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Commune de Paris : La légende rouge

Publié le 03 novembre 2011 par Les Lettres Françaises

La légende rouge

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En 1897, 26 ans après la chute des Fédérés, la Revue Blanche des frères Natanson publiait une Enquête sur la Commune de Paris, menée par son secrétaire de rédaction, Félix Fénéon. Quarante-six personnalités, rangées en trois catégories (publicistes, membres de la Commune, autres témoins) soumirent leur réponse à chacune des trois questions de Fénéon portant respectivement sur leur rôle personnel, leur opinion quant au mouvement et son organisation, et leur jugement sur l’influence de la Commune. Les Editions de l’Amateur ont reproduit ce document passionnant, présenté par Jean Baronnet – 200 pages de témoignages directs sur les 72 jours que dura l’insurrection, avec les quinze illustrations originales de Félix Vallotton.

Le texte qui suit, valant compte-rendu, est composé à 90% d’extraits de l’ouvrage en question. Chaque phrase, à l’exception de quelques articulations, est un emprunt direct à l’un des auteurs de ce recueil. Ces fragments ont été abstraits de l’ensemble, répertoriés, assemblés et recomposés sous une nouvelle forme, beaucoup plus brève. Ce condensé, qui ramène une quarantaine de voix à une seule, composite, n’a d’autre prétention que de faire apprécier la qualité littéraire et l’intérêt historique de la somme originale.  

Si cette synthèse, subjective, privilégie le point de vue des vaincus, c’est que Fénéon, proche des milieux anarchistes, lui-même jugé et acquitté de justesse en 1894 au cours du Procès des Trente, notait en introduction : « Le lecteur, remarquant, dans les opinions exposées ci-après, la rareté de celles qui sont hostiles à la Commune, pourrait croire à un parti pris d’éliminer certaines dépositions. Est-il besoin de dire que, si le silence est une opinion, du moins nous n’avons pas omis d’interroger ceux qui ont cru devoir se taire ».

Ainsi de la réponse, qui clôt l’ouvrage, du général de Galliffet, le « Marquis aux bottes rouges », baignées du sang des Communards :

« Monsieur,

Je suis dans l’impossibilité de répondre aux questions que vous me faites l’honneur de me poser.

Veuillez croire, Monsieur, à mes sentiments distingués. »

C’était un temps où les assassins préféraient se taire, gageant sans doute que « le temps passé ne revient pas ». Etait-ce que cette langue, celle des contemporains de Baudelaire, rendait le mensonge plus difficile ? Elle possèdait en tout cas une pureté d’expression qui s’est faite rare depuis.

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« Je crois que je n’ai aucune prévention en faveur des Communeux : eh bien ! je dois dire que j’aime mieux, malgré toutes les hontes de la Commune, j’aime mieux avoir combattu avec ces vaincus qu’avec ces vainqueurs. » - Louis Rossel, colonel de l’Armée française, fusillé au fort de Satory, le 28 novembre 1871. ( Mémoires, procès et correspondance, Pauvert, 1960).

