Le lanceur russe Soyouz décolle pour la première fois de Guyane.
C’est ce vendredi, avec un retard de 24 heures dû à un problème de remplissage des réservoirs, qu’une fusée russe Soyouz décolle pour la première fois du Centre spatial guyanais. Symboliquement, ce tir marque une étape importante dans l’élargissement du champ d’activités d’Arianespace.
En place depuis une trentaine d’années, forte de 21 actionnaires et de l’Agence spatiale européenne, la société est devenue chef de file de sa spécialité grâce aux modèles successifs du lanceur Ariane, capable de place une charge utile de 10 tonnes en orbite de transfert géostationnaire et de 20 tonnes en orbite basse. Une moyenne de six à sept tirs par an, qui couvrent l’ensemble des demandes, lui ont permis d’asseoir ses positions commerciales, avec une fiabilité opérationnelle remarquable : 44 tirs réussis d’affilée.
Tous les clients ne cherchent pas à lancer des satellites d’une masse aussi importante. Pour répondre à un autre créneau commercial, jusqu’à 3 tonnes en orbite de transfert géostationnaire, Arianespace fait appel depuis plus de 10 ans au lanceur russe Soyouz, à travers Starsem, une filiale établie sur le célèbre site de Baikonour. Et, à partir de l’année prochaine, cette offre sera complétée par le petit Vega (une tonne et demie sur orbite basse ou héliosynchrone), d’origine italienne.
La nouvelle étape qui est franchie aujourd’hui est l’installation à Kourou d’un pas de tir dédié à Soyouz, ce qui revient à optimiser ses performances, le Centre spatial guyanais du CNES, l’agence spatiale française, étant idéalement situé près de l’Equateur. Cette première mission consiste à placer sur orbite les deux premiers satellites de la constellation européenne Galileo, opération qui correspond au début de la mise en place d’un système de localisation de type GPS, mais sensiblement plus performant en même temps qu’instrument de souveraineté européenne. Galileo comptera vingt-quatre satellites à 20.200 km d’altitude.
En soi, la présence d’une installation Soyouz en Guyane, mise en œuvre par un nombre important de techniciens venus d’un autre monde, est tout à la fois logique, étonnante et incongrue. En effet, la durée de vie opérationnelle d’un lanceur spatial se chiffre en décennies, pour autant qu’il fasse preuve d’une grande fiabilité. Aussi faut-il remonter aux années cinquante pour retrouver les origines de Soyouz dont le concept de base a été imaginé par le bureau d’études que dirigeait Serguei Korolev. Pour faire simple, à l’époque, le Werhner von Braun soviétique.
Sous des appellations diverses, ce fut le tout premier missile balistique intercontinental, clef de voûte, de l’autre côté du Rideau de Fer, des moyens mis en œuvre dans le cadre de la Guerre Froide et, parallèlement, de la «course à l’espace». Spoutnik, le vol historique de Youri Gagarine et d’autres premières spatiales se sont appuyées sur cette filière, seul l’Homme sur la Lune manquant à son palmarès, la NASA et von Braun ayant été les plus rapides. En revanche, un demi-siècle plus tard, le bilan opérationnel des Russes est impressionnant.
Les équipes d’Arianespace mettent d’ailleurs en avant cette réussite russe peu commune : près de 1.800 lancements et une fiabilité de plus de 97%. On devine par ailleurs que les coûts russes sont extrêmement compétitifs, malgré les complications de cette délocalisation partielle bien loin des terres d’origine du lanceur.
La stratégie d’Arianespace apparaît ainsi résolument mondiale sur un marché qui l’est tout autant. Elle montre aussi que la persévérance européenne est bien récompensée. Le bilan fait état de 294 satellites lancés, c’est-à-dire la moitié environ des satellites commerciaux mis sur orbite, et d’un carnet de commandes solide qui totalise actuellement dix-huit lancements d’Ariane 5 et dix-huit Soyouz. Soyouz à Kourou : qu’en diraient von Braun et Korolev ?
Pierre Sparaco - AeroMorning