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Route à quatre voies

Publié le 14 octobre 2011 par Corboland78

Il avait placé tant d’espoir dans ce job que sa déception n’en est que plus vive aujourd’hui. La crise économique, la dépression, le marché du travail s’en était trouvé dégradé, les boîtes fermaient les unes après les autres libérant aux quatre coins du pays des masses de chômeurs prenant la route en quête d’un boulot quelconque en un lieu sans importance.

Lui, par une chance inouïe s’était dégoté une place en or. Gérant d’une petite station service sur cette route à quatre voies perdue en plein milieu de l’Etat. Une seule pompe à essence, un minuscule atelier pour de sommaires réparations si l’occasion se présentait et une glacière pleines de cannettes de bière pour un éventuel extra d’un client de passage.

Mais des clients de passage, il n’y en avait guère. La route n’était pas un axe stratégique et le prix de l’essence atteignait de telles extravagances que les sacro saintes bagnoles hésitaient à sortir de leurs garages. Leurs propriétaires les astiquaient encore, se repaissant de leur vue, symbole d’une vie passée et heureuse que peu imaginaient revoir un jour. Conséquence, les journées étaient calmes pour ne pas dire mortelles pour celui qui souhaitait une vie trépidante. Ce n’était pas son cas.

Il était au Paradis. La première ville était distante d’une vingtaine de kilomètres, aucune présence humaine dans un rayon raisonnable, seule la nature et les oiseaux égayaient ses journées, que rêver de plus agréable. Loin des soucis de la civilisation qui se barrait en couilles, loin des angoisses des malheureux éjectés de chez eux, se contentant du très peu offert par son quotidien il appréciait cette vie érémitique. Du moins, eût-elle était vivable, si elle n’avait pas été là. Sa femme.

Au début, le Paradis il y avait cru, Adam et Eve en version moderne. Il ne s’inquiétait pas pour les serpents, des crotales il en avait toujours connu dans cette région, il savait y faire. Pourtant, lentement les choses se gâtèrent quand elle réalisa que sa vie désormais se réduirait à la seule compagnie de son mari et des serpents. Jamais une voiture ne s’arrêtait chez eux, jamais une compagnie étrangère pour rompre la routine de ces journées mornes et sans fin. Le poids de la solitude s’abattit sur ses épaules, l’ennui la gagna et ruina leur bonheur. L’aigreur devint le moteur de son existence, la force dernière qui la tenait en vie.

Lui, avait essayé de la guider vers son calme spirituel, qu’elle comprenne que leur petit chez eux perdu au milieu de nulle part était un royaume désirable dans ce monde mourrant. Mais que faire quand l’obstination négative dresse un mur chaque jour plus haut entre deux êtres qui s’aimaient tant avant. Il en avait pris son parti.

Chaque matin, dès que le soleil se levait, il s’installait dans son fauteuil, dehors, et il y passait la plupart de son temps, méditant sur l’étrangeté du caractère humain qui voit les uns heureux d’un rien et les autres ne sachant se satisfaire de l’essentiel. Elle, à l’intérieur, gémissait et invectivait, passant la tête par la fenêtre pour qu’il profite au mieux de ses hurlements incessants. Le Paradis devenait un Enfer, tous les serpents ne sont pas des crotales.   

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Hopper Route à quatre voies (Four Lane Road) 1956 – Huile sur toile 69,8 x105,4 cm – Collection privée


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