Les Lettres Françaises, revue littéraire et culturelle

Editions de l'Amateur, 2011

“Pour comprendre que la Commune soit survenue, il faut d’abord se rappeler que la capitulation produisit à Paris un tragique effondrement. Il faut se représenter un peuple qui, s’étant cru invincible, s’étant persuadé que ses armées partaient pour Berlin, les voit prises ou détruites à Metz et à Sedan. Selon le mot de M.Thiers, l’homme d’Etat qui l’a combattue et vaincue, à la tribune de l’Assemblée Nationale : “L’insurrection de 1871 a été le résultat d’un patriotisme égaré”. Elle paraissait inévitable et fatale à tous ceux qui avaient connu les souffrances d’un peuple menacé et trahi; à tous ceux qui avaient assisté aux horreurs du siège de Paris - Machiavel lui-même a remarqué que presque tous les grands sièges se terminent par des séditions. Les odieuses mesures qui faisaient payer les frais de la guerre par les combattants sans le sou au profit des richards absents mirent le feu au poudre. Le peuple comprit qu’on voulait lui reprendre ses armes pour le ramener sous le joug. La veille du jour où les Prussiens devaient faire leur entrée dans Paris, ville assiégée et soi disant conquise, le Comité s’avisa que, dans la zone d’occupation toute momentanée, se trouvait un parc de canons, le parc Wagram. Or, là se trouvaient précisément les canons dus au patriotisme des citoyens et à leurs souscriptions. Sur les culasses se lisaient les noms des bataillons qui les avaient fournis.  Ce fut une traînée de poudre. En quelques heures, le fait à peine signalé, les prolonges, les attelages arrivaient à Wagram, et les canons étaient répartis, qui à la place des Vosges, qui à la Butte Montmartre, où ils furent hissés à force de bras. Ces canons enlevés aux Allemands et installés au haut de Montmartre, la Garde qui les veillait jour et nuit, tout cela était prétexte à des manifestations de haine réactionnaire, dont le Figaro était le distingué, mais acharné protagoniste. Chaque matin il prêchait la violence et la guerre civile ; il répétait qu’il fallait enlever les canons de la butte, et au besoin sacrifier 10 000 gardes nationaux, ces outranciers qui empêchaient la reprise des affaires. Ces appels furent écoutés, et Thiers et Vinoy firent leur expédition nocturne du 17 au 18 mars. Ce qu’il advint, on le sait : les gardes nationaux fraternisant avec les soldats, et Vinoy et ses gendarmes obligés de capituler (encore… toujours) et de se sauver. Le 18 mars, le Comité Central de la Garde fédérée siègeait à l’Hôtel deVille.

L’histoire dira que ces ministres improvisés restèrent honnêtes en exerçant le pouvoir ; que la Commune fut un gouvernement et une révolution où l’on ne comptait pas les citoyens probes : ceux-ci étaient foule…  Tel personnel gouvernemental républicain y eût pu à cet égard chercher et trouver des exemples dignes d’être imités. Mais on leur demandait autre chose : d’avoir le bon sens et la volonté que comportait la situation et d’agir en conséquence. Ces hommes, tenus d’agir héroïquement et de savoir mourir, furent saisis par le vertige du pouvoir et l’esprit de niaise routine. Ce n’étaient ni des incapables, ni des voleurs, mais des brouillons qui subirent les conséquences de leur origine révolutionnaire. Précisément parce que rien n’avait été préparé, parce que le coup fut une surprise, l’organisation fut mauvaise, quoiqu’il y eût tout ce qu’il fallait pour vaincre en quelques jours.

Au surplus, l’insurrection dès son début avait suscité les héroïsmes. On manqua de qualités plus précieuses : le mépris des choses consacrées, et l’initiative. Un mouvement populaire est perdu s’il s’arrête à mi-chemin. Le tout était de se hâter, et ce fut justement ce qu’on ne fit pas. Au lieu d’en profiter, de suivre le conseil simpliste d’Eudes de marcher dans la nuit même du 18 au 19 sur Versailles, les vainqueurs du moment ne surent que faire de leur victoire et la compromirent à plaisir. Il y eut trop de lenteur, trop d’hésitation, d’optimisme déplorable, montrant des batailles gagnées là où il y avait recul ; pas d’unité. N’avoir pas occupé le Mont-Valérien, avoir attendu au 3 avril pour marcher sur Versailles, furent les fautes capitales du début, résumées dans ces trois mots : « Ne pas savoir », avec leur corollaire obligé : « Ne pas oser », cette faute commune à la plupart des gouvernements issus d’une insurrection. Blanqui lui-même aurait-il eu l’autorité suffisante pour entraîner la marche sur Versailles dès le 19 mars ?… Tout chef révolutionnaire hésite quand il s’agit de jeter une organisation dans la rue, il hésite toujours parce que les moyens matériels dont il dispose sont toujours en disproportion avec l’obstacle à vaincre. C’est l’imprévu des circonstances et l’impatience de la troupe qui, le plus souvent, décident pour lui.

C’est que l’organisation militaire fut étrangement défectueuse ; elle n’exista guère que sur le papier. Si la plupart des généraux de la Commune avaient servi comme officiers dans les armées étrangères et possédaient, sans aucun doute, une certaine compétence dans les choses de la guerre, leur erreur fut de ne pas tenir un compte suffisant de la nature toute particulière des éléments qu’ils avaient à conduire.

