Dans la panoplie des vocables en -cratie désignant un mode de gouvernement, la théocratie tient une place particulière. En effet il est relativement facile de comprendre qu'un ensemble d'hommes, tribu, état ou nation, soit dirigé pau un autre homme - empire, monarchies absolue, dictature...- , une caste héréditaire ou du moins à faible mobilité sociale - oligarchie, ploutocratie, technocratie, népotisme...-- , ou même une caste élue - démocratie,...-.
Toutefois, l'idée de mettre en place un système de gouvernement puisant ses principes, ses procédures et ses pratiques dans un système religieux, donc par définition sous l'autorité d'une entité non-humaine dont l'existence objective ne peut être prouvée, peut sembler folle.
D'autant plus qu'il faut bien que des médiums, des intermédiaires humains entre l'entité virtuelle et le peuple, se chargent d'établir la communication entre l'ici-et-maintenant et l'au-delà. Systémiquement parlant ce pouvoir ne peut avoir de contre-pouvoirs, donc ne peut se réguler.
J'ai appris il y a quelques heures que le Conseil Nationl de Transition lybien avait déclaré, de manière courageusement oxymorique, que la Lybie était libérée de la dictature et allait se réunifier sous le régime de la Charia.
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La loi coranique sera la principale source du droit dans la Libye post-Kadhafi, a annoncé dimanche le président du Conseil national de transition, Moustapha Abdeljalil. En tant que nation musulmane, nous avons adopté la charia islamique comme source du droit, donc n'importe quelle loi contredisant les principes de l'islam est légalement nulle, a-t-il dit lors du discours de libération de la Libye, prononcé à Benghazi.
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Cette information, si elle ne relève pas d'une magistrale erreur de traduction, voudrait dire que des dizaines de milliers de lybiens sont morts pour franchir le pas entre deux dictatures. Que les démocraties -ou supposées telles- occidentales ont dépensé de l'énergie diplomatique, des moyens militaires, des aides aux populations civiles pour favoriser le passage d'un régime où le dictateur était un être humain mortel pour un autre où le dictateur sera non-humain et éternel.
Le Coran est un Livre respectable, et je ne doute pas que l'homme ou la femme qui en applique à titre privé les enseignements, en se fondant sur sa libre lecture du texte, puisse y trouver des principes d'éthique et développement spirituel.
Toutefois, l'idée de rédiger la constitution d'un état en l'adossant à un des nombreux textes qui, à l'instar de la Bible telle que relue par les croisés, les conquistadors ou les pères
fondateurs des colonies du nouveau monde, ont modelé et modèleront des civilisations dont l'histoire démontre les tendances expansionnistes, et même carrément génocidaires, est à mon avis
fondamentalement douteuse.
La Cour européenne des droits de l'homme [1] a fait observer l’incompatibilité du régime démocratique avec les règles de la charia.
À l’instar de la Cour constitutionnelle, la Cour reconnaît que la Charia, reflétant fidèlement les dogmes et les règles divines édictées par la religion, présente un caractère stable et invariable. Lui sont étrangers des principes tels que le pluralisme dans la participation politique ou l’évolution incessante des libertés publiques. La Cour relève que, lues conjointement, les déclarations en question qui contiennent des références explicites à l’instauration de la Charia sont difficilement compatibles avec les principes fondamentaux de la démocratie, tels qu’ils résultent de la Convention, comprise comme un tout. Il est difficile à la fois de se déclarer respectueux de la démocratie et des droits de l’homme et de soutenir un régime fondé sur la Charia, qui se démarque nettement des valeurs de la Convention, notamment eu égard à ses règles de droit pénal et de procédure pénale, à la place qu’il réserve aux femmes dans l’ordre juridique et à son intervention dans tous les domaines de la vie privée et publique conformément aux normes religieuses.
Autrement dit, des démocraties, à travers l'institution OTAN, ont aidé des tenants de la non-démocratie à prendre le pouvoir par les armes. Que vont penser, dire, faire, leurs dirigeants ? En particulier comment vont-ils réagir à cette première décision annoncée qu'est le retour du fléau machiste de la polygamie ?
J'ai bien cherché dans Le Monde daté du 25 octobre, premier à paraître après le discours officiel. Seul Plantu réagit en mettant en scène un DSK verdâtre et dubitatif : Le retour de la polygamie ,... C'est quoi le problème ?
En revanche, ces propos ne sont pas passés sous silence par Libération, qui publie sur son blogue des interventions dépourvues d'ambiguité.
Crédits Merci à :
- Eugène Delacroix, pour son tableau La prise de Constantinople (par les croisés ; en 1204, es croisés parvinrent à prendre la ville : Constantinople fut alors mise à feu et à sang. Beaucoup d’habitants furent tués, les richesses de la cité furent pillées, des œuvres d’art furent volées ou détruites, les temples et monuments furent saccagés. ), 1840, Versailles.
- Gérard Longuet, pour le chiffrage du coût marginal pour la France des opérations en Lybie
- La Cour européenne des droits de l'homme, pour son arrêt
[1] Dans un arrêt du 31 juillet 2001, affaire Refah Partisi / Turquie