliser que l’obsession du jeune prêtre, l’interpénétration du fantasme, du rêve et de la réalité, en un texte où le sujet se perd, révèlent une autre scène, un dispositif littéraire qui ne méconnaîtrait pas « la ténébreuse racine de l’être ».

Cette double posture de Gautier nous rappelle que c’est toujours par leur part d’ombre que vacillent les systèmes. À cette époque, le fantastique représente le refoulé, le non-dit de la grande littérature bourgeoise. N’étant plus soutenu par la « mode », il porte en lui l’espoir d’un dépassement, même (peut-être, surtout) si Gautier n’en a pas une conscience très claire. Dans ces nouvelles, la désinvolture qui caractérise habituellement leur auteur disparaît pour faire place, comme l’écrit Baudelaire, au « vertige et à l’horreur du néant ».

L’ambivalence de l’amour et de la haine, celle de la mort et de la jouissance s’organisent dans la Morte amoureuse selon une problématique presque freudienne. Le récit fantastique touche au domaine de l’interdit et de la transgression. Par le phénomène de l’indétermination qui lui est propre, analysé par Todorov, il maintient en place une tension, une contradiction, qui annoncent la possibilité d’une subversion par la seule force de l’écriture, d’une écriture nouvelle, opposée à celle de la « représentation ».

Jettatura et Avatar sont publiés en 1856, quatre ans après Émaux et Camées, à une époque où Gautier est de plus en plus considéré comme le maître de la perfection formelle. Ces nouvelles mettent en scène l’excès des sentiments et affirment, avec Bataille, que « le jeu n’est rien sinon dans le défi ouvert et sans réserve à tout ce qui s’oppose au jeu ».

Jean-Claude Hauc

Octobre 2011 – N°86



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