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L'Europe, passager clandestin de la sécurité européenne (1/2)

Publié le 15 octobre 2011 par Egea

1/ Cela fait désormais des années qu'en matière de défense l'Europe joue au passager clandestin (free rider). Il s'agit là d'une formule de la théorie économique, illustrant un cas d'aléas moral, où l'un des acteurs ne joue pas le jeu collectif du groupe où il est partie. Cela est souvent le cas des plus faibles, qui font le calcul économique suivant : un moindre effort de ma part n'affectera pas la performance collective, puisqu'elle est surtout portée par les gros, et je bénéficierai donc des avantages de cette performance de groupe; dans le même temps, le moindre effort que je fournis permet de maximiser en plus mon avantage individuel.

L'Europe, passager clandestin de la sécurité européenne (1/2)
source (malheureusement, les passagers clandestins sont moins affriolants que Martine Carol : son soft power est très convaincant, elle!)

2/ On a surtout vu cet effet avec l'Alliance Atlantique. Rappelons d'abord que ce traité est un contrat : les Européens échangent de la "sécurité" (la garantie fournie par les Américains) contre leur suivisme des orientations américaines. Ainsi, contrairement à ce que beaucoup croient, ce n'est pas un jeu à sens unique, ce n'est pas "uniquement à l’avantage des Américains", comme c'est trop souvent perçu et affirmé en France.

3/ Toutefois, et cela fait une éternité que cela dure, les Européens "payent" moins que les Américains : ils s'en plaignaient déjà au moment de la guerre froide (l'expression du "burden sharing" est apparue dans les années 1960), ils s'en sont plaint après la chute du mur (souvenez-vous de Kagan), et ils continuent (souvenez vous de Robert Gates en juin, cf. Billet et billet). Cela étant, les chiffres sont là : collectivement, quelques soient les engagements pris lors des sommets successifs, les Européens ne payent plus pour leur défense et sont largement en-dessous des 2% du PIB. C'est d'autant plus vrai que, à tort ou à raison, le besoin de sécurité américaine est moins prégnant Ce désinvestissement peut aussi s'observer sur les théâtres d'opération, et l'extension des caveats en Afghanistan est le signe de ce moins-disant permanent européen.

4/ C'est à cette aune qu'il faut considérer l'évolution américaine : d'une part le recentrage sur le Pacifique,d 'autre part la crise qui va toucher aussi le budget de défense, voici les deux facteurs qui poussent les Américains à un moindre investissement en Europe. Sans même parler des difficultés politiques internes du pays qui poussent à jouer profil bas à l'extérieur.

5/ Ainsi s'explique l'attitude américaine dans Unified Protector (OUP, qui n'est pas l'ouvroir de littérature potentielle). En n'apparaissant pas en première ligne, en laissant Français et Anglais mener la danse, en assumant un "Winning from the behind", les Américains ont voulu adresser un message clair : nous ne serons pas toujours en première ligne. Ils poursuivent la ligne initiée dès la fin du mandat de GW Bush, appelant à plus d'Europe en matière de défense (je me souviens d'une déclaration de Victoria Nulland, que j'avais signalé à l'époque : « La nouvelle ligne américaine : oui à l’Europe de la défense », RDN, avril 2008). Autrement dit, on a assisté à une opération "Berlin plus" à l'initiative des Américains !!!!!!!

6/ L’Europe ne l'a pas compris, et n'a pas réagi en conséquence. La Turquie a joué perso, soutenant Misrata (qui demeure la ville où demeurent le plus de descendants turcs du temps de l'empire ottoman). L'Allemagne s'est refusé à tout, et la Pologne a rejoint très tardivement. Autrement dit, on a laissé un axe franco-britannique jouer des muscles, aidé qui plus est par la Norvège non UE, alors que des pays UE importants ne faisaient pas partie d'OUP. Le syndrome du passager clandestin, encore et toujours, était à l’œuvre.

7/ Or, ce n'était pas une opération OTAN, c'était en fait une opération européenne appuyée par l'OTAN : cela, l'Europe n'a pas su le saisir, ni le comprendre. Alors même que cette opération se jouait évidemment dans le voisinage stratégique de l'Europe, dans sa zone d'intérêt. Et qu'elle avait donc intérêt, collectivement, à s'investir.

Mais ce n'est pas tout : En plus de cette décorrélation majeure (celle de l'espace euro-atlantique) s'ajoute une décorrélation interne à l'Europe, rendue plus visible par la crise . (à suivre)

Réf :

  • pour le plaisir, pour ceux qui n'ont pas encore eu le plaisir de le lire, un petit impromptu en alexandrin à la manière de....
  • plus sérieusement, relire mon billet sur la déflation stratégique européenne

O. Kempf


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