C'est une question que de savoir si la prière est d'autant meilleure que l'on fait beaucoup d'exercices extérieurs. À cela Maître Eckhart répond en disant que l'exercice extérieur ne contribue en rien, ou très peu, à la bonté de la prière. Car la prière doit être bonne par sa propre vertu. Ce qui n'est bon que par la quantité n'est pas bon par sa propre vertu. Ainsi, une action accomplie une seule fois aurait une très faible valeur intrinsèque, alors que si elle était répétée mille fois, ces (mille) fois paraîtraient alors très bonnes et c'est uniquement le nombre qui opère cela. C'est pourquoi le nombre de fois n'est pas bon par lui-même, car il n'attire la bonté à lui que par la quantité. Il en va de même pour l'exercice extérieur : la quantité ne contribue guère à la bonté de la prière, car un Ave Maria dit de tout coeur et avec détachement a plus de force et de bonté que mille psautiers priés de façon extérieure. Et à ce sujet il faut aussi remarquer que ce n'est pas une vertu de faire beaucoup d'oeuvres vertueuses, je dis plus : la vertu est aussi noble et aussi bonne dans la plus petite oeuvre vertueuse, faite selon la justice, qu'en mille oeuvres. Et la vertu ne reçoit aucune noblesse de la quantité des oeuvres extérieures de vertu, car si elle était bonne de par leur quantité, elle ne serait pas bonne de par elle-même, car tout ce qui doit être bon par soi-même doit être bon en son unité et non en sa multiplicité. Et qui veut rendre justice à la vertu, doit faire vertueusement l'oeuvre de la vertu. Car on n'appelle pas vertueux celui qui fait des oeuvres vertueuses. Je dis plus : on appelle vertueux celui qui fait vertueusement les oeuvres vertueuses. Celui qui donne une aumône de par Dieu et la donne avec négligence et non avec un coeur joyeux, il fait une oeuvre vertueuse. Je dis plus : il ne la fait pas vertueusement. Il en va de même pour la prière et pour toutes les vertus : lorsqu'on la fait dans le juste (état d'esprit) elle s'appelle une vertu et pas autrement. À ce sujet aussi voici un enseignement concernant la patience. La souffrance extérieure ne rend pas l'homme patient. Je dis plus : elle ne fait que montrer et révéler si l'homme est patient, comme le feu révèle si la pièce est d'argent ou de cuivre. C'est pourquoi même si à celui qui est patient il n'adviendrait jamais aucune souffrance extérieure, on le dirait quand même patient. Il en est de même pour la prière. Qui a un coeur pur et tourné vers Dieu, celui-là se tient dans le bien même s'il ne faisait jamais d'oeuvre extérieure, car le coeur ne devient pas pur par la prière extérieure. Je dis plus : la prière devient pure par le coeur pur.
Maître Eckhart (1260-1327).
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