Rossel, qui avait fait ses preuves pendant la guerre franco-allemande et qui a laissé la réputation du plus intelligent parmi les chefs militaires de la Commune, a commis cette erreur singulière, tout comme un autre, plus qu’aucun autre. Sans comprendre que la masse sans cohésion de ses bataillons ne se maniait pas à la façon des régiments disciplinés à la prussienne, – surtout dans un moment où la confiance dans les chefs avait subi de si rudes épreuves, – Rossel sut commander, mais non se faire obéir . Et sans cesse il fut entravé par les querelles des partis dans l’Assemblée communale, par les rivalités entre les différents pouvoirs, par le manque à peu près complet de discipline, par la peur de la dictature militaire qui, au lendemain de l’Empire, hantait quantité de cerveaux.

La Révolution du 18 mars, ayant la guerre à soutenir, pour triompher, son gouvernement avait pour premier devoir de fonder son crédit et de fonder son autorité. Au lieu de cela, l’ affaire de la Banque de France s’ajouta au registre des timidités de l’Hôtel de Ville. Si l’on avait usé de la puissance financière contenue dans ce seul établissement, on aurait sauvé peut-être la situation militaire. On touchait à l’âme bourgeoise. Il ne s’agissait pas de « parlotter », mais de frapper le bourgeoisisme à l’endroit sensible : au coffre-fort ! Il eût fallu peser sur M.Thiers en saisissant le gage de la Banque de France, afin de l’amener à composition. Pas d’argument plus décisif. Hélas, Jourde n’était pas un financier transcendant, mais un comptable exact et honnête , qui manquait de tempérament. Quant à Beslay, la Commune aurait eu peur, en le blâmant, de le faire partir, et on le considérait comme un écriteau d’honnêteté au seuil de la Commune. La tâche des financiers de l’insurrection se borna donc à trouver tous les jours la somme nécessaire au payement de la Garde Nationale. Il n’y fallut ni beaucoup d’ingéniosité, ni beaucoup de peine, la Banque s’étant décidée à fournir quotidiennement tout ou partie de cette somme pour éviter des exigences plus grandes. Et notamment ces billets bleus, valeur 900 millions, qui pour entrer en circulation n’attendaient plus qu’une griffe. Il est vraiment triste qu’on ne l’ait pas trouvée au cours d’une insurrection qui comptait tant d’ouvriers d’art.

Une autre cause d’affaiblissement fut l’abondance des espions et agents provocateurs de Versailles, tel Barral de Montaut, officier de l’armée régulière qui, se donnant pour révolutionnaire, avait été nommé chef de la 7è Légion, ou Ruault, considéré par tous comme un vieux républicain. Pour preuve, le château de la Muette, où siégeait l’état-major, ne reçut que deux obus alors que, placé comme il était, à la portée des obus du Mont-Valérien, il aurait dû être pulvérisé. Il devait y avoir dans l’état-major deux ou trois mouchards dont il importait de ménager la vie… Ce qui servit Thiers tout autant, ce fut l’indifférence presqu’absolue de la France : malgré les appels désespérés et réitérés de l’Assemblée Nationale, aucun département ne voulut bouger, hormis quelques grandes villes : Lyon, Marseille…

Il y eut d’autres raisons encore, dont aucune n’est suffisante seule : les violences policières de Rigault sans utilité ni résultat, et qui eurent pour seule fin d’exaspérer la population parisienne ; l’ingérence du Comité central dans les affaires après les élections ; le manifeste-scission des 22 de la minorité le 15 mai ; la manie qu’eut la Commune de légiférer, alors qu’il fallait combattre et préparer la lutte finale. Mais ce que ne firent pas les chefs, la foule sans nom sut le faire. Ils furent nombreux, 30 000, 40 000 peut-être, ceux qui moururent autour de Paris pour la cause qu’ils aimaient.

Le 21, les troupes versaillaises entraient dans la capitale. Paris se couvrait de barricades. Hélas, la Commune n’avait pas prodigué l’argent nécessaire pour sa défense. Sa munificence s’était haussée aux 30 sous quotidiens des gardes nationaux. Des terrassiers, la Commune en eut pour rien, elle en eut tout un peuple, aux heures tragiques, mais il était un peu tard. Il eût fallu 200 barricades préméditées, stratégiques, solidaires, que 10 000 hommes eussent suffi à défendre sans fin. On en eut des centaines et des centaines, mais sans coordination et impossibles à peupler. Déjà perdue, la ruche fédérée, menée par quelques officiers d’une bravoure merveilleuse (Dombrowski, Duval..), parvint à arrêter une semaine la plus formidable armée qu’ait déployée la troisième République. Mais on ne se servit pas assez des maisons. Les Versaillais, au contraire, surent les utiliser.

