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François décida d’avancer un pion comme aux échecs.
-Mr K…, je respecte les lois de votre pays, je suis prêt à vous remettre l’ensemble des photos que j’ai prises le jour de mon voyage, il se pourrait qu’elles vous soient utiles, de mon côté j’aurai besoin de votre aide.
K…fit un effort pour se contenir, François le vit serrer les poings, tenter d’effacer le rictus qui avait pris place à la commissure de ses lèvres. L’homme se domina relativement vite. L’ambigüité de la situation l’avait déstabilisé, il ne s’attendait pas à un tel toupet.
Il se leva, s’avança vers François et lui mit une gifle retentissante. Sans un mot il lui passa les menottes et le saisissant par le col le sortit de son bureau, et le remit à deux gardiens en leur parlant en arabe.
François ne tarda pas à comprendre le sens de ces paroles car il fut conduit dans une geôle plongée dans l’obscurité, délesté de ses chaussures et de sa ceinture. Des amis tunisiens lui avaient bien parlé de l’élasticité des lois dans ce pays et de certaines méthodes policières, mais il ne s’attendait pas à ce traitement.
Petit à petit l’obscurité lui devint coutumière, il sentit l’odeur pestilentielle de la cellule, puis il marcha pieds nus dans un liquide qu’il identifia plus tard comme de l’urine. Dans un coin il y avait une banquette en pierre sur laquelle était jeté un matelas pouilleux. En passant la main dessus il se rendit compte qu’il était mouillé et troué, écœuré il le souleva et le fit tomber au sol, préférant s’allonger à même le socle rugueux.
Tapis dans le noir, le temps lui sembla une éternité. L’humidité suait par les murs dont peu à peu il discernait les contours et les ombres cauchemardesques. Il devinait les cafards et les bestioles qui sillonnaient le sol et les murs de la cellule, attentif au moindre bruit.
Il ferma les yeux, le visage de Rym lui apparut comme une lueur d’espoir, il avança les bras pour l’étreindre, inutile…
Chapitre III
Rym,
Dans les pays du Maghreb, un des sujet d’illustration des tapis, des tableaux est celui de la cavalcade de la mariée le soir des noces. Le couple est représenté sur un fringuant cheval arabe, elle en amazone dans une belle robe et lui guidant l’animal harnaché pour la fête. Avant de savoir qu’il s’agissait d’une noce François imaginait plutôt l’ enlèvement d’une mariée par son amant de cœur. Il voyait les amoureux poursuivis par une chevauchée d’hommes en armes par une belle nuit étoilée sous une lune éclatante de romantisme.
C’est à cette image qu’il pensait le soir, lorsqu’il se rendait dans une rue sombre à bord de sa voiture pour chercher Rym. Elle prenait des précautions avant de monter dans la voiture, attendant qu’il n’y ai personne pour s’engouffrer à l’arrière et s’allonger sur la banquette. Elle était fiancée et ne voulait pas risquer d’être découverte. Dans le sud une liaison avec un européen était déjà suffisamment problématique. Les mentalités attardées faisait d’une femme aperçue en compagnie d’un homme, une personne de mœurs légères, ce que nous appelons une pute.
Le simple fait pour une femme de se rendre seule dans un café était compromettant.
Il l’avait rencontrée par hasard, l’avait désirée, lui avait parlé discrètement. Elle était lettrée, native du nord du pays, lasse d’un fiancé égoïste qui n’avait pas d’attention pour elle, et surtout possédait une splendide paire de fesses.
Son fiancé travaillait dans la garde nationale, ses horaires de service, son travail étaient prenants pour un salaire de misère. Avec le temps, elle ressentait une certaine lassitude de vivre avec un homme qui la considérait comme sa femme de ménage et se servait de son corps. Sa rencontre avec François correspondait à un moment charnière de sa vie, elle avait besoin d’autre chose, de se sentir femme, désirée, partager de bons moments, des sorties, des discussions. François était prévenant, gentil et doux, bien que plus âgé il lui apportait ce qui lui manquait tant.
Les ruses de sioux déployées pour pouvoir se retrouver, les parties de cache-cache dans la voiture, les ruelles sombres tout cela aurait pu tourner au comique. Avec son sens du comique François aurait pu en rire, mais finalement cela était attristant car révélateur de mentalités d’un autre âge, d’une chape d’interdits, de mensonges, d’hypocrisie, qui ne lui correspondaient pas.
Où était la liberté, de circuler, liberté d’aimer tout simplement. Il avait du mal à le supporter, il était confronté à une forme de ségrégation, une relation entre un non-musulman et une femme tunisienne était source de conflits dans les familles. De son côté, elle aussi en souffrait, mais elle était résignée, son éducation, sa forme de penser, son expérience faisaient qu’elle devait se soumettre au secret, se montrer au grand jour serait une insulte à ses origines, elle devait vivre ses contradictions entre désir et interdits. L’impatience de François la mettait mal à l’aise. Elle le lui disait, essayant de calmer ses ardeurs, lui faire comprendre qu’habitant ce pays il devait se soumettre aux coutumes, même s’il les jugeait injustes et dénues de sens.
