Publier, quelle purge ! Après six ou sept bouquins grand public, toujours ce même malaise. Tant qu'on n'a pas encore la chose imprimée, on sent vibrer l'art au fond de chaque fibre : on est à la tâche, on fabrique l'objet, on retaille, tout à son affaire. Le vrai de vrai bonheur de l'artisan. Et puis arrive ce temps maudit où tout ça, qu'on le veuille ou non, fait livre. Le livrer ? Le délivrer ? On hésite. Après tout on est bien, là, tranquille, non repéré, avec son paquet de feuilles volantes, dans l'obscur de l'atelier. Après, franchement, que peut-il arriver de bon : l'échec des refus automatisés (vous mettez du bleu ils veulent du rouge, vous mettez du rouge ils préfèreraient du bleu) ? L'acceptation (en général pour de mauvaises raisons), qui vous conduit direct comme bête d'étable derrière votre pile de dédicace ? A droite comme à gauche : du cirque. On en sort toujours blessé, mécontent de soi. On s'en veut à mort d'avoir ainsi réveillé sa propre vanité. Ses affûts à l'égard de la moindre critique ou à défaut de la simple mention. Interrogé en public, on ne profère sur un ton docte et assuré que des conneries qu'on voudrait effaçables, histoire de retrouver son assise. C'est que pour l'écrivaillon, ce n'est pas tous les jours, la pleine lumière. C'est comme le timide lorsqu'il se met à parler : on devient intarrissable, on bouffe le micro, on fait de l'oeil aux premiers rangs. Aussi cette année s'attarder : savoir ne pas aborder d'éditeur. S'en foutre. Et quand viendra le moment, multiplier les fronts pour ne s'attacher à aucun : trois livres fort différents (un 210 pages, un 185 pages, un 158 pages), qui partiront chacun vers des destinations différentes. Et surtout, surtout : repartir tout de suite à l'aventure, dans sa noirceur de noir charbonnier, sur les chemins d'autres écritures. Loin du brouhaha des prix, des commisses et des salons.