L’incendie de l’Hôtel de Ville fut une faute immense qui fit gagner au moins deux jours à Versailles. La place de l’Hôtel de Ville et celle du Ve arrondissement, reliées avec le XIIIe arrondissement et une partie des forts du Sud, constituaient une place forte imprenable. Les Versaillais n’avançaient plus. Les incendies sont acceptés, comme moyen de défense, par les usages barbares de la guerre. Ceux de la Commune eurent le tort d’être tellement hâtifs qu’ils servirent à abréger la résistance au lieu de contribuer à la prolonger. Aussi, quand on emporte Dombrowski, tombé à la barricade de la rue Myrrha, il ne paraît pas que c’est un homme, mais une idée, un principe que l’on va enterrer ; c’en est fait de la Commune. Paris avait été, restait un obstacle, il fallait le briser. Sans illusion, les membres de la Commune avaient fait le sacrifice de leur vie. Mais envers la foule personne ne pensait que la répression pût être aussi ignoblement cruelle.

Le gouvernement de Versailles refusa de traiter. Il avait Galliffet : c’était assez, et c’était tout ; cet homme à jamais maudit ayant bien compris et résumé Versailles. Combien de lâches terreurs accumulées pour se déchaîner en tant de férocités ?… En une semaine, la répression menée par Vinoy, Cissey, Galliffet fut effroyable. Une horde de bêtes féroces s’abattit, ivre, sur Paris ; et c’est une honte pour l’humanité toute entière que soient inscrites au livre de l’Histoire les monstrueuses journées de Mai. A côté du Collège de France, au pied d’un grand mur sale, des cadavres de femmes et d’enfants qui avaient été fusillés là ; dans le square de la Tour Saint-Jacques, parmi les fleurs, la terre remuée et les vols de mouches bourdonnantes, des monticules d’où saillaient ça et là des têtes et des bras de fédérés qu’on y avait enfouis à la hâte… Après huit jours d’égorgement les vols des mouches des charniers arrêtèrent les tueries – on craignait la peste.

Bien que le sang plébéien versé alors fût, au sang bourgeois qui avait coulé, dans la proportion d’un tonneau à quelques gouttes, il fut convenu que la Commune avait été composée de massacreurs, d’incendiaires, de bandits. L’insurrection de 1871 était un crime abominable, – un crime de lèse-patrie. (On peut trouver odieuses les fusillades de prêtres qui ne pouvaient se défendre… le père Darboy a payé pour tous ces prêtres indignes qui ont salué un président de république parjure et meurtrier). Et dans les salons, les académies, les revues bien pensantes, les chaires universitaires, commença contre le dix-huitième siècle, contre l’esprit laïque, contre la science et la raison cette campagne qui dure encore et qui a valu succès mondains et faveurs officielles à toute une génération de critiques, de romanciers, de professeurs réactionnaires. Combien de fois ensuite n’a-t-il pas suffi, pour empêcher les réformes les plus anodines et les plus justifiées, de crier aux Chambres : vous allez laisser faire la Commune légale ! La réaction cléricale et monarchiste joua fort habilement du cadavre et elle exploita, au profit de ses rancunes et de ses espérances, la légende rouge qu’elle avait faite.

La Commune prit une hauteur tragique. L’assassinat de tant de prolétaires cimenta la République : après l’exécution de la Commune, la période propice à l’exécution de la République était déjà passée. Le massacre ne fut pas seulement un crime. Ce fut là une des combinaisons les plus savantes, sinon les plus irréprochables, de M.Thiers qui fit servir à la consolidation du régime qu’il voulait établir en France, des événements propres, en apparence, à le renverser. Ce qu’on reprochait alors violemment à la République, dans certaines classes et certains milieux – surtout dans le milieu où évoluait M.Thiers -, c’était d’être un gouvernement faible, toujours obligé de compter avec l’émeute, toujours contraint de céder à la violence populaire, qui n’assurait à la bourgeoisie, à l’industrie, au commerce, au travail national même ni paix ni sécurité. En se réfugiant à Versailles, en laissant la Commune se former tranquillement, en organisant méthodiquement le siège de Paris qu’il avait projeté toute sa vie, enfin en écrasant la plus formidable insurrection dont l’histoire du monde fasse mention, M.Thiers démontra à ses amis et à ses clients que la république pouvait être un gouvernement fort, plus capable de « rétablir l’ordre » qu’aucune monarchie passée ou présente. Il rétorqua ainsi les arguments de ses adversaires et, à leurs déclarations, il répondit par un fait.

