Avec la présidence française en 2011, le G20 social est devenu une priorité et ses ambitions se sont élargies. Il ne s’agit plus seulement de « soutenir l’emploi », mais surtout de « renforcer la dimension sociale de la mondialisation ».
Par Jean-Yves Naudet
Article publié en collaboration avec l’aleps(*)
Le G20 : un gouvernement mondial de l’économie
L’idée de piloter une économie au niveau central n’est pas nouvelle. Marx et le marxisme-léninisme lui ont donné la forme la plus achevée, avec la planification autoritaire et la nationalisation des moyens de production. Mais on la retrouve aussi dans toutes les thèses qui ne voient l’économie que d’une manière macroéconomique et mécaniciste, et en particulier le keynésianisme : on pilote l’économie comme une automobile, en agissant sur quelques manettes, le secteur public ou la demande globale, via les dépenses publiques. Le point commun de ces thèses est de rejeter la logique du marché, d’ignorer le rôle de la concurrence et des prix et l’importance des entrepreneurs. Elles reposent sur l’illusion de la capacité des politiques (ou des technocrates) de « conduire » l’économie.
À l’heure de la chute du mur de Berlin et donc du système planifié, et face à la mondialisation, voilà nos « pilotes » bien embarrassés. Il va falloir trouver autre chose : les frontières n’ont plus guère de signification économique, une crise sur un continent peut affecter les autres. Solution simple : le pilotage doit être mondial. Certains songent aux Nations Unies, mais la machine est lourde, d’autres à des organismes spécialisés, du BIT à l’OMC, en passant par le FMI, mais aucune ne « couvre » toute l’économie. D’où l’invention du G7, mais pourquoi se limiter à l’Occident, ou du G8 avec la Russie ; finalement, on aboutit au G20, pour intégrer aussi les grands pays émergents : en réalité, les 19 pays « les plus riches » plus l’Union européenne, invitée en tant que telle en plus des grands pays européens déjà représentés.
Des G20 totalement vains
Consternation des 170 autres pays, moins importants économiquement, mais qui ne se sentent pas représentés par les pays développés ou les émergents. Le G20 enfante des réunions d’experts, puis de ministres, et enfin, couronnement, le grand sommet annuel des chefs d’État et de gouvernement. À chaque rencontre, le rituel est le même : le G20 bavarde, les altermondialistes manifestent leur opposition à des mesures qui, de toutes façons, ne sont jamais appliquées. Seuls les libéraux n’ont pas voix au chapitre, ils tiennent d’ailleurs ces sommets et ces manifestations pour pures opérations de communication, tout en dénonçant la dérive politique (mais vaine) vers le dirigisme, voire le socialisme international. Le fait de passer du niveau national au niveau international ne change rien à la nature des choses : demeure toujours la présomption fatale des hommes politiques, qui croient diriger l’économie, alors qu’ils ne font que l’empêcher de fonctionner.
La plupart du temps, cela ne débouche sur rien, sauf des contraintes supplémentaires qui paralysent la vie économique et s’ajoutent aux contraintes étatiques. Il suffit de regarder l’inventaire à la Prévert des priorités de la présidence française : des impôts nouveaux (baptisés « financements innovants », du type taxe Tobin) ; des illusions, comme la volonté de lutter contre la volatilité des prix des matières premières, due aux « méchants spéculateurs », alors que cette volatilité vient avant tout des mouvements réels de l’offre et de la demande de ces produits ; de doux rêves, comme la réforme du système monétaire international, autour d’une monnaie mondiale du type DTS ou d’une illusoire stabilité des taux de change.
Enfin, voilà le social…
Mais voilà qu’à cette liste s’ajoute le « social ». Le premier G20 social s’est tenu en avril 2010, avec pour objectif de placer « l’emploi au centre des coordinations des politiques économiques ». Avec la présidence française en 2011, le G20 social est devenu une priorité et ses ambitions se sont élargies. Il ne s’agit plus seulement de « soutenir l’emploi », mais surtout de « renforcer la dimension sociale de la mondialisation ». C’est dans cet esprit que les ministres du travail du G20 se sont réunis les 26 et 27 septembre 2011 à Paris, pour préparer le volet social du sommet de Cannes.
