Devant les photographes, ils sourient et se complimentent. En coulisses, ils se menacent, se tancent, s'engueulent. Est-ce la
peur de l'échec, les prémices d'un sauve-qui-peut politique généralisé ? Les dirigeants européens se retrouveront mercredi après un weekend de tractations non conclusives.
En Sarkofrance, c'est décidé. Quitte à suivre Angela Merkel, autant dramatiser la situation pour intéresser les Français à
autre chose que la candidature de François Hollande ou le calamiteux bilan de Nicolas Sarkozy.
Sermons
Angela Merkel avait été fraîche voire froide à l'encontre de Nicolas Sarkozy la semaine dernière. Dimanche, les deux
dirigeants s'étaient presque réconciliés sur le dos de Silvio Berlusconi. Le premier ministre italien s'est pris un savon franco-allemand, Sarkozy affirmant qu'il n'était plus
question d'octroyer la solidarité européenne à ceux qui n'étaient pas « décidés à faire eux-mêmes des efforts ». Avec ses 1.800 milliards d'euros de dette publique, sa
croissance atone et son immobilisme politique, l'ancien meilleur ami et modèle de Nicolas Sarkozy est devenu le vilain petit canard de l'Europe.
Lors de leur conférence de presse
commune, Sarkozy et Merkel se sont silencieusement moqués de leur homologue italien. Interrogés sur leur
confiance dans le leader italien, les deux se sont regardés avec un large sourire, provoquant l'hilarité de la salle. «Nous faisons confiance au sens des responsabilités de l’ensemble
des autorités politiques et économiques de l’Italie»… a complété le président français.
Lundi en fin de journée, Il Cavaliere
se défendait: « personne n'est en mesure de donner des leçons à ses partenaires »
Disputes
Un autre échange, tout aussi vif mais plus équilibré, est intervenu entre David Cameron et Nicolas Sarkozy. Le premier
ministre britannique s'était plaint de la déstabilisation des économies européennes par la crise de l'euro, que son pays n'a pas adopté: « La crise de la zone euro affecte toutes nos
économies, y compris celle de la Grande-Bretagne, a martelé M. Cameron. Il est dans l'intérêt de la Grande-Bretagne que les pays de la zone euro règlent leurs problèmes. Mais cela
devient dangereux – et j'en ai parlé franchement avec eux – s'ils prennent des décisions vitales pour les autres pays du marché unique, comme des décisions sur les services financiers, qui
concernent tout le marché unique. »
Lundi, la presse britannique s'est fait l'écho de la réponse cinglante et peu diplomatique de Nicolas Sarkozy. « Vous
avez perdu une belle occasion de vous taire Nous en avons assez de vous entendre nous critiquer et nous dire ce que nous avons à faire. (...) Vous dites détester l'euro,
vous n'avez pas voulu le rejoindre et maintenant vous voulez vous ingérer dans nos réunions », a dit le président français à Cameron, selon le Daily Telegraph et
The Guardian. Ce dernier a même titré: « Sarkozy à Cameron: ta gueule
sur l'euro ! ».
Angoisses
Il y a trois ans, en 2008, on avait cru revivre 1929. Les messages rassurants de nos dirigeants avaient fait illusion
quelques mois. On avait cru s'échapper du Grand Cataclysme grâce, en France, aux titanesques efforts de notre Monarque: suppression des paradis fiscaux, mise au pas des traders, régulation des banques et des marchés, relance de
l'économie et investissements « d'avenir » et « d'excellence ».
Depuis 12 mois, un Nicolas Sarkozy en pré-campagne sillonne la France pour répéter devant des audiences acquises à sa cause
combien il nous a sorti de la Grande Crise.
Trois plus tard, après la Grande Crise, voici la Grand Trouille.
En fait, les paradis fiscaux sont toujours là, les traders se portent bien, quelque 16.000 milliards de dollars de
spéculation financière mondiale échappent à tout contrôle. « Ça prend nécessairement du temps parce que c'est une terre nouvelle, d'une certaine manière, puisque ce qui était il y a trois ans
l'une des meilleures signatures, celles des Etats ou des collectivités locales, est aujourd'hui questionné par les investisseurs et les marchés » a reconnu François Baroin lundi. « Le vrai problème, c'est celui des dettes et l'absence de régulation des
marchés » a complété le ministre des affaires européennes Jean Leonetti lundi soir sur France 2. Quels aveux !
L'austérité à l'oeuvre aggrave la situation des pays endettés, précipitant leur dégradation de crédit auprès des agences de
notation et des marchés. Après la Grèce, l'Irlande, et le Portugal, voici l'Italie qui
devrait bénéficier d'un plan de sauvetage. Ce dernier fait l'objet de négociations discrètes ces jours derniers, nous rapportait le Monde. Un défaut partiel de paiement en Grèce déstabilisera
nos banques européennes, qu'il faudra renflouer. En France, le directeur de la Banque Centrale était rassurant lundi matin:
« Les banques françaises sont bien capitalisées, ne sont pas exposées à des risques particuliers. Le coût supplémentaire que peut avoir le
traitement de la dette grecque est quelque chose qui est parfaitement absorbable ».
Récession ?
L'Allemagne de Merkel s'obstine à lâcher crédits et garanties avec parcimonie, pour mieux échanger des plans d'austérité en
contre-partie. En France, les 14 milliards d'euros de réductions de niches fiscales et de dépenses ne suffiront pas. Le gouvernement s'apprête à réviser ses prévisions de croissance pour l'an
prochain.
Avec +1% de PIB au lieu des +1,75% initialement prévus, ce sont quelque 8 à 10 milliards de recettes fiscales supplémentaires
qui feront défaut, et autant de dépenses à réduire si l'objectif de déficit budgétaire doit être tenu. Un cabinet d'études anglo-saxon, Markit, nous promet une entrée en
récession ce mois-ci d'octobre.
On comprend que Moody's soit inquiète. Vendredi, Standard and Poor's ajoutait qu'une éventuelle récession
précipiterait la dégradation de la note de la France. Nous sommes prévenus.
Dramatisation
En coulisses, l'équipe Sarkozy espère quand même tirer quelque profit de ce contexte dramatique. On appelle cela la stratégie
du pire. Depuis juillet et la mise en scène de l'intervention sarkozyenne pour décrocher un accord,
notre Monarque s'était fait plutôt discret. Certes, il fut contraint parfois, comme en août, d'interrompre par deux fois ses quatre semaines de repos au Cap Nègre. Mais pour le reste, il
continuait ses inaugurations d'usines, visites de fermes, ou autres discours de campagne. Depuis quelques jours, il paraît qu'il « mise énormément sur une sortie de crise pour rebondir »
(L'Express).
Nicolas Sarkozy cherche une issue à son propre impasse. Tout le monde reconnaît qu'il ne fait que suivre Angela Merkel depuis
des mois. Dimanche matin, The Guardian - encore lui - titrait: « Sarkozy ne parle plus
qu'une langue, l'Allemand ». Samedi soir, l'envoyé
spécial de Libération Jean Quatremer s'amusait de voir un Sarkozy en rage sourde regagner sa chambre d'hôtel à Bruxelles pendant qu'Angela Merkel préférait aller trinquer au bar du même
établissement.
Depuis 8 jours, l'Elysée a donc choisi la dramatisation. Dimanche soir, Sarkozy parlait avec Merkel devant des journalistes,
pour ne rien annoncer. Lundi, François Fillon accueillait les présidents de groupes de l'Assemblée nationale à Matignon.
Mercredi, ce sera donc le Grand Jour, le « Judgment Day »... pour le moment.
Sarkofrance