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Dépistage systématique avant 50 ans : pas si simple !

Publié le 12 octobre 2011 par Cathcerisey @cathcerisey

Dépistage systématique avant 50 ans : pas si simple !

J’ai assisté vendredi dernier au 11ème colloque organisé par les Comités féminins de Paris Ile de France sur le thème épineux de la mise en place en France d’un dépistage systématique avant 50 ans. Vous imaginez aisément ô combien cette conférence m’intéressait , moi une fervente militante du dépistage, lassée par la polémique actuelle initiée par le livre « mammo or not mammo » paru au début du mois. Et bien j’avoue qu’après ces quelques heures passées en compagnie d’ éminents médecins, professeurs, psychologues et économistes,  mes convictions ont été légèrement ébranlées. 

En médecine le problème est affaire de balance bénéfices /risques. En d’autres termes, il est important d’appréhender les risques encourus par les personnes concernées et de les mettre en regard des bénéfices que l’on est en droit d’escompter. Les intervenants se sont donc succédés au pupitre, afin de nous exposer, non pas leurs points de vue, mais bien les données objectives de nos connaissances actuelles. Je sais que ce sujet interpelle nombre d’entre vous et je préfère vous donner un aperçu précis de la conférence plutôt qu’un vague résumé que vous pourrez trouver sur le net. Je vais donc essayer de vous donner une retranscription succinte  des interventions souvent très (trop) techniques, en espérant pouvoir très vite mettre en ligne l’intégralité du compte rendu du colloque.

Les faits

Nous le savons toutes, nombreuses sont les femmes jeunes  touchées par le cancer du sein et le Docteur Marc Espié, responsable du centre des maladies du sein à l’hôpital saint Louis,  a ouvert la séance en donnant un chiffre : d’après l’INVS, 8211 femmes ont été touchées entre 40 et 50 ans en 2005   (823 avant 35 ans). Les chiffres sont malheureusement anciens mais cela nous donne quand même une idée précise du problème. En revanche d’après les épidémiologistes le cancer chez les femmes jeunes ne serait pas en hausse. Cette impression que nous et les médecins avons, viendrait du fait que découvrir un cancer chez une femme de moins de 50 ans a un impact psychologique plus important, et nous retenons ces cas là.

Il a rappelé également que 10 critères très précis ont été établi par l’OMS en 1970 (révisé en 2004 par l’ANAES) afin d’établir clairement la pertinence de la mise en place d’un dépistage pour une maladie (à consulter ici). On imagine aisément qu’en effet, on ne peut pas dépister à tout va sans définir le seuil d’efficacité et de sécurité pour une pathologie donnée.

Un problème économique ?

Dans un second temps, Jean Paul Moatti, professeur d’économie de la santé à Marseille a abordé l’incidence économique de ce dépistage précoce. De son exposé très compliqué pour quelqu’un de réfractaire aux chiffres comme moi, j’ai noté une chose importante : abaisser le dépistage à 40 ans ne coûterait que 16000 dollars par an par année de vie gagnée. (47 000 dollars si on dépiste de 40 à 75 ans contre 31 000 dollars si on maintient la tranche d’âge 50/75). Donc l’aspect économique qui nous vient tous à l’esprit serait un faux problème.

Les moyens à notre disposition

Anne Tardivon radiologue à l’Institut Curie nous a fait un rapide état des lieux des outils de dépistage à notre disposition à l’heure actuelle :  Examen clinique, mammographie, échographie, et IRM.  Malheureusement chaque technique a ses limites et c’est la mammographie qui est la seule a réellement avoir fait la preuve d’une baisse significative de la mortalité. Mais si celle -ci remporte la course, elle a aussi ses inconvénients loin d’être négligeables. C’est une technique irradiante et sa sensibilité dépend de la densité mammaire (importante dans les seins des femmes jeunes) d’où un taux supplémentaire de faux négatifs (femmes qui repartiraient rassurées alors qu’elles ont un cancer) ou de faux positifs (femmes diagnostiquées alors qu’elles n’ont rien). Anne Tardivon a quand même rappelé que toutes les femmes jeunes n’avaient pas de seins denses !

Il y a d’importantes et passionnantes perspectives technologiques en cours d’évaluation dont je vous fait grâce car l’exposé a dépassé ici mon seuil de compréhension et je risquerais de dire des bêtises. Sachez seulement que les radiologues cherchent à mettre au point des outils plus performants et moins dangereux tels que la tomosynthèse, l’angiomammographie, l’eslastographie….

La radiologue de Curie estime quant à elle, que le dépistage des femmes de 45/50 ans serait équivalent à celui des femmes de 50/55 ans. Les anglais ont d’ailleurs récemment abaissé la tranche d’âge à 47 ans.

Et d’ailleurs, que se passe-t-il à l’étranger ?

