Chapitre IV
Monastir
Voyager
de compagnie sur de longues distances vous engage à échanger des idées,
à vous confier quelquefois selon les affinités qui se créent ou non.
François
et Mohammed ne tardèrent pas à franchir la frontière de la réserve pour
en venir à disserter sur leur conception de la vie. La barrière
culturelle est une ligne fragile érigée souvent par nécéssité,
l'informatique et les médias offrent une vision de pluralité du plus
profond d'un igloo au plus feutré d'un caravansérail. Et finalement,
partout sur cette terre on s'aperçoit que le but universel de l'humanité
est la recherche du bonheur.
Mohammed lui confia ainsi avoir été
élevé dans deux religions, son père l’avait amené à la synagogue de la
Ghriba au huitième jour après sa naissance pour y subir la Brith Milah
(circoncision), il reçut un prénom hébreu : Israël et un prénom courant :
Mohammed par respect pour sa mère. La veille sa mère avait fait venir
son oncle à la maison, la religion musulmane se transmettant par le
père, une des similitudes de plus avec la religion juive tout comme la
circoncision. Son oncle avait prononcé l’Adhan à son oreille gauche
(appel à la prière) et récité ensuite l’Aqamah.
Une grande fête
s’était ensuite tenue à la maison où deux béliers avaient été sacrifiés.
Ainsi Mohammed suivit les préceptes des deux religions sans en
privilégier une par rapport à l’autre, ce qui avait fortifié chez lui un
esprit de tolérance hors du commun.
François releva le caractère
exceptionnel de cette situation et lui demanda si le sujet religieux
avait malgré tout été source de conflit entre ses parents. Mohammed lui
parla avec émotion de l’harmonie qui régnait dans le couple parental. Et
comme la Ghriba avait été évoquée il lui raconta une coutume peu connue
selon laquelle dans une petite cavité au fond de la pièce principale
les femmes déposeraient des œufs marqués du nom d’une jeune fille que
l’on voudrait marier, ces faits se produiraient en Mai en période du
Festival local, à côté de l’œuf on mettait une petite bougie. Quelques
temps plus tard on remettait l’œuf à la jeune fille qui après l’avoir
mangé devait trouver mari. François se souvint ainsi que lors d’une
visite à la Ghriba cette petite cavité cachée par une porte basse avait
attiré son attention.
La conversation dévia ensuite sur des sujets moins brûlants.
Le
temps et les kilomètres fondaient sans qu’ils s’en aperçoivent et
bientôt ils arrivèrent aux abords de Gabès. De fait, la route contourne
cette oasis, la seule au monde à être un port donnant sur la mer. Une
sorte de périphérique évite de pénétrer dans la ville des phosphates.
Pendant quelques kilomètres cette voie est bordée de petites cahutes
genre gourbis constitués de feuilles de palmes, de planches et de
cartons, meublées d’une table et d’une ou deux chaises on y expose des
poteries, des dattes, des figues et autres fruits, du miel ainsi que des
tas de bibelots, bijoux artisanaux etc…
Partout c’est un alignement
de ces tabias prés desquelles s’arrêtent des files de véhicules et
d’autocars. Mohammed et François ne s’y arrêtèrent pas un instant, ils
avaient mieux à faire qu’à jouer les touristes.
Les 137 kilomètres de
route de Gabès à Sfax en remontant vers le nord ne sont pas les plus
beaux, la chaussée y est moins bonne, bien sur cela n’a rien à voir avec
les routes cubaines défoncées par endroit, tout juste la qualité d’une
petite route secondaire en France. De plus c’est la partie industrieuse
du Sud de la Tunisie, les kilomètres s’y succèdent monotones dans des
paysages plats.
