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Irak, Libye, Tunisie: les grandes illusions

Publié le 31 octobre 2011 par Jcharmelot

Dans l’enthousiame de journées riches en évènements, une annonce faite le 21 octobre par le président Barack Obama est passée presque inaperçue. Il a déclaré devant la presse, puis le lendemain, dans son adresse radiophonique hebdomadaire aux Américains, que les Etats-Unis ne laisseraient pas de soldats en Irak à la fin de l’année, comme le souhaitaient certains à Washington et à Bagdad. Obama en a décidé autrement et il a mis une fin complète, dans la discrétion, a une aventure militaire lancée il y a presque huit ans par son prédécesseur George W. Bush. Elle était censée apporter bien être et démocratie en Irak. Sur ce point, elle a échoué, et elle a, par contre, plongé l’Amérique dans une crise économique, sociale, et morale aux terribles conséquences.

Le fait que la déclaration d’Obama ait eu peu d’écho se comprend fort bien: la veille, le colonel Mouamar Kahdafi avait été exécuté prés de sa ville natale de Syrte. Sa mort marquait la fin, bien sûr, de sa dictature de 42 ans, mais aussi celle d’une rébellion armée qui a fait rage en Libye depuis le mois de février. Elle a été saluée comme la conclusion sanglante mais justifiée d’un règne placé sous le sceau de la violence. « Qui a vécu par l’épée, périra par l’épée », ont entonné les analystes et les commentateurs. Et, en Occident, l’image s’est confortée d’une révolution menée par des jeunes combattants assoiffés de liberté, de justice et de dignité, qui ont su par leur courage et leur fougue abattre un tyran. Peu de cas a été fait, par contre, d’une déclaration du chef d’état-major qatari, le général Hamad ben Ali al-Attiya, qui a expliqué que des centaines de soldats du petit émirat richissime ont participé depuis le début des opérations aux combats contre les forces loyalistes. Et que la prise, une par une, des villes libyennes tient plus à leur intervention qu’aux prouesses guerrières des brigades de rebelles libyens.

Enfin, un autre évènement, le dimanche 23 octobre, a retenu l’attention du monde et de ceux qui le racontent, les journalistes. Les Tunisiens sont allées voter pour les premières élections de l’après Ben Ali. Là encore, cet épisode a été salué par un concert de louanges. La preuve était faite, nous a-t-on expliqué, que les Arabes n’étaient pas condamnés aux régimes autoritaires, et qu’ils savaient saisir la branche de la démocratie, que, depuis si longtemps, les Européens et les Américains leur tendaient. Les premiers résultats ont donné pour vainqueurs les islamistes d’Ennadha, et la presse a disserté, encore une fois, sur la compatibilité de la démocratie et de l’Islam. Finalement, les plus fins des analystes ont conclu –à la Ponce Pilate– que ce seraient aux Tunisiens de définir la société dans laquelle ils avaient envie de vivre. Etonnement, les observateurs se sont peu attachés aux chiffres officiels de la participation à ce vote, occasion pourtant historique de faire table rase du passé. Selon ces chiffres, compilés par la commission de contrôle du scrutin, moins de la moitié des Tunisiens en âge de voter sont allés déposer leurs bulletins dans les urnes. Et une forte proportion de ces votes n’a pas été comptabilisée, comme le démontre une simple addition des résultats par listes et par circonscriptions.

