Avec une sous-évaluation du Yuan, le gouvernement chinois met en place une politique qui consiste à financer une hausse de notre pouvoir d’achat par une baisse du pouvoir d’achat de sa propre population.
Par Georges Kaplan
Au moment où j’écris ces lignes le yuan chinois [1] vaut environ 11,5 centimes d’euros. Or, si j’en crois les analyses d’un grand nombre de commentateurs, il semble que la monnaie de l’empire du milieu soit artificiellement sous-évaluée – on parle fréquemment de 30% ; c’est-à-dire que le yuan ne devrait pas valoir 11,5 centimes d’euros mais 16,5 centimes d’euros. L’idée que défendent ceux qui soutiennent la thèse d’une sous-évaluation du yuan (et donc d’une surévaluation de l’euro) c’est que le gouvernement chinois pratique une dévaluation compétitive c’est-à-dire qu’il cherche à doper ses exportations en faisant baisser la valeur de sa monnaie.Je ne doute pas un instant que mes lecteurs connaissent ces choses mais un bref rappel ne peut faire de mal à personne : avec un yuan à 11,5 centimes d’euros, un produit qui sort de l’usine à 1 000 yuans peut être vendu 115 euros tandis qu’avec une parité à 16,5 centimes, ce même produit vaudra 165 euros. En d’autres termes, pour les entreprises exportatrices chinoises, plus la valeur du yuan exprimé en euros est faible, plus leurs produits sont compétitifs à l’export. Bien entendu, le corollaire de ce principe est aussi vrai : un produit vendu chez nous à 100 euros vaut 868 yuans avec une parité de 11,5 centimes d’euros pour un yuan et ne vaudrait plus que 607 yuans avec une parité de 16,5 centimes – dès lors, nos entreprises exportatrices deviendraient mécaniquement beaucoup plus compétitives sur le marché chinois.
L’idée selon laquelle Pékin aurait pu se livrer à ce petit jeu est tout sauf absurde. Le caractère autocratique du gouvernement chinois, les tensions inflationnistes et l’accumulation d’emprunts d’État américains et européens plaident tous en faveur de cette thèse. En revanche, chiffrer l’ampleur du phénomène me semble pour le moins hasardeux : le yuan comme l’euro sont les produits d’un système de planification monétaire – celui des banques centrales – qui, comme tout système planifié, ne permet pas de réaliser ce genre de calculs. Reste que l’accusation est plausible, admettons donc par hypothèse que le chiffre de 30% soit le bon.
Si c’est effectivement le cas, cela signifie d’une part que le gouvernement chinois soutient artificiellement les entreprises exportatrices chinoises mais cela signifie aussi, comme nous l’avons vu plus haut, qu’il pénalise artificiellement les entreprises et les particuliers chinois qui importent des produits. De fait, cette politique revient à faire financer au peuple chinois la compétitivité des entreprises exportatrices chinoises au travers d’une perte de pouvoir d’achat. De la même manière, Pékin pourrait obtenir le même résultat en utilisant la politique fiscale plutôt que la politique monétaire : il suffirait d’augmenter les impôts qui pèsent sur la population chinoise et d’en redistribuer le produit aux entreprises exportatrices afin qu’elles puissent vendre moins cher. Ce serait strictement équivalent [2] : les entreprises de l’empire du milieu exporteraient plus qu’elles ne l’auraient fait sans cette politique et ce sont les citoyens chinois, au travers d’une baisse de leur pouvoir d’achat, qui financeraient l’opération.
Qu’on utilise la politique monétaire ou la politique fiscale le résultat est le même : le gouvernement chinois a mis en place une politique qui consiste à faire financer une hausse de notre pouvoir d’achat (nous payons les produits « made in China » moins chers) par une baisse du pouvoir d’achat de sa propre population (ils payent leurs importations plus chères). C’est-à-dire que, aussi incroyable que cela puisse paraître, les chinois sont en train de subventionner nos niveaux de vie. Vous pensez que j’exagère ? Poussez simplement le raisonnement : que ce passerait-il si Pékin devait décider de subventionner ses exportations non pas de 30% mais de 100% ? C’est-à-dire que la Chine inonderait littéralement nos marchés occidentaux de produits gratuits [3]. Pensez-vous que les chinois s’enrichiraient à nos dépens ?
Et pendant ce temps, M. Dassault n’en finit plus de pester contre la « surévaluation de l’euro » qui, selon lui, explique pourquoi son Rafale [4] ne se vend pas à l’étranger. Je n’ai pas la prétention d’être un spécialiste du marché hautement politisé des avions de combat mais il y a en revanche une chose que je sais : quand M. Dassault réclame que la Banque Centrale Européenne laisse filer la valeur de notre monnaie, ce qu’il demande en réalité c’est que vous et moi subventionnions son chiffre d’affaires et ses bénéfices par une baisse de notre pouvoir d’achat. Forts de cette simple constatation de bon sens, vous devriez maintenant gouter toute l’ironie du discours politique.
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Publié originellement sur 24hgold.com le 18 octobre 2011.
Notes :
[2] Bien que plus compliqué à mettre en œuvre et plus visible sur la scène internationale.
[3] Celle-ci je la dois à Frédéric Bastiat : Égaliser les conditions de production dans la première partie des Sophismes Économiques (1845).
[4] Programme qui, sur la base de 286 avions, devrait finalement coûter 40,690 milliards d’euros aux contribuables français…