Le ministre du travail Xavier Bertrand en a rendu compte au Conseil des ministres du 28 septembre. Le communiqué officiel nous en dit plus : il est toujours question de l’emploi : un groupe de travail sera mis en place sur l’emploi des jeunes (sans doute pour faire la synthèse du millier de rapports pondus sur le sujet, et pour nier l’évidence : le chômage des jeunes vient de la rigidité des salaires (SMIC) et d’une formation inadaptée). Surtout, « les ministres ont souligné l’importance du renforcement de la protection sociale, avec un engagement des États du G20 à mettre en œuvre des socles de protection sociale définis nationalement ». Il s’agit donc de « coordonner » des « socles nationaux ». Est-ce la coordination ou le socle qui a priorité ? Une Sécu mondiale à la française serait une bonne formule sans doute…
Mieux : les « ministres ont promu l’application effective des droits sociaux et du travail », en soutenant l’action de l’OIT pour faire adopter les conventions fondamentales dans ce domaine. Nous voilà rassurés : les indispensables « partenaires sociaux » ont été associés à la préparation de cette réunion et ils seront bien présents à Cannes en marge du sommet des chefs d’État. Dans ces conditions, nul doute que les questions qui se posent sur le terrain dans chaque entreprise ne soient réglées planétairement en deux jours, les 4 et 5 novembre.
Le social planétaire : une forme subtile de néo-protectionnisme
Tout cela est consternant. Plusieurs hypothèses sont possibles. La première est que les chefs d’État, dont beaucoup sont en phase électorale, cherchent une opération de promotion de leur image. Le G20 ne s’occupait que d’économie; le social permet de séduire des électeurs les plus naïfs. Autre interprétation, cela vise à pousser chaque État à développer le « social », comme si celui-ci était indépendant de l’économique, par des mesures qui ont eu dans les pays développés le succès que l’on sait : le salaire minimum le plus élevé possible, qui provoque du chômage, le monopole de la protection sociale publique, qui ruine les citoyens, tout en leur servant des prestations de plus en plus faibles, les réglementations administratives, qui plombent les entreprises et détruisent leur compétitivité, donc l’emploi.
On ne sera pas surpris de voir les pays émergents freiner des quatre fers : eux savent depuis longtemps que le progrès social ne vient jamais des réglementations, mais de la croissance économique, qui vient elle-même de la liberté économique. Il y a une association naturelle entre liberté économique et progrès social (aleps).
Pourquoi les salaires de Corée du Sud sont-ils aujourd’hui au niveau européen ? Pas par le « social », mais par l’émergence du pays, qui a choisi marché et libre échange. Pourquoi les salaires augmentent-ils en Chine, ce qui permet d’épargner pour se protéger des aléas de la vie ? Parce que ce pays a 10% de croissance par an en raison de son choix en faveur du libre échange. Ainsi de suite. Imposer à chacun des règles sociales, c’est empêcher l’émergence des pays les plus pauvres et les condamner à rester dans la misère.
Mais il y a une autre interprétation, une idée qui circule beaucoup au niveau de l’Europe des 27 : la mondialisation implique des règles sociales communes. Le « socle de protection sociale » est évoqué dans le rapport Bachelet (ancienne présidente du Chili) qui se réfère aux « droits sociaux », qui prône la coordination entre les organismes internationaux ou encore l’application systématique des conventions internationales à tous les pays. Imposons par exemple le même SMIC, par exemple le SMIC français, à tous les pays d’Europe (ne parlons pas de la Chine, de l’Inde ou du Brésil). Si l’on suivait cette voie, le résultat serait là en quelque semaines : des dizaines de millions de chômeurs en plus, des faillites d’entreprises en masse, et, avant un an, la révolution, qui, elle, n’aurait rien de social.
Ainsi l’idée du G20 social, défendue par la France, repose-t-elle sur une idéologie étatiste et interventionniste, sur le rejet du marché et de la liberté économique, sur une référence mensongère au progrès social, qui masque à peine une volonté d’éliminer les pays émergents plus sûrement encore qu’avec du protectionnisme. Le social planétaire, du moins tel que le conçoit le G20, c’est condamner les plus pauvres à rester dans la misère et enfoncer l’économie mondiale dans la crise. Beau progrès social en vérité !
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Sur le web
(*) L’aleps, présidée par le Professeur Jacques Garello, est l’Association pour la Liberté Économique et le progrès social, fondée il y a quarante ans, sous l’autorité de Jacques Rueff, dans la tradition intellectuelle française de Jean Baptiste Say et Frédéric Bastiat.