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Dans un contexte de révolte, Mélenchon peine à enfoncer le front

Publié le 25 octobre 2011 par Délis

Le ton gouailleur, le verbe haut, le goût de la provocation, du rêve plein les yeux, Jean-Luc Mélenchon affadit les autres candidats. Son ambition, loin d’apparaître comme un homme normal, est de transformer cette normalité. Soyons réaliste, demandons l’impossible ! Le programme s’apparente à une vraie révolution. Nationalisation à 100% du secteur de l’énergie, régularisation des sans-papiers, fin des exonérations des charges patronales, scrutin proportionnel à toutes les élections, VIème République rétablissant au Parlement ses pouvoirs, fixation de plafonds maximums pour les salaires, sortie du traité de Lisbonne, Smic à 1700 euros, retraite à 60 ans, plafonnement des loyers et des prix d’achat de logements, etc.

Le candidat du Front de gauche et du parti communiste sait mettre au service de ses idées un certain sens théâtral, donnant lieu à de mémorables séquences télévisuelles, tel le débarquement dans les locaux de l’agence Moody’s la semaine dernière.

Jean-Luc Mélenchon chemine vers mai 2012 dans un contexte inespérément propice. La France, s’approchant de l’œil du cyclone de la crise, les Français pourraient catalyser l’immense vague de mécontentement populaire en faveur de Mélenchon. Par ailleurs, son horizon politique s’est miraculeusement dégagé à gauche : des trotskistes encore inconnus du grand public, une Eva Joly infiniment moins présente que prévu et un François Hollande au discours incisif sur la forme mais assez tiède sur le fond. Se dessine donc un boulevard pour le candidat du Front de gauche. Sa stagnation autour d’un médiocre 6% d’intentions de vote dans les sondages révèle toutefois que l’opinion n’est pas (encore) prête à verser dans une vraie rupture politique.

LES FRANÇAIS REJOINGNENT MELENCHON DANS SON ESPRIT DE REVOLTE

Tous les clignotants sociaux économiques nourrissent la révolte, dont Mélenchon est actuellement la figure la plus emblématique. Au-delà des thermomètres socioéconomiques de l’INSEE (taux de chômage et de croissance, dette publique etc.), données froides et déshumanisées, les sondages d’opinion démontrent l’ampleur du désarroi de nos concitoyens. 75% des Français (le plus haut taux depuis le début de la mesure, en 1981) estiment que les gens comme eux vivent moins bien qu’avant. Plus inquiétant : selon Ipsos, 57% ont connu ou ont craint de connaître une vraie situation de pauvreté. Parallèlement, l’école joue de moins en moins son rôle de promotion sociale (pour 56% des Français), cristallisant ce schéma sans espoir. Pendant que le vernis craquelle de toute part, l’action de la majorité sortante est jugée avec la plus grande sévérité par les Français.

L’opinion éprouve une inclination en faveur de la radicalisation et de la rupture avec le système. En février dernier, 58% des Français  espéraient même qu’une révolte éclate en France, selon Harris Interactive. Deux exemples permettent d’illustrer cette impétuosité. Face aux difficultés de se loger décemment, les Français privilégient désormais les mesures défendues par les « anti-systèmes » : blocages des prix des loyers (59%) et des prix à l’achat (44%), préférés aux mesures prévalant jusqu’alors, le développement du logement social (24%) ou la construction de nouveaux logements (24%). De même, les Français ne souscrivent plus à la politique de sauvetage de l’économie, que ce soit dans les milliards versés à la Grèce (68% d’opposants, notamment à droite), ou éventuellement aux banques (59% d’opposants). Même si l’on assène les Français que la solidité de nos banques et le sauvetage de la Grèce constituent des nécessités absolues pour éviter une catastrophe économique, l’opinion craint surtout que l’argent versé ne s’assimile à de l’eau versée dans un désert.

Dans ce contexte tendu mais favorable à la propagation des idées d’extrême gauche, Jean-Luc Mélenchon ne progresse étonnamment pas.