En France, le premier effet fut de maintenir la forme républicaine, forme qui, même aux trois quarts vide, a l’avantage de promettre et d’appeler un contenu vraiment démocratique. La seconde conséquence fut de remettre forcément l’œuvre de la constitution de République aux mains de républicains parlementaires, de Gambetta rentré en juillet, des groupes libéraux de toutes nuances. Le berceau fut déplacé et les vrais, les bons parrains manquèrent. Au lieu d’être la large et enthousiaste clameur sortie des places publiques, la République fut le bulletin de vote des 363 consolidant la constitution Wallon. Toute la différence de l’institution républicaine a découlé de cette très différente origine.

Dans ce sens,  on ne saurait admettre littéralement l’opinion assez en cours que la Commune de Paris a fondé la République. Non, malheureusement, la Commune ne l’a pas fondée ; si elle avait pu s’en mêler, la République eût été tout autre. Quand après huit ans de bagne, revenus, les anciens vaincus de la guerre civile virent la République qu’on leur avait faite, bonne à tout faire pour le service du tsar et du kaiser, tellement éloignée de toute pratique de liberté… Il serait puéril d’éprouver de la reconnaissance envers la Commune pour ce vain mot qu’elle a conservé. Elle a fait autre chose. Elle a dressé pour l’avenir, non par ses gouvernants mais par ses défenseurs, un idéal bien supérieur à celui de toutes les révolutions qui l’avaient précédée ; elle engage d’avance ceux qui veulent la continuer, en France et dans le monde entier, à lutter pour une société nouvelle dans laquelle il n’y aura ni maîtres par la naissance, le titre ou l’argent, ni asservis par l’origine, la caste ou le salaire. Elle a été un acte d’internationalisme en face de l’invasion qu’elle aurait pourtant combattue, si elle avait été victorieuse de Versailles. Au milieu du tumulte et de la fumée de poudre, elle a posé le problème social en face des peuples, problème jusque-là enfermé dans des livres peu lus ou oubliés. Et les prolétaires de tout pays ne se trompèrent pas sur le sens et la valeur du mouvement. Dans les grandes villes industrielles d’Allemagne et des Etats-Unis comme dans les centres manufacturiers de l’Angleterre et de la Haute-Italie l’impression a subsisté.

Cette insurrection, qui leur apparaissait de loin dans un flamboiement grandiose et fantastique, éveilla leur sympathie et eut à leurs yeux l’éclat d’une aurore tragique annonçant le jour prochain où s’accomplirait une étape décisive sur le chemin de la justice sociale et de l’émancipation humaine. Cette révolution anticipée, mais qui n’est qu’un précurseur, indique clairement à notre France, en apparence dégénérée, qu’elle ne doit plus rien espérer des hommes qui la gouvernent. Elle a donné un drapeau aux peuples de l’Europe. Elle a élevé une barrière infranchissable entre les deux formes sociales. Elle a été une leçon pour l’avenir. L’imprévu qu’elle était peut toujours se renouveler.

Les années qui se sont écoulées depuis n’ont fait que convaincre de plus en plus que cette minorité avait raison et que le prolétariat n’arrivera à s’émanciper réellement qu’à la condition de se débarrasser de la République, dernière forme, et non la moindre malfaisante, des gouvernements autoritaires. Avec l’espoir que les fautes de la Commune serviront aux futurs démolisseurs. A vrai dire il n’y a pas encore eu de révolution ; de celle qui viendra… ou ne viendra pas, le 18 mars n’est qu’un prologue. »

Assemblé par John Saint-Croix

LEs Lettres Françaises, revue littéraire et culturelle

La Revue Blanche. Enquête sur la Commune de Paris, édition présentée par Jean Baronnet. Les éditions de l’Amateur, Paris, 2011, 205 pages, 17 euros.



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