A Sfax ils prirent l’autoroute qui remonte jusqu’à
Tunis, à l’entrée il y a bien un poste de péage installé, mais personne,
c’est gratuit. François ne put s’empêcher de penser aux sommes
pharamineuses engrangées par les sociétés d’autoroute en France ,
surtout en période estivale, ici rien de tout cela. De Sfax à Monastir
l’autoroute était belle, la chaleur étouffante. Ils firent un arrêt dans
un petit café maure du côté d’El Hencha. Désirant soulager une envie
pressante François une fois de plus, fut confronté à l’état repoussant
des toilettes de ces petits cafés en bord de route. Décidement il y
avait du travail à faire dans ces commerces au niveau de l’hygiène.
Lorsqu’il regagna la table Mohammed eut l’air penaud et gêné, il avait
compris, François se tût.
Ils entrèrent à Monastir par la C100et se
rendirent à l’Hôtel Ribat sur l’Avenue Bourguiba où Dayan avait réservé
deux chambres contigües. François posa sa valise et en profita pour
prendre une bonne douche qui le remit de la fatigue du voyage.
Moins
d’une heure plus tard il était au rez de chaussée à visiter ce
somptueux bâtiment. Une piscine attrayante trônait au centre de la cour,
Dayan était près du bord à admirer la majesté des lieux. Une terrasse
accueillante desservie par un bar offrait des tables et des fauteuils
confortables dans un coin de fraîcheur. François en vint à penser que
s’il n’avait pas un travail à faire aboutir, il aurait bien passé
quelques jours de vacances en ce lieu. Bien calé dans son fauteuil il
dévisagea les quelques clients présents et quelle ne fut pas sa surprise
d’apercevoir allongée sur un fauteuil de plage, Mounira son infirmière
de Djerba qui l’avait soigné après avoir été renversé par la voiture de
sport.
Elle était ravissante, drapée d’un paréo recouvrant sa tenue
de bain, sur la tête un chapeau aux larges bords la protégeait de
l’agressivité du soleil de fin d’après midi, elle sirotait
langoureusement un thé la menthe servi avec des pignons.
François se
leva et se rendit auprès d’elle, elle leva vers lui ses yeux de biche
et lui répondit par un sourire désarmant. Elle croisa féminine ses
longues jambes bronzées découvrant un temps ses cuisses marmoréennes.
-
Je suis arrivée hier à Monastir François, à la demande d’un important
personnage souffrant d’une maladie de Lyme, vous savez que les maladies
exotiques sont ma spécialité.. ? Je vais résider ici quelques temps aux
frais de cet homme, quel plaisir de vous y retrouver. J’ai souvent pensé
à vous depuis votre sortie de l’hôpital. Et vous que faites vous ici.. ?
-
Je dois assister à une conférence qui se déroulera après demain dans la
cour intérieure du Ribat de cette ville. Mais acceptez vous que je vous
présente un ami.. ?
Mounira acquiesça de la tête et François fit signe à Dayan de les rejoindre.
-
Je vous présente Mr Mohammed Fakhir un ami de Djerba. Dayan (Fakhir) et
Mounira s’échangèrent des politesses et Mounira eût la délicatesse de
ne poser aucune question.
- Sur ces entrefaites Ferhat Mechiche fit
son apparition au seuil de la terrasse coiffé d’un canotier il avait une
certaine ressemblance avec Louis de Funès. Dayan et François se
regardèrent interloqués quelques secondes, la réponse à leurs questions
ne tarda pas. Mounira le héla de la main d’un geste gracile. Il s’avança
alors jusqu’à eux, empressé.
- Bonjour, Mademoiselle, cet hôtel vous convient il.. ? Êtes-vous bien installée. ?
-
Fort bien Mr Mechiche lui répondit elle en arabe, l’endroit est calme
et agréable. Je vous présente deux amis, Messieurs Fakhir et Macanek,
ils viennent de Djerba et le hasard a fait que nous venons de nous
rencontrer
Puis se tournant vers François :
- Je vous présente Mr Ferhat Mechiche, la personne à qui je viens apporter mes soins.
