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Sanctions financières T2A : l’émergence d’une jurisprudence défavorable aux établissements

Publié le 21 octobre 2011 par Oy

La contestation unanime, portée par les fédérations hospitalières à l’encontre du dispositif actuel de contrôle de la tarification à l’activité des établissements MCO, commence à se traduire dans les prétoires. Ce n’est pas le décret n°2011-1209 du 29 septembre 2011 qui sera de nature à calmer les esprits, compte tenu des avancées timides qui s’y manifestent.

Lentement, mais sûrement, une jurisprudence administrative émerge aux quatre coins de la France, sur l’application de l’article L.162-22-18 du code de la sécurité sociale. Force est de constater, pour l’instant, que les ARS sortent majoritairement gagnantes de ces contentieux.

Cela dit, plusieurs enseignements peuvent être tirés de ces décisions de justice.

Ainsi, et par exemple, la Clinique « Les Chandiots » a contesté une sanction financière d’un montant de 166.588 euro infligée par la commission exécutive de l’agence régionale de l’hospitalisation d’Auvergne dans sa décision du 25 mars 2009.

Par jugement rendu le 17 mars 2010 par le Tribunal administratif de Clermont-Ferrand1, confirmé en appel2, le requête de la clinique a été rejetée, notamment aux motifs suivants :

« Considérant, en l’espèce, que la clinique Les Chandiots conteste les manquements qui lui sont reprochés au motif que les actes médicaux en cause, qui sont de type angiographies à la fluorescéine, doivent impérativement être réalisés en établissement de santé, et nécessitent de la part de ce dernier la mise à disposition de moyens humains et matériels ; que si à l’appui de ses affirmations, la clinique requérante se fonde sur les communiqués de la Société française d’ophtalmologie, de la Haute autorité de santé de juin 2007 et de l’agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS) du 20 février 2004, aucun de ces textes n’impose, ni même ne recommande que les angiographies à la fluorescéine soient exclusivement réalisées en milieu hospitalier ; que, notamment, si le communiqué de l’AFSSAPS relève les risques présentés par cet acte, il mentionne toutefois que ces risques consistant en une réaction d’hypersensibilité sévère demeurent très exceptionnels pour être d’un cas sur 247.000 examens et d’un décès sur 2.468.000 examens ; que des mesures préventives et curatives peuvent être apportées, notamment par un interrogatoire systématique des patients pour diagnostiquer ceux à risque et par la mise à disposition dans la salle d’examen des moyens nécessaires à une réanimation d’urgence ; que le communiqué de la Société française d’ophtalmologie dont se prévaut la clinique requérante indique très expressément que la réalisation des actes en cause ne nécessite pas d’hospitalisation mais peut être effectuée en ambulatoire qui, selon la nomenclature de l’INSEE, concerne « les soins effectués en cabinet de ville, en dispensaire, centres de soins ou lors de consultations externes d’établissements hospitaliers publics ou privés. Ils se composent des soins dispensés au titre de l’activité libérale par les médecins, les dentistes et les auxiliaires médicaux (les infirmiers, les kinésithérapeutes, les orthophonistes, les orthoptistes), des actes d’analyse effectués en laboratoire et des soins dispensés en cures thermales. » ; que, dans ces conditions, la clinique Les Chandiots, qui n’établit pas que les patients pris en charge présentaient des risques particuliers, n’est pas fondée à soutenir que la commission exécutive de l’agence régionale d’hospitalisation d’Auvergne a commis une erreur d’appréciation en retenant que les actes dont il s’agit ne nécessitaient pas une admission dans une structure d’hospitalisation individualisée ; que, par ailleurs, la clinique Les Chandiots ne conteste pas les autres manquements retenus à son encontre, à savoir la non conformité des dossiers contrôlés avec les dispositions des articles R.1112-2 du code de la santé publique et I-5 des dispositions générales de la classification commune des actes médicaux (CCAM) aux termes duquel « chaque acte doit faire l’objet d’un compte-rendu écrit et détaillé qui sert de document de liaison afin de faciliter la continuité des soins et doit comporter notamment les renseignements d’ordre administratif, les renseignements d’ordre médical, l’indication de l’acte, les modalités techniques précises quand cela est nécessaire, les résultats quantitatifs et qualitatifs pertinents et les conclusions motivées ».

Au-delà de l’acte en cause, que faut-il retenir de cette décision ?

En premier lieu, et contrairement aux procédures orales qui ont cours devant les tribunaux des affaires de sécurité sociale, il est vivement déconseillé aux établissements de santé de se présenter sans avocat devant les tribunaux administratifs, quand bien même s’agirait-il d’introduire, au terme d’une procédure écrite, un recours pour excès de pouvoir dirigé contre une décision administrative individuelle défavorable, de portée financière, la valeur ajoutée d’un Conseil juridique résidant dans l’articulation d’une argumentation de fond et la recherche d’éléments pertinents, tels que des failles procédurales dans le dossier.

En second lieu, mieux vaut avoir des dossiers médicaux bien tenus, d’après le juge administratif, même si le raccourci opéré vers l’article R.1112-2 du code de la santé publique me paraît fort critiquable, la bonne tenue des dossiers médicaux n’étant pas jusqu’à présent une condition légale ou réglementaire de la bonne facturation ou du bon codage.

