Magazine Poésie

Coquilles

Par Deathpoe

Sur la table basse de la salle d'attente il y avait en premier titre du journal "L'uniforme ne fait plus peur". Quant à moi, il m'était impossible de savoir si j'allais éclater en sanglots ou non en le voyant. j'avais retenu mes larmes depuis le matin et le trajet en bus m'avait paru interminable. J'en étais certain, j'avais mis le doigt sur quelque chose de primordial.
"Vous voulez que j'allume la lumière?
-Merci, c'est gentil."

Je me relevai et allai vers l'interrupteur.
"Non non, mais ne rallume pas.
-Bah, si vous voulez la lumière, je vous ai dit que ça ne me gênait plus. Pas la peine d'éteindre exprès à chaque fois que je me pointe.
-C'est drôle tout de même comme tes choix sont parfois uniquement liés à l'autre personne.
-Comment ça?
-Comme s'il n'y avait pas de distinction entre ta volonté et celle de l'autre, comme si tout était, comment dire...
-Conciliation?
-Pas vraiment, plutôt comme si tu ne laissais jamais à l'autre le choix, et que ta volonté était toujours identique à la sienne, que tu tentes de lui imposer.
-Bon, on ne va pas à nouveau se faire chier pour une histoire de lampes, si?
-Désolé je ne voulais pas te blesser en disant cela.
-Non mais ça ira, arrêtez de vous inquiéter pour ce genres de choses."

Je gardai le silence quelques instants, sans parvenir si je devais prendre garde plutôt à sa prévenance qu'à ce que je percevais comme un reproche lourd de sens, ou l'inverse. Je savais que ça n'avais pas d'importance mais ça me faisait me sentir encore plus minable.
"Qu'est-ce qu'il y a, Mike?
-Vous ne me demandez pas comment je vais aujourd'hui?
-Non, je crois percevoir de la tristesse dans tes yeux, ou au moins, une certaine mélancolie."

Quell ironie: le masque était donc ébranlé et crevait l'écran à ce point. Je commençai de pleurer silencieusement. Lentement, toutes les émotions contenues depuis des jours s'écoulaient ainsi sur mes joues.
"Ah, tu vois, je me trompais pas.
-Effectivement.
-Si tu le veux bien, tu peux évidemment me dire ce qui te met dans cet état, le partager."

Impossible de vraiment éclater en sanglots. Comme si ça ne devait pas me ressembler. Comme si je devais me contenir constamment, pleurer en silence en serrant les poings. Mais sa prévenance et sa bienveillance m'ébranlaient encore plus. J'essayai de me calmer avant de reprendre.
"Ça y est. J'ai mis le doigt sur ce qu'était mon angoisse, son origine, sa source.
-Et bien?
-Simplement, ce petit connard de petit garçon qui refuse de fermer sa gueule.
-Et pourquoi le traiter comme ça? Tu ne pourrais l'écouter, plutôt?
-Non. Il est à la source de trop de choses. Mes angoisses, mes comportements parfois capricieux, arrogants. L'adulte que je suis devenu, d'un certain côté seulement, manque de maturité à cause de lui.
-Qu'est-ce qu'il te dit?"

Je serre les poings et enlève mes lunettes, comme à chaque fois que je tente d'esquiver une question. Je détourne les yeux et regarde par la fenêtre. Je ne peux plus empêcher les larmes de couler d'avantage.
"Qu'il a peur. Simplement, qu'il crève de peur quant au lendemain, quant à la suite. Putain, j'en sais rien. Qu'il crève.
-Mike, si tu le traites comme ça, si tu tentes effectivement de le dresser pour qu'il corresponde à ce que tu souhaites, il n'est pas étonnant que l'adulte que tu es ne parvienne pas à s'identifier. Tu vis où je veux en venir?
-Non, c'est impossible. L'enfant est trop faible.
-Mais nous sommes tous le devenir de notre enfance. Tu ne peux pas toujours être fort, tout endurer, supporter la douleur, la distance, et assimiler tes échecs relationnels comme étant strictement de ta faute.
-C'est pourtant un bon moyen d'échapper à la douleur.
-Cela a un rapport avec ce besoin de reconnaissance dont on parlait l'autre fois?
-Je ne sais pas, certainement.
-Tu veux savoir quel lien je fais?
-Allez-y.
-La relation de fusion avec ta mère ne t'a pas permis de te construire une image propre. Intellectuellement, tu sais que tu existes, mais tes émotions sont bien souvent liées à la personne que tu as en face de toi. L'enfant que tu refuses d'écouter a trop été en écho avec cette mère en souffrance, et l'adulte que tu es devenu a rejeté, inconsciemment ou non, toute forme d'enfance, d'innocence, comme si elle ne correspondait qu'à de la souffrance, à la peur de la perte de l'autre...
-Elle...
-Oui?
-Bordel, voilà, elle m'a donc tout volé...
-Comment çà?
-J'ai l'impression que, euh, qu'elle m'a volé ma vie, ma personnalité, mes relations. Merde, est-ce que j'ai déjà seulement existé à part entière?
-Oui. En ce moment même tes émotions montrent bel et bien que tu existes.
-Le pire est, je crois, que je ne peux même pas lui en vouloir, même pas lui reprocher de m'avoir tout pris, et sous quel prétexte? Bordel, je n'avais pas à subir tout ça.
-Non, tu ne peux pas lui reprocher. Tu peux toujours la haïr, en sachant que tu l'aimes.
-Vous avez déjà vu que la haine était une solution, vous? Et je n'arrive pas à haïr qui que ce soit. Bien que ça m'aiderait sûrement à oublier tous ceux qui ont fait partie de ma vie. Et à me détacher de ma mère, mais ce n'est pas une solution.
-Comme je te l'ai déjà dit, elle est à la fois ton sauveur et ton bourreau. Et t'apercevoir que tu as été incapable de la sauver...
-Taisez-vous. Maintenant, je veux être uniquement mon propre bourreau...
-Et dans quel intérêt?
-Parce que. Je ne suis qu'un monstre. Je ne sais pas, finalement, je ne dois mériter que de crever, je suppose.
-Ne redis plus cela.
-Enfin. Peut-être qu'il serait temps que je pense sérieusement à me prendre un appartement.
-Si cela est possible dans la pratique, je le crois aussi."


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Deathpoe 179 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Dossier Paperblog

Magazines