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Jose Giovanni l’évadé du crime

Publié le 14 octobre 2011 par Les Lettres Françaises

José Giovanni l’évadé du crime

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revue culturelle et littéraire les lettres françaises

José Giovanni

Dans la tourmente qui suit l’évasion il faut pouvoir trouver le deuxième souffle. Encore faut-il savoir choisir le bon. Est-ce l’idée qu’essaye de nous transmettre José Giovanni, ancien détenu de la prison de la Santé, habitué des quartiers de haute sécurité et familier pour un temps, du sordide couloir de la mort ? L’auteur, dont le parcours atypique a permis de révéler au grand public son expérience, évoque dans trois romans noirs successifs la condition d’un homme fuyant la justice au prix de nombreux crimes et assassinats qui jalonnent le reste de ses jours.

S’évader… Et ensuite ? Giovanni connaît son sujet car il peut ajouter à son palmarès une tentative d’évasion ratée en 1947 de la prison de la Santé dont il relate les faits dix ans plus tard dans son premier roman, Le Trou. Ces quelques lignes issus de ses mémoires témoignent de l’angoisse de l’ex-prisonnier au sortir de sa geôle. « Il y a onze ans que les portes d’une prison, d’une cellule, me sectionnèrent de la liberté. J’avais 22 ans. Sous ce porche, aujourd’hui, après onze années de détention, la liberté me guette…Si j’en crois la rumeur qui a précédé ma sortie, les tueurs payés par l’homme qui flingua mon frère aîné attendent sur le bitume. Le Folklore des frères corses va-t-il jouer contre moi ? Ce parfum de vendetta qui ferait craindre au tueur de l’aîné la vengeance du cadet…Avec juste raison si je m’étais évadé. »

L’oeuvre de Jose Giovanni compte une vingtaine de romans, une quinzaine de scénarios pour le grand écran et une vingtaine de films réalisés. Le début de sa carrière de romancier est riche de son expérience dans le monde du crime et il se met à écrire sur les conseils de son avocat qui, par chance, est en contact avec l’un des fondateurs de la Série Noire chez Gallimard. Cette partie de l’oeuvre de José Giovanni est probablement la plus intéressante puisqu’il produit, entre 1958 et 1960, trois chefs d’œuvres du roman noir hautement réaliste. Trois livres qui constituent un témoignage unique sur le milieu, ses codes, sa hiérarchie, et qui fournissent une analyse approfondie de la situation d’aliénation dans laquelle se trouve un criminel évadé. Ces trois romans ont tous été très vite adaptés au cinéma respectivement par Jacques Becker (le Trou), Jean-Pierre Melville (Le deuxième souffle) et Claude Sautet (Classe tous risques).

Le Trou, décrit clairement la tentative d’évasion de la prison de la Santé par son auteur. Giovanni raconte sa propre histoire et l’échec de cette tentative avec un nom d’emprunt. Le deuxième souffle, quoi que moins autobiographique, dépeint la situation de Gustave Minda, caïd à la réputation solide, condamné à perpétuité et qui s’évade de la centrale de Castre pour tenter un dernier casse à Marseille avant de fuir à l’étranger.  Enfin Classe tout risque  reprend le thème de la cavale meurtrière, inspiré par les histoires d’un gangster italien, voisin de Giovanni dans le couloir de la mort et qui, bien que n’étant pas condamné à mort mais à perpétuité, ne pouvait, de part sa réputation, séjourner dans aucun autre quartier de la prison… Probablement le plus noir des trois, ce romain relate la descente aux enfers d’un gros truand poursuivi depuis bien longtemps, contraint à l’exil en Italie, puis forcé au retour en France, ses deux fils de sept et quatre ans à la main.

Giovanni exorcise ses démons en écrivant ces trois romans qui dépeignent parfaitement la situation d’enfermement et de déchéance dans laquelle se trouve un condamné qui en dernier recours tente l’évasion pour accéder à la liberté. La torpeur, le trop-plein d’interrogations qui restent sans réponses et la solitude jusqu’à l’isolement total sont des dénominateurs communs au quotidien de ces gangsters. L’addiction au monde du crime se justifie donc comme étant un moyen et non pas une fin. Un moyen avant tout de quitter cette vie et d’en construire une autre loin d’ici et des dangers du moment. A l’intérieur ils sont cloîtrés dans une cellule. A l’extérieur ils sont enfermés dans ce monde parallèle du banditisme. Cette logique est une forme d’aliénation des personnages de ces trois romans qui les pousse à produire une suite d’actes désespérés entraînant des événements tragiques auxquels même l’amour et l’amitié les plus sincères ne peuvent rien changer. Une fois sorti, l’évadé se retrouve coincé dans l’étau que constitue d’un côté la bonne société (représentée par la police et les juges) et de l’autre côté le monde de la pègre. Celui-ci se resserre peu à peu sur les personnages en cavale au cours du roman comme un piège implacable. Qu’ils se fassent attraper par les uns ou par les autres n’y change rien du reste, puisqu’ ils risquent bien entendu la mort dans tous les cas de figure. N’oublions pas le sort réservé aux évadés de prisons au début des années soixante en France. Dans Le deuxième souffle, le commissaire Blot ajoute à propos de Gustave Minda, gangster en fuite : « A Ville d’Avray, Gu s’est servit d’un Colt et ensuite il ne l’a pas jeté… Ca n’est plus un tueur normal, c’est un homme perdu et il le sait ».

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Classe tout risque adaptation de Giovanni par Claude Sautet avec Lino Ventura et Jean Paul Belmondo

Giovanni s’est en quelque sorte soigné du crime en écrivant, ce qui lui valut la carrière qu’on lui connaît. Il évacue probablement grâce à ces trois romans le parcours qu’il aurait pu suivre s’il s’était évadé de la Santé de 1947. Celui-ci expliquera à son avocat d’ailleurs qu’il refuse de replonger en renonçant à tenter de venger la mort de son frère. Il fait appel pour cela à un gangster de grande renommée ; la réputation du criminel convoqué par Giovanni pour passer le message faisant foi. Lors d’un entretien avec son avocat à sa sortie de prison, Giovanni dévoile dans ses mémoires quelque chose de fort intéressant sur les règles du milieu : « Revoyez vous des truands ? Me demande-t-il. Dans le ton une ombre d’inquiétude. Je lui avoue revoir Jo Attia, une vedette du gangstérisme, lequel m’avait rendu le service d’arbitrer l’éventuel conflit entre le tueur de mon frère et moi. Dans le milieu, l’exercice consiste à faire le juge de paix, à se porter garant de mon refus de vengeance et à repousser l’idée d’un contrat, du côté adverse. En cas de non respect l’arbitre se retrouvera entre deux feux. » C’est à partir de là que débute une nouvelle vie pour Giovanni qu’une grâce présidentielle permit d’escamoter à la Guillotine à la fin des années 40.

« Aujourd’hui, sous le porche de la maisons centrale de Melun ma mémoire a remisé mon Beretta 9 mm au magasin de l’oubli, sur le rayon des actions imbéciles. »

Philippe Berté.

Mes grandes gueules. Mémoires de José Giovanni,  Éditions Fayard, 638 p, 25euros
Le Trou, de José Giovanni, éditions Gallimard, 226 pages, 6,55 euros
Le deuxième souffle, de José Giovanni, éditions Gallimard, 282 pages, 7 euros.
Classe tous risque, de José Giovanni, éditions Gallimard, 253 pages, 7 euros.


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