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AF447 : l'enquête est « terminée »

Publié le 12 octobre 2011 par Toulouseweb
AF447 : l’enquête est « terminée »La divulgation de l’intégralité du CVR soulève de nombreux problèmes.
C’est une situation sans précédent : la retranscription intégrale du CVR du vol AF447 du 1er juin 2009 se trouve noir sur blanc dans un livre qui sort en librairie cette semaine, le cinquième tome de la série «Erreurs de pilotage» de Jean-Pierre Otelli (1). En toute logique, ce document aurait dû être mis sur la place publique en annexe du rapport final du Bureau enquêtes et analyses prévu pour l’année prochaine. Et cela en version expurgée, c’est-à-dire débarrassée de propos personnels sans rapport avec le déroulement du vol et des minutes qui ont précédé la catastrophe.
Déjà, il y a une dizaine de jours, le BEA s’étonnait et s’insurgeait, notant dans un communiqué au ton sévère «que de façon récurrente, des documents de travail relatifs à des enquêtes de sécurité en cours, contenant des informations non validées, couvertes par le secret professionnel, sont divulgués auprès des médias, à des fins autres que l’enquête de sécurité ». Et de regretter que «les affirmations partielles, erronées et sorties de leur contexte (…) donnent lieu à des interprétations et spéculations qui ne peuvent que troubler le public et engendrer la polémique entre les acteurs concernés ».
Cette fois, il s’agit d’une variante inédite de ces dérives. Le «scoop» d’Otelli, ou, si l’on préfère, ce coup éditorial d’Altipresse, fera grand bruit pour plusieurs raisons. Il montre que la confidentialité d’un document d’importance primordiale pour le bon déroulement de l’enquête n’a pas pu être protégée. La question qui saute à l’esprit est évidemment de savoir à qui profite cette fuite. Par ailleurs, un problème éthique est posé : une telle révélation est telle acceptable, tolérable ou à bannir ? Selon l’expression consacrée, jusqu’où aller trop loin ?
Les erreurs de pilotage, ou les faiblesses supposées telles, constituent une bonne part du fonds de commerce de Jean-Pierre Otelli, une filière qui, autant le dire franchement, dérange et agace. En revanche, il s’agit d’un pilote-auteur compétent, fort de 14.000 heures de vol, chef de patrouille acrobatique habitué des meetings aériens. Du coup, il n’est en aucun cas possible d’ignorer sa prose, même s’il n’est pas un spécialiste reconnu de l‘Airbus A330.
Le résultat saute à la figure : en exagérant à peine, on peut affirmer que l’enquête du BEA sur l’AF447, au vu de cet incident de parcours, est virtuellement terminée. Et la réalité apparaît pire qu’on ne pouvait le craindre au vu des informations disponibles jusqu’à présent : les trois pilotes de l’AF447 n’ont pas compris ce qui leur arrivait, leur analyse de l’avalanche de problèmes qui leur sont tombés sur la tête en un peu plus de 4 minutes n’a pas été correcte, le commandant, qui avait quitté le cockpit pour prendre du repos, est revenu précipitamment mais n’a pas repris sa place, il y a eu absence de coordination dans des mesures correctives inappropriées.
Le CVR, tel que nous le livre Otelli, n’a pas été expurgé mais cette manière de procéder est moins gênante qu’il n’y paraît à première vue. En effet, les propos que l’on pourrait qualifier de personnels ne sont pas bien méchants. Peu importe que des pilotes discutent un moment d’une musique qu’ils ont écoutée sur un baladeur, ou encore qu’une hôtesse leur demande de diminuer la température dans la soute à bagages …parce qu’elle rapporte dans sa valise de la viande achetée à Rio. Dans un autre contexte, on pourrait en rire.
Mais pourquoi les pilotes ont-ils systématiquement tiré sur les mini-manches ? Pourquoi n’ont-ils pas rendu la main ? Pourquoi sont-ils restés insensibles à soixante-quinze avertissements sonores automatiques «stall» ? Y a-t-il eu désorientation spatiale ? Otelli ne répond pas à ces interrogations mais ce n’est pas un reproche à lui faire : il ne prétend pas de substituer aux enquêteurs du BEA et se contente, à sa manière, d’aller plus vite que la musique.
Comment, dans ces conditions, poursuivre et boucler l’enquête dans le calme et la sérénité ? C’était déjà exceptionnellement difficile avant la sortie de ce futur best-seller et, du coup, de nouvelles questions se posent, hors technique, hors aéronautique. Des questions qui relèvent de la morale, d’une dignité piétinée, de déontologie malmenée. Qu’en diront les familles de victimes, que ressentiront les proches des trois pilotes ? Le CVR est accusateur de bout en bout mais les propos échangés dans le cockpit par des hommes désemparés posent aussi des questions graves sur leur formation, suscitent des interrogations en matière d’ergonomie.
Otelli ne nous dira évidemment pas comment la transcription intégrale du CVR a atterri sur son bureau. Néanmoins, il est essentiel de s’interroger sur l’origine de ce geste coupable et la motivation de ceux qui l‘ont perpétré. Quoi qu’on dise avec plus ou moins de perfidie, chacun des responsables du BEA est droit dans des bottes et leurs détracteurs ne sont absolument pas crédibles. Pire, ils sont risibles. En revanche, Air France, Airbus, les syndicats de pilotes ont d’évidents intérêts à défendre des points de vue largement contradictoires. Si l’équipage de l‘AF447 n’a pas adopté un comportement suffisamment professionnel, ce que tend à indiquer le CVR, les autres parties y trouveront évidemment des arguments solides pour rejeter toute responsabilité dans la catastrophe.
Quand il sera possible d’y revenir avec plus de tranquillité, un peu plus tard, le coup éditorial d’Altipresse apparaîtra moins important qu’il n’y paraît aujourd’hui. Resteront sans conclusion les problèmes d‘éthique, dérangeants, encombrants, profondément regrettables.
Pierre Sparaco - AeroMorning

(1) Editions Altipresse, en librairie le 13 octobre.

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