Plus tard, ce fut au tour de la SA Cliniques d’Ajaccio de s’élever contre la décision du 3 août 2010 par laquelle le directeur de l’Agence régionale de santé de Corse a prononcé à son encontre une sanction financière d’un montant de 32.000 euro.

La rédaction du jugement du Tribunal administratif de Bastia du 17 février 20113 est on ne peut plus expéditive :

Sur la motivation en droit et en fait de la décision attaquée :

« Considérant, d’une part, que la circonstance que la lettre du 9 mars 2010, par laquelle le directeur de l’Agence régionale de santé de Corse a notifié au directeur de la SA CLINIQUES D’AJACCIO la sanction financière envisagée à l’encontre de la polyclinique du Golfe, une des entités de la société, et non à cette dernière est sans incidence sur la régularité de la décision attaquée ; que, d’autre part, la sanction contestée mentionne les dispositions du code de la sécurité sociale applicables en matière de sanctions financières prises lors de manquements aux règles de facturation ; qu’il résulte du tableau joint à la décision attaquée que les données financières ayant permis le calcul de la sanction prononcée sont communiquées ; que la circonstance que cette motivation ne respecterait pas les dispositions de la circulaire du 31 juillet 2007 relative à la procédure de sanctions financières est sans incidence sur la légalité de la décision contestée ; que, par suite, la mesure est suffisamment motivée tant en droit qu’en fait ; »

Le tribunal reconnaît indirectement que la circulaire de 2007 est dépourvue de valeur réglementaire.

Sur le respect de la procédure issue de l’article R.162-42-9 du code de la sécurité sociale :

« (…) que, conformément aux dispositions de cet article, l’unité de coordination régionale a élaboré un programme de contrôle sur la base, notamment, de dépistage d’atypies de l’information médicale ; qu’en l’espèce, il résulte de l’instruction, notamment des courriers des 21 juillet et 31 août 2009 du directeur de l’Agence régionale de santé de Corse informant la société requérante d’un contrôle au sein de la polyclinique du Golfe, que ce dernier a été ouvert à la suite d’atypies constatées ; que, dès lors, le contrôle de la SA CLINIQUES D’AJACCIO a été engagé conformément à la procédure prévue par les dispositions précitées de l’article R.162-42-9 du code de la sécurité sociale ; »

Sur la preuve des manquements aux règles de facturation :

« Considérant qu’il résulte du rapport de contrôle, en date du 4 décembre 2009, transmis pour observations à la SA CLINIQUE D’AJACCIO, que, concernant les hospitalisations de jour au sein de la polyclinique du Golfe, 70 résumés standardisés de sorties (RSS) sont injustifiées ; que, dans le cadre de sa réponse aux observations formulées par l’équipe de contrôle en date du 21 décembre 2009, la SA CLINIQUES D’AJACCIO n’apporte pas les justifications attendues ; que, par suite, contrairement à ce que soutient la SA CLINIQUES D’AJACCIO les manquements relevés aux règles de facturation sont établis ; »

Sur les modalités de calcul du montant de la sanction financière :

« Considérant qu’il résulte du tableau annexé à la sanction contestée que figurent les montants des manquements relevés ainsi que le mode de calcul retenu, conformément aux dispositions de l’article R.162-42-12 du code de la sécurité sociale, pour fixer le montant maximum de la sanction, montant maximum qui n’a d’ailleurs pas été retenu in fine ; que, par suite, la SA CLINIQUES D’AJACCIO n’est pas fondée à soutenir que le montant de la sanction financière prononcée à son encontre est invérifiable ; »

Puis, ce fut au tour du Centre hospitalier universitaire de Clermont-Ferrand de contester la délibération n°2010-03 en 27 janvier 2010, par laquelle la commission exécutive de l’ARH d’Auvergne a prononcé à son encontre une sanction financière de 76.346,40 euro, et, le cas échéant, le courrier en date du 4 février 2010 par lequel le directeur de l’agence l’a informé de la sanction prise à son encontre.

Par jugement du 22 février 20114, le Tribunal administratif de Clermont-Ferrand a, sur le fondement des articles 1er et 3 de la loi du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l’amélioration des relations entre l’administration et le public, jugé :

« Considérant, en l’espèce, qu’en se bornant à mentionner dans la délibération attaquée que « suite aux sanctions notifiées à l’encontre de l’établissement lors de la Commission exécutive du 25 novembre 2009 et en réponse aux observations qu’il a formulées (…), la commission exécutive approuve le maintien du règlement des indus pour le CHU de Clermont-Ferrand », ladite commission ne se détermine pas sur le montant de la sanction retenue et ne précise pas, en outre, les éléments de droit et de fait constituant le fondement de la décision ; que la motivation ne saurait être apportée par référence aux informations contenues dans la lettre de notification du 4 février 2010 signée du directeur de l’Agence régionale d’hospitalisation d’Auvergne dès lors qu’il n’est pas établi qu’il s’agisse des motifs effectivement retenus par la commission exécutive faute pour la délibération en cause de mentionner l’existence d’une pièce jointe qui viendrait à les préciser ; que par suite, le CENTRE HOSPITALIER UNIVERSITAIRE DE CLERMONT-FERRAND est fondé à soutenir que la délibération en cause du 27 janvier 2010 n’est pas motivée et à en demander, pour ce motif, son annulation ; »

Le juge administratif condamne classiquement la motivation par référence. Dont acte.