C’est Brigitte Séradour, médecin radiologue et coordinatrice du groupe national du dépistage du cancer du sein, qui nous a fait un tour d’horizon de la politique de nos amis européens.

La Suède dans 60% de ses comtés a mis en place un dépistage pour les femmes de 40 ans avec un intervalle libre de 18 à 24 mois entre deux mammos. Au Portugal, en Espagne, et en Hongrie , c’est à 45 ans que les femmes sont conviées au dépistage systématique. En république Tchèque en revanche, c’est un  dépistage individualisé et non généralisé qui est proposé aux femmes à partir de 45 ans. Enfin en Belgique aucune recommandation pour les femmes jeunes. Beaucoup d’études étrangères très sérieuses ont fait état de baisse de mortalité significative (environ 15% et jusqu’à 24% pour une étude suédoise), Mais ces études sont anciennes et concernent les mammos analogiques remplacées depuis par les mammos numériques pour lesquelles on n’a aucune donnée.

Mais d’après le Dr Séradour, si la baisse de la mortalité est corroborée par plusieurs études, il n’en reste pas moins que ce dépistage chez les femmes jeunes a des inconvénients importants qu’elle a rappelé une fois de plus : faux positifs et faux négatifs, surdiagnostic, les seins denses rendant difficiles la lecture des radios, et surtout un risque de cancers induits non négligeable.

Les mammographies sont – elles risquées ?

L’exposé du docteur Catherine Colin radiologue à Lyon était relativement technique ! Néanmoins ce que j’ai compris c’est que les études sont difficiles à réaliser puisque pour être significatives elles devraient être pratiquées chez des millions de femmes. On sait également que l’âge a un rôle majeur : avant 40 ans c’est certain, il y a risque, mais aucune étude n’a été faite sur la tranche 40/50.

Ce que l’on sait, c’est que le sein est un organe radio-sensible et plus on est soumis à un rayonnement plus le risque de développer un cancer est grand.  Mais tout est relatif : au Québec 9 études ont été compilées et la conclusion est que sur 100 000 femmes on estime que 9 à 72 femmes ont contracté un cancer du aux rayonnements à répétition. 9 à 72, la fourchette est grande ! En réalité le Dr  Colin a bien précisé que nous étions un peu dans le brouillard : oui il existe un risque mais quant à le quantifier on en est loin encore !

Les femmes à risque génétique ou familial

Alors bien entendu le problème se pose pour les femmes à risque. On distingue deux catégories dans ces femmes, celles qui ont une mutation avérée et les autres. Les premières doivent se faire suivre absolument dès leur plus jeune âge et le problème ne se pose pas en terme de dépistage mais bien en terme de surveillance. Je vous engage à lire le livre de Martine Carret : » cancer même pas peur » qui est une mine d’infos sur le sujet.

Pour les secondes, c’est évidemment plus compliqué. Mais, si de nombreux cancers sont apparus dans la famille, et même si le test génétique est revenu négatif, il faut savoir que toutes les mutations n’ont pas été encore découvertes et la surveillance doit commencer 5 ans avant l’apparition du cancer chez la femme de la famille touchée la plus jeune.

Agnès Buzyn a conclu cette très intéressante conférence en précisant que le gouvernement,  l’INCa et l’HAS réfléchissaient à la mise en place d’un dépistage plus ciblé chez les femmes plus jeunes. Il leur faut  déterminer quelles sont les femmes à risque, risque familial plus risque annexe tels que surpoids, consommation de tabac etc…. Pour celles-ci un dépistage individualisé pourrait être proposé, mais aucun abaissement de l’âge du dépistage systématique ne sera mis en place dans les années à venir.

Le problème n’est donc pas manichéen, tout n’est pas blanc ou noir. Et la solution proposée est un compromis acceptable ou pas mais fait tout de même appel à du bon sens dans l’état actuel des connaissances. A l’argument économique que je pensais fondamental, sont venus s’ajouter des inconvénients non négligeables : surdiagnostic, faux positifs et négatifs, cancers induits …  ces inconvénients  à l’échelle humaine nous paraissent accessoires, mais sont  un problème majeur à l’échelle d’une population. Je pense sincèrement que pour pallier à ce manque, il faut éduquer les médecins ! Leur apprendre que le cancer du sein chez les femmes de moins de 50 ans existe et n’est en rien anecdotique ; qu’au moindre doute, il faut faire les examens nécessaires jusqu’à ce qu’il soit levé. Apprendre également aux femmes à se palper chaque mois, à connaître leur corps et à se prendre en charge.

Pardon pour ce billet si long mais je sais qu’il concerne beaucoup d’entre nous et il me semblait naturel de vous donner l’essentiel des informations que j’ai pu recueillir.

je serai très curieuse de savoir ce que vous en pensez.

Catherine Cerisey


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