Irak : lourd bilan pour l’Amérique

En dépit de tous les efforts encore déployés par certains nostalogiques du néoconservatisme américain, la guerre en Irak se conclut sur une terrible défaite. Les Irakiens se retrouvent dans un pays plus détruit qu’il ne l’était avant le début de la campagne militaire américaine. Des centaines de milliers d’Irakiens ont choisi l’exil, et ne sont pas prêts de rentrer chez eux pour tenter de remettre sur pied une nation. La violence que les Américains ont déclenché sans pouvoir la contrôler a fragmenté le pays, et avivé les tensions confessionnelles. Pour l’Amérique, le bilan est encore plus pitoyable. Le coût économique de la guerre, un milliard de dollars pour le moment, a une responsabilité directe et déterminante dans la crise financière des Etats-Unis et du reste du monde. Des centaines de milliers de familles ont été directement affectées par ce conflit, soit en perdand un être cher, soit en se retrouvant ruiné. Les anciens combattants de l’Irak –les « veterans »– sont aujourd’hui en première ligne de la contestation sociale et du mouvement anti Wall Street, qui prend de l’ampleur aux Etats-Unis. Le « rêve américain » a été brisé par un conflit qui n’aurait jamais dû être, et la légitimité de l’Amérique dans le monde a terriblement souffert d’une occupation qui l’a déshonorée. Et, non seulement les militaires américains doivent quitter l’Irak, mais les diplomates qui songeaient à y ancrer leur présence partout et pour longtemps, doivent eux aussi réduire leurs ambitions. Les consulats prévus à Kirkouk, Mossoul, Bassorah, ne verront jamais le jour. Et la  chancellerie américaine à Bagdad, qui restera la plus grande des Etats-Unis dans le monde, aura des allures de forteresse assiégée dans cette ville où les soldats américains pensaient être arrivés en libérateurs. 

Libye: les chimères de l’OTAN

La guerre en Irak a été utilisée comme contre-exemple pour expliquer combien la campagne de l’OTAN en Libye avait été un succés. Même Obama a sacrifié à ce rituel en assurant que les Etats-Unis étaient parvenus à leurs fins sans déployer un seul soldat au sol, et la chimère qu’une bataille peut être gagnée en engageant uniquement des forces aériennes a repris du crédit. La réalité est bien différente: outre l’intervention au sol des troupes du Qatar, les pays occidentaux ont également mis en oeuvre leurs forces spéciales. Mais le plus inquiétant semble être le manque total de contrôle qui règne en Libye, au lendemain de la « victoire ». Des milices locales font la loi, et des dépôts d’armes où sont accumulés des milliers de tonnes de matériel sont laissés sans aucune surveillance. Les combattants « pro-démocratie » règlent leurs comptes, mais l’OTAN qui avait hâte de mettre un terme à sa mission de protection aérienne des populations civiles ne peut qu’appeler les nouveaux maîtres du pays à la clémence. Dans le passé déjà, l’Occident est intervenu a minima dans un pays hostile: c’était en Afghanistan, en 2001. Les frappes aériennes ont certes chassé les Talibans de Kaboul, et contraint Oussama ben Laden à fuir, mais dix ans aprés, rien est réglé dans ce pays: l’OTAN a dû déployer des dizaines de milliers de soldats, les talibans sont retournés en force, et si ben Laden a finalement été tué, ses émules se sont partout multipliés.

Tunisie: démocratie en trompe-l’oeil

Reste la Tunisie, et ces chiffres qui ont bien peu à voir avec la réalité. La presse occidentale a parlé de mobilisation massive pour ces premières élections, et d’une nation entière, libre et enthousiaste, qui allait aux urnes. Ce n’est évidemment pas le cas, et le chemin du pluralisme dans ce pays tout proche est encore long. Derrière cette mise en scène, la réalité est plus complexe. La victoire des islamiste est une victoire en trompe l’oeil: suffisamment courte pour ne pas faire trop peur, mais assez conséquente pour assurer aux tenants du mélange de la religion et de la politique un poids décisif.  Elle cache surtout le grand silence d’une majorité de Tunisiens, soit par méfiance pour un exercice politique qu’ils découvrent, soit par fatalisme face à un système qui ne leur assure pas l’essentiel. La révolte en Tunisie a été alimentée par la rage et les frustations de populations pauvres et sans travail, et, pour elles, les élections n’ont pas été la réponse à leurs exigences.

Les responsables en Europe et aux Etats-Unis font sans doute mine de croire à leurs propres fables, en ce début d’automne. Mais la réalité va bientôt les rappeler à l’ordre, lorsque le plus grand pays de la région, la nation-clef du monde arabe, va devoir faire le test de sa nouvelle liberté. L’Egypte vote en novembre, et l’issue de ce défi là a une importance stratégique que le sort de l’Irak, celui de la Libye ou de la Tunisie, n’ont jamais eu et n’auront jamais. Avec plus de 85 millions d’habitants, dont une majorité de pauvres, et une frontière explosive avec Israël, c’est en Egypte que se joue la paix de la région.

L’annonce d’Obama

La nouvelle diplomatie américaine

L’Islam en Libye

Les chiffres de l’élection tunisienne 1

Les chiffres de l’élection tunisienne 2


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