LE PEN – MELENCHON : UN MEME TERRAIN DE CHASSE

Mélenchon subit de plein fouet la concurrence de Marine Le Pen, tant sur les thèmes adoptés – contestation du libre-échangisme et de l’Union européenne, rejet du système politique – que sur le public visé, les catégories populaires. Une partie importante de l’électorat ouvrier, qui votait majoritairement à gauche jusqu’en 1981, a épousé les thèses ou du moins l’esprit anti-système du Front national. Mélenchon éprouve toutes les peines du monde pour ramener à lui, l’autre front contestataire, ces franges modestes et révoltées de la population. Marine Le Pen agite la menace de « l’étranger » et promet ordre et protection. Le Front de gauche, héritier d’un universalisme socialiste, prônant le droit à la différence, trouvant des vertus à l’immigration, ne peut trouver sur ce terrain l’assentiment populaire.

L’APATHIE REVOLUTIONNAIRE

Les Français, on l’a vu, souhaitent majoritairement une révolte, mais ils croient déjà moins en sa concrétisation (49%). Il est remarquable de constater que la vague mondiale des Indignados n’a qu’effleuré la France, terre pourtant historiquement révolutionnaire. « Indignez-vous », lançait l’ancien résistant français, Stéphane Hessel, à la jeunesse du monde entier. Il est devenu, malgré lui, le parrain d’un mouvement démarré sur la Puerta del Sol de Madrid, avant de parcourir le monde occidental, en Israël, en Grèce, en Italie, aux Etats-Unis ou encore à la City de Londres. Partout, à défaut de proposer une société nouvelle, les indignés savent ce qu’ils ne veulent pas : le statut quo quant au système actuel qu’ils honnissent.

Exceptés quelques rassemblements, notamment sur l’esplanade de l’Hôtel de Ville à Paris, le phénomène n’est resté en France qu’un formidable succès de librairie.

Selon BVA, la popularité de François Hollande, crédité jusqu’à 64% d’intentions de vote au second tour face au président sortant, démontre justement que les Français ne se sentent pas prêts à succomber à l’aventure romantique d’un changement radical. Sonnés par les difficultés quotidiennes et la peur de l’avenir, ils mettent en avant un homme jugé à la fois capable (il apparaît plus apte que Nicolas Sarkozy sur les thèmes économiques) et honnête, dans un contexte dans lequel les Français évaluent la corruption à un niveau inégalé. L’honnêteté a été jugée par les Français, dès le mois de mai dernier, comme la première qualité d’un chef d’Etat.

Rappelons-nous des accents du Mitterrand des années 70 : « celui qui n’accepte pas la rupture avec l’ordre établi […], avec la société capitaliste […] ne peut pas être membre du parti socialiste ». Mélenchon se reconnaîtrait sûrement davantage que Hollande. L’heure est davantage au pragmatisme qu’à l’idéologie, davantage à la sincérité qu’à l’héroïsme. Les Français ne sont plus enclins à remettre les clés du pouvoir à un idéologue.

LA GAUCHE EXTREME, LIMITEE A CONSTITUER UNE BOITE A IDEES

Un certain nombre d’idées altermondialistes ou d’extrême gauche, d’abord jugées utopiques ou absurdes, font leur chemin avant d’être reprises par les gouvernements, seraient-ils même de droite. Plusieurs exemples en témoignent : la taxe sur les billets d’avions pour financer la lutte mondiale contre le sida, la taxation des hauts revenus, la mise en place de la taxe Tobin sur les mouvements de capitaux au niveau européen. Il y a peu de temps encore, il était dit que de telles mesures seraient anti-économiques, générant des fuites des capitaux vers l’étranger.

Mélenchon pourrait, à défaut d’entrer à l’Elysée, devenir un efficace contre-pouvoir contre un éventuel gouvernement socialiste. Il endosserait le rôle de Jean Jaurès au début du XXème. Jamais entré au gouvernement, Jaurès a pourtant joué un rôle essentiel, de par son influence, dans le traitement de la sensible « question sociale » – pendant le premier gouvernement Clemenceau – et, plus tard, dans sa tentative d’éviter à l’Europe son entrée en guerre. Tribun de qualité, Mélenchon pourrait, à défaut de détenir le pouvoir, l’influencer donnant de la voix aux indignés.


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