Elle se pliait aux préceptes de sa religion, faisant une entorse à ses convictions pour lui, mais n’allait pas jusqu’à porter le voile, fille du nord elle se refusait à suivre les usages djerbiens. D’ailleurs dans ses confidences elle ne se gênait pas de lui dire les vices que cachaient certains voiles, les amants de passage, les maris trompés.
La porte s’ouvrit brutalement et la lumière aveuglante fit irruption dans la pièce. François ferma les yeux, incapable de regarder ce qu’il se passait. Il entendit des cris et la chute d’un corps près de lui. La porte se referma et le noir se fit à nouveau, les cafards pouvaient sortir de leurs cachettes provisoires. Il attendit un instant et hasarda :
-Qui êtes vous, que faites vous là.. ?
L’homme près de lui gémit en remuant. François répéta ses questions. L’homme se décida à parler.
- Je suis Igor Olanov, je suis accusé d'espionnage et j'ai été tabassé toute la journée par ces fous furieux. Je suis innocent, je vous l'affirme. Je n’ai rien fait, je travaille pour une compagnie pétrolière norvégienne et j’ai été mandaté pour faire de la prospection près de la frontière libyenne. Mon guide tunisien est tombé malade pendant le voyage vers le sud, j’ai du le remplacer au volant, je me suis trompé de route et je suis entré dans la zone militaire interdite au sud de Remada. C’est là que la Police m’a arrêté. Et vous que faites vous là.. ?
- Je ne sais pas exactement pourquoi, je me suis rendu à Ben Guerdane près de la frontière, j’y ai pris des photographies, il paraîtrait qu’elles soient compromettantes, mais j’ignore en quoi. Ils ne veulent pas l’admettre.
- Etes vous sur de ce que vous leur avait dit.. ?
- Parfaitement sur.
- Alors vous avez du soucis à vous faire. Les flics de ce pays arrêtent les gens, les mettent en prison sur de simples présomptions et cela peut durer des mois avant qu’ils reconnaissent leur erreur et procèdent à une libération. Où sont les photos.. ?
François hésita un instant et répondit :
- Chez moi, sur mon bureau.
- Vous avez fait des doubles.. ?
- Non
- Donnez les, ne jouez pas avec eux.
François allait répondre que cela n’était pas son intention, il en avait assez de jouer au chat et à la souris avec ces services, de risquer sa peau aussi, lorsque la porte s’ouvrit à nouveau et trois hommes se jetèrent sur Igor, le prirent par les pieds et les cheveux en l’injuriant et le trainèrent hors de la cellule.
Derrière eux un homme apparut dans l’encadrement de la porte, sa masse occulta un instant la lumière. Il lui parla d’une voix affable.
- Mr Macanek, je vous présente mes excuses, il s’agit d’une regrettable erreur. Veuillez me suivre dans mon bureau.
François se leva en titubant, il suivit l’homme jusqu’à une pièce prés des geôles.
- Je suis le commissaire Ahmed Guerzi, je vous prie à nouveau d’excuser les méthodes lamentables de Mr Mustafa K.. Vous êtes le bienvenu dans notre pays. Nous allons vous accompagner jusqu’à chez vous et vous nous remettrez les photographies, nous pensons que vous avez pris des clichés du Boucher, un chef terroriste libyen redoutable. Nous nous doutions qu’il avait passé la frontière. Votre ami voyagiste a été interrogé, il travaille pour nos services et était présent lorsque vous avez pris les photos. Il a reconnu le Boucher, nous ne possédons que des vidéos anciennes de lui, vos clichés sont donc très importants pour nous. Et vous que demandez vous en échange ?
- Mon cabinet travaille sur l’enlèvement de la fille d’un banquier suisse. Je suis venu en Tunisie à la suite d’informations signalant la jeune fille à la frontière libyenne. J’ai besoin que vous me facilitiez l’enquête, la Police française n’a pas été saisie du dossier et je ne peux donc agir au grand jour.
- Mr Macanek, je me dois de reconnaître que vous faites preuve de bonne volonté, puisque vous avez décidé de coopérer avec nous je vais faire un geste en votre faveur. J’ai décidé de vous faire accompagner par un de mes adjoints des plus efficaces qui se chargera de vous protéger et faciliter vos recherches. Vous verrez, vous ne serez pas déçu, de plus ce sera une agréable surprise pour vous. Mais tout d'abord...: Omar, allez chercher la canne de Mr Macanek et rendez la lui..!
Un derviche débile s'affaira et ramena l'attribut si utile qui faisait défaut depuis de trop longues heures.
- "Avec toutes mes excuses Mr Macanek..."