Concernant enfin une délibération du 15 mars 2010 de la commission exécutive de l’ARH du Limousin mettant à la charge du CHU de Limoges une somme de 183.451,71 euro à titre de sanction, laquelle lui a été notifiée par lettre du 16 mars 2010 du directeur de l’agence, il a été jugé5 notamment :

1/ que le CHU de Limoges n’est pas fondé :

 » (…) en faisant valoir que les règles de facturation, reposant sur des tarifs et classifications d’actes ou de séjours complexes, hétérogènes et soumis à de fréquentes modifications, sont difficilement prévisibles et conduisent à des sanctions automatiques sans possibilité de discussion contradictoires, en relevant que l’établissement et le suivi des programmes de contrôles se font unilatéralement et de manière peu transparente et en invoquant l’absence de toute intention frauduleuse, notamment pour de simples erreurs de codage, à soutenir que la sanction dont il a fait l’objet en application de ces dispositions lui a été infligée en méconnaissance de ces principes {présomption d’innocence, respect des droits de la défense, principe d’impartialité} ; »

2/ que l’établissement :

« fait valoir essentiellement que le contrôle porte sur des activités regroupées par « groupes homogènes de malades » (GHM) ou par « groupes homogènes de séjours » (GHS), dont la définition est floue et subit de nombreuses variations dans le temps ; que, toutefois, en relevant les circonstances qu’il est loin d’être le seul établissement à avoir commis des erreurs et que des erreurs commises lors de périodes antérieures n’ont pas été sanctionnées, ce qui, au demeurant, peut résulter de la volonté de ménager une période transitoire pour mieux satisfaire au principe de sécurité juridique, il n’établit pas que l’objet du contrôle et ses modalités, qui résultent d’ailleurs non des dispositions législatives susmentionnées mais des dispositions réglementaires prises pour leur application, seraient d’une illisibilité et d’une imprévisbilité caractérisant une méconnaissance du principe de sécurité juridique ;

3/

« qu’en prévoyant une pondération de la gravité du manquement en fonction du rapport entre l’importance des sommes indûment perçues et celle des sommes dues, les dispositions de l’article R.162-42-12 du code de la sécurité sociale, dont le centre hospitalier requérant conteste, en réalité, la légalité, ne peuvent être regardées comme ayant établi une méthode de détermination de la sanction excessivement sommaire ; »

4/ que, contrairement à ce que soutient le CHU de Limoges :

« la circonstance que ce ne serait que postérieurement aux activités pour lesquelles ont été constatés certains des manquements qui ont donné lieu à la sanction litigieuse que le guide méthodologique du contrôle externe régional aurait apporté toutes les précisions sur le codage de certaines activités, notamment d’obstétrique, n’est pas de nature à faire regarder la décision infligeant cette sanction somme étant entachée d’une rétroactivité illégale, dès lors que le guide susmentionné n’a pour objet que de fournir une aide pour l’interprétation des règles dont la méconnaissance est susceptible de donner lieu à des manquements et non de fixer ces règles ; »

Ici encore, et malgré la rudesse des arguments opposés au centre hospitalier, le jugement est riche d’enseignements.

En premier lieu, invoquer la violation de principes constitutionnels, tels qu’ils ont été exposés lors de la Question Prioritaire de Constitutionnalité (QPC) concernant le Centre hospitalier de Dieppe, avec le succès qu’on connaît, apparaît contre-productif, dès lors que dans sa décision du 7 juin 2010, le Conseil d’État a refusé de transmettre la QPC au Conseil constitutionnel.

En deuxième lieu, lorsqu’on invoque la violation du principe de sécurité juridique, consacré au niveau européen, mieux vaut disposer d’une démonstration solide.

En troisième et dernier lieu, la juridiction administrative confirme ce que votre serviteur subodorait, à savoir que le guide régional du contrôle externe est dépourvu de valeur juridique.

Tels sont les quelques enseignements tirés d’une jurisprudence de première instance qui émerge à peine en défaveur des établissements, mais dont la motivation est, de façon paradoxale, extrêmement utile à la défense de ces établissements.

  1. TA Clermont-Ferrand, 17 mars 2010, clinique Les Chandiots, n°0901161, inédit. [↩]
  2. CAA Lyon, 9 juin 2011, clinique Les Chandiots, n°10LY01329, inédit. [↩]
  3. TA Bastia, 17 février 2011, SA Cliniques d’Ajaccio, n°1000994, inédit. [↩]
  4. TA Clermont-Ferrand, 22 février 2011, CHU de Clermont-Ferrand, n°1000665, inédit. [↩]
  5. TA Limoges, 13 juillet 2011, CHU de Limoges, n°1000744, inédit. [↩]

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