Malick Dossier Santé mentale
Je ne crois pas. Je pense qu’il est normal de vouloir être normal. Que les mers tranquilles n’ont jamais fait avancer les voiliers.
Je n’ai jamais accepté ma maladie. Je crois que je ne l’accepterai jamais. Mes amis l’ont accepté. Ils m’en parlent comme si la maladie définissait ce qu’ils sont. Ce n’est pas plus mal.
Sauf que moi, je veux me battre, distancer mes craintes. C’est pour ça que je suis encore convaincu que je vais un jour avoir une femme, des enfants et un emploi.
Examen de la folie
Maintenant que le pire est passé, je peux raconter la crise existentielle par laquelle je suis passé. Si je retourne dix ans en arrière, je me rappelle la première journée de ma tourmente. C’était la veille du dernier examen du baccalauréat. J’avais les yeux plongés dans le miroir de la bibliothèque de l’université. C’est en m’observant que j’ai eu la conviction qu’une dualité m’habitait. D’une part le démon, un mal au sens biblique, gouvernait mon œil droit. Dans l’autre œil la pureté, le bien. Dérangé par cette révélation, j’entrepris de combattre l’œil malin. Il faut dire que j’avais toujours été fasciné par les histoires de religion. Cette idée donnait un sens à mon existence. C’est donc avec cette certitude que j’ai quitté le monde réel pour m’enfermer dans un autre univers.Des folies pour vaincre mon œil droit, j’en ai faites. J’ai crié que j’aimais Dieu dans des lieux publics. J’ai marché dans des champs sans m’arrêter. J’ai coupé des arbres en leur demandant la permission. J’ai reçu la clé du paradis des mains de la Sainte Vierge. Je m’en foutais parce que je ne faisais de mal à personne dans ma quête de me libérer du démon. De fil en aiguille, mes théories devenaient de plus en plus complexes et précises. Jusqu’à me convaincre que si tout cela m’arrivait, c’est que j’étais un ange de Dieu qui devait passer par toutes ces épreuves pour évincer le démon en moi et pouvoir accomplir une grande destinée.
L’acte de trop
Et vint le jour où ma vie bascula. C’était en soirée. J’étais monté parler à ma sœur pour la réconforter. Elle me dit que sa vie allait mal et qu’elle avait de la difficulté à regarder l’ours en peluche que son ancien copain lui avait offert. Que ce dernier était possédé et qu’elle en avait peur. Qu’elle se sentait seule et que son chien était comme son psychologue. Elle lui parlait et il était le seul à la comprendre. Le lendemain, je prenais une hache et je tuais son chien. Elle me traita d’assassin, de meurtrier, de monstre. La police s’est présentée à la maison familiale. Je me suis retrouvé en psychiatrie.
Couché dans l’ambulance, attaché avec des sangles, escorté par quatre autos patrouilles. Les choses vont vite. Je me demandais pourquoi tout ce déploiement autour de moi. Étais-je une menace pour quiconque? Je venais de tuer un berger allemand avec une arme tranchante. Je me sentais comme un meurtrier, quelqu’un qu’il faut craindre. Ce n’est vraiment pas agréable.L’hôpital psychiatrique
Je passai la nuit avec des gens qui tournaient en rond, qui criaient, qui parlaient de démon et de Satan. Le lendemain, on m’a transféré dans l’aile psychiatrique. J’ai rencontré un psychiatre. Je l’ai vite compris, ce que j’allais dire allait déterminer le temps que j’allais passer enfermé.
J’ai essayé d’expliquer l’histoire en minimisant mon geste et en mettant l’accent sur le fait que c’était un animal. Que jamais je n’aurais fait de mal à un humain. Tout de même, j’ai raconté tout ce que je croyais. J’étais un ange avec un œil bon et l’autre mauvais. Ça m’a fait du bien sauf que cela m’a suivi durant mon séjour en psychiatrie.
Une fois les portes magnétiques de l’aile psychiatrique franchies, il n’y plus de retour en arrière. Vous vivez avec d’autres patients et le personnel médical. Tous les jours vous rencontrez un psychiatre. Vous mangez aux mêmes heures, vous vous couchez avec la fermeture des lumières. Il y a une hiérarchie parmi les malades de longues dates : les plus vieux sont respectés et les plus fous, craints. Il m’est arrivé de rencontrer des assassins qui, plutôt que d’être en prison, purgent leur sentence en psychiatrie. Ils n’ont pas l’air de meurtriers, souvent même ils affichent un beau sourire. Je me suis plutôt bien adapté même si je n’aimais pas être là. Je me suis fait une raison. Je me suis tenu avec ceux qui sont le moins affectés par la maladie.
Faire passer la pilule
A la fin de mon séjour, j’ai intégré un centre en santé mentale où j’ai fait du théâtre, du karaté, de la cuisine pendant un an. C’est là que j’ai rencontré celui qui allait devenir mon chum de consommation. Durant cette période, j’avais déjà l’habitude de consommer de la marijuana et de l’alcool. Par l’entremise de cet ami, j’ai connu le speed qui, sur le coup m’a paru inoffensif. Sauf que la petite pilule magique est rapidement devenu un baume sur mes plaies.
Avec cette drogue, je me sentais fort et certain. Tranquillement, je me suis mis à consommer régulièrement et à sortir dans les clubs. Ce qui devenait dangereux, c’est que j’en prenais pour me sentir bien. Ma famille le savait et tout le monde en souffrait. Mes parents tentaient de me raisonner sur les dangers de cette drogue. Je n’écoutais pas. Trois fois par semaine, je passais des nuits blanches tout en sachant qu’il suffisait d’une pilule pour devenir légume. En plus je prenais des médicaments. Je faisais attention à ne pas me faire prendre mais j’étais soumis à des analyses d’urine tous les trois mois alors, forcément, le test a fini par se révéler positif.
Centre de thérapie Le Portage
Les docteurs ont donc décidé qu’il me fallait un traitement choc: le centre de thérapie Le Portage.
Mon entrée fut difficile. J’ai dû quitter ma liberté pour entrer au TSTM (Toxicomane Souffrant de Troubles Mentaux). Tous les jours, lever à 6h45, ménage et thérapie, thérapie et thérapie.
Les premiers temps, je pensais mourir. Les cinq premières semaines sans sortie ni téléphone. Mais rapidement, j’ai changé. J’ai accepté le programme. Je m’y suis fait des amis. Je suis devenu chef de la cuisine puis chef de la communauté. J’ai même arrêté de fumer la cigarette.
Même si j’avais beaucoup de réticence à me plier à cette thérapie, elle m’a libéré de mes habitudes. Je me suis rendu compte que je pouvais réussir à être heureux sans drogue. Ils m’ont supporté et m’ont fait travailler mes comportements et la gestion de mes sentiments. Il m’a fallu 13 mois pour franchir les 4 étapes de réhabilitation avant de pouvoir habiter en appartement supervisé et commencer une réinsertion sociale. J’en suis sorti grandi et capable d’être autonome avec un style de vie positif.