Dayan
et François saluèrent Ferhat, ce dernier cacha furtivement un air
pincé, à quelque part cette venue contrariait ses plans, mais il
s’efforça de ne rien en laisser paraître. Ils engagèrent une
conversation sur les routes tunisiennes et la beauté de Monastir. Ferhat
semblait pressé, il remit une invitation pour deux personnes à sa
prochaine conférence et demanda à Mounira si elle pouvait le soigner
dans sa chambre.
Après les formalités de politesse d’usage tous deux s’éclipsèrent et Dayan et François se retrouvèrent seuls devant leur punch.
Il
n’avait pas l’intention de passer sa soirée entre hommes, une présence
féminine se faisait ressentir, aussi attendit il une petite heure avant
de téléphoner à la chambre de Mounira.
Celle-ci tarda un peu à lui
répondre, il allait raccrocher lorsqu’elle prit l’écouteur. François
l’invita à prendre un verre. Elle accepta avec enthousiasme. Rendez vous
fut pris dans le hall de l’hôtel et un taxi les transporta au
restaurant « Ali Baba ».
Cet
endroit avait la particularité d’avoir une petite terrasse bien fraîche
avec peu de tables dans une charmante courette intérieure connue des
initiés. Un endroit idéal pour converser loin des bruits de musiques des
restaurants traditionnels. Le personnel était stylé et prévenant. Il
offrait ainsi l’avantage de la discretion alliée au confort, et le menu
était à l’avenant.
François aimait le raffinement et était sensible à
l’accueil, combien de restaurants à l’addition salée vous accueille
comme un chien dans un jeu de quille et vous fait poireauter entre
chaque plat, avant de vous faire languir pour « la douloureuse ».
Visiblement
le couple s’entendait bien, Mounira était détendue, rassurée par
l’intimité du lieu. Comme nombre de femmes de ce pays s’afficher avec un
homme sans être mariée et à fortiori un européen vous place sous les
feux du jugement et des critiques passant par de mauvais regards.
De
son côté François la trouvait à son goût, mais il avait la ferme
intention de ne pas savourer à la première occasion. Elle portait une
robe printanière imprimée de fleurs, des sortes d'iris qui eurent pour
lui des réminiscences posthumes, délicatement colorées elles mettaient
en valeur le galbe de ses épaules sur lesquelles ses longs cheveux
ruisselaient en vagues.
Ils soupèrent et partagèrent un bon moment
relaxant. Tard dans la soirée une promenade en calèche en bord de plage
leur offrit la vision romantique de cette cité berceau d’un président de
la république.
A un moment la main de François effleura la peau de
Mounira qui le regarda langoureusement et la retint. François ne poussa
pas son avantage, gentleman il lui recouvrit les épaules avec sa veste.
A l’avant de la calèche, il entendit le conducteur moustachu prononcer entre ses dents : « Mektoub »…
Le
lendemain matin Dayan était le premier debout, il vint prendre le petit
déjeuner avec François sur le balcon, ce dernier en profita pour amener
la conversation sur Nicole la fille du banquier Suisse, le temps
passait et il avait interrompu son enquête depuis les événements de
Djerba. Mohammed le rassura, une équipe de Police Judiciaire travaillait
sur l’affaire depuis que François en avait donné connaissance, et les
choses avançaient favorablement, c’est le moins qu’il en savait. Cette
déclaration le ragaillardit, il avait hâte d’en terminer avec ce
Boucher, de retrouver la fille et de prendre des vacances.
Dayan lui
fit comprendre qu’ils n’en étaient pas encore là, lui-même devait se
rendre le matin même au Commissariat Central pour prendre contact avec
le Commissaire Djibflouz et mettre en place les modalités de
surveillance des participants à la Conférence. François avait donc la
matinée devant lui pour visiter la ville, il appela Mounira pour
